En 1862 la propriété de Oldham Farm appartenant aux héritiers de feu l’Honorable Peter McGill située sur la rivière Lacouareau dans la paroisse de St-Liguori a été mise en vente: une ferme avec un moulin à scie et des réserves de bois, en amont sur le bassin de la rivière Ouareau.
Cet article est la chronique d’une recherche. Pour lire toute l’histoire: L’exploitation industrielle du bois sur la rivière Ouareau

J’ai cherché des informations sur ce moulin dans les histoires de Saint-Liguori et sa région, pas un mot: comme si il n’avait jamais existé. Et pourtant Saint-Liguori est fière de ses moulins; le village a été construit autour du moulin des Sulpiciens. Les messieurs de St-Sulpice ont fait venir des meuniers acadiens experts qui ont construit des moulins dans toute la région.

Oldham Farm à vendre
Le 23 décembre 1862 le journal La Minerve et d’autres journaux publiaient une annonce pour vendre la propriété de l’Honorable Peter McGill décédé. Dans les archives de la BANQ on trouve même une belle carte d’arpentage de la propriété datant elle aussi de 1862.
J’avais déjà trouvé des informations sur l’association entre Peter McGill et le commerçant de bois J.H. Dorwin en documentant l’histoire du train L’Industrie – Rawdon. Ils possédaient ensemble des droits de coupe de bois sur la rivière Ouareau et le train de Rawdon qui passait par St-Liguori servait à transporter ce bois.

J’ai essayé de trouver des informations sur ce moulin à scie. Il semble être situé un peu en amont de St-Liguori sur la rive nord de la rivière Ouareau, borné par le chemin de la Reine à l’est et par Ménasip Robert (Ménasippe Chartier dans l’annonce) et Joseph Veine (Venne) au nord (rue du Domaine Jetté?). Mais je n’ai rien trouvé du tout.
Voici quelques historiques des moulins de St-Liguori.
Histoire de la paroisse de Saint-Liguori par A. C. Dugas
Ce livre publié en 1902 peut être consulté en ligne, il s’agit surtout de l’histoire religieuse de la paroisse. Mais il y a un historique complet des moulins de la région.
Le pont jeté sur la rivière Ouareau fut construit en même temps que le moulin, aux frais du séminaire, et il fut entretenu jusqu’en 1846 par les Messieurs de St-Sulpice, qui vendirent alors le moulin à un nommé J.-B. Demers… Après cette époque, le pont fut réparé et reconstruit au besoin, par la contribution des paroissiens.
Un des premiers meuniers fut M. Jos. Beauregard, que les Messieurs avaient envoyé de Montréal à leur moulin du Lac Ouareau; il eut pour successeur, dans sa charge, son fils Joseph. Ce second meunier devint, avec M. Narcisse Goulet, l’acquéreur du moulin, par contrat avec M. J.-B. Demers; celui-ci quitta la paroisse vers 1851, après avoir fait subir d’importantes améliorations à son immeuble.

Quelques années plus tard, les deux associés se séparèrent: le premier, M. Beauregard, alla bâtir le moulin de pierre des Dalles et M. Goulet resta seul à sa propriété du village. Mais ce ne fut pas pour longtemps, car M. Georges Gilmour l’acheta bientôt et le posséda, conjointement avec M. Henry Anderson, son beau-frère; et, après plusieurs années, M. Simon Richard en devint le propriétaire; il le possède encore aujourd’hui, ainsi que la grande île et la maison de pierre qui en sont comme les accessoires.
MM. Alexis Bourgeois et Antoine Leblanc possédaient aussi un moulin, en vertu d’un droit acheté des seigneurs vers 1836; ce moulin, situé à quelques pas à l’est de la maison de pierre, sur la rive gauche de la rivière, fut en opération jusque vers 1861. Le bail de vingt-cinq ans fini, le droit des locataires se trouva par là même anéanti.

M. Demers voulut aussi avoir son moulin pour le bois ; il le construisit entre les deux bâtisses dont nous venons de parler. Enlevé de là pour être placé sur le canal, il fut enfin fixé sur la rive opposée.
M. Jos. Bro, son nouvel acquéreur, le refit à neuf vers l’an 1867, et le transforma en une scierie de première classe. Ce moulin passa ensuite à M. Luc Arpin, puis à M. Ed. Fisk, de Joliette, qui, définitivement, en transporta le mécanisme aux Dalles.Mais le premier moulin à scie de la paroisse fut bâti à Montcalm, sur la rivière Rouge, par trois associés, MM. Philémon Dugas, Isaac Dugas et Pierre Richard, en 1817. Cinq ans plus tard, en 1822, M. P. Dugas construisit son moulin à farine. Ces deux moulins n’existent plus et le pouvoir d’eau qui les mettait en mouvement fut vendu par M. L. E. Dugas à ses cousins MM. Samuel et Georges Lord qui se préparent à l’utiliser bientôt. Ce n’est pas encore tout, car deux autres moulins sont aussi en opération sur la rivière Ouareau, à trois milles environ de l’église. Ils furent construits en 1840 par M. Augustin Bro et appartiennent à présent à la Compagnie à bois Charlemagne et lac Ouareau. Un de ces deux moulins fut vendu en 1870 à M. Firmin Dugas qui l’exploita jusqu’à sa mort en 1889, où la susdite compagnie l’acheta comme déjà elle avait fait de l’autre.
Sur le plan qui a été dessiné pour la construction du train Rawdon-L’Industrie on ne voit pas de moulin d’Oldham Farm. The Laquouareau Mills se trouvaient dans le village actuel de St-Liguori; la ligne a été construite jusqu’au moulin de Dugas sur la rivière Rouge. Le restant de la ligne en pointillés n’a jamais été construit.
Agrandissements de la carte du train portion St-Liguori-Rawdon datant de 1852:


La Nouvelle-Acadie, mosaïque acadienne en terre lanaudoise
Alexandre Riopel a publié lui aussi un historique des moulins de la région dans son article du site Erudit. J’y ai trouvé la belle photo du mouin des Sulpiciens et du pont de St-Liguori du haut de la page. Voici quelques extraits:
Historique de la municipalité de St-Liguori
J’ai aussi été voir l’historique des moulins sur le site de la municipalité de St-Liguori. On y trouve la même information résumée plus une photo des vestiges du moulin des Sulpiciens; mais toujours rien à propos du moulin de Peter McGill.
Sociétés distinctes, histoires distinctes
Je remarque que dans ces historiques on parle de moulins à scie sans parler du commerce du bois. Peter McGill et J.H. Dorwin avaient de très grandes concessions de bois à couper en amont des moulins; sur la rivière L’Assomption c’étaient B. Joliette, E. Scallon et d’autres entrepreneurs qui faisaient tourner leurs moulins grâce à leurs réserves en amont.
Peter McGill était un personnage très important de cette époque et il possédait une ferme avec un moulin à scie à St-Liguori pour exploiter le bois de ses droits de coupe, plus de 100 miles carré. Il a participé avec J.H. Dorwin à la construction d’un train pour prolonger celui de B. Joliette vers Rawdon en passant par St-Liguori à proximité de son moulin. Et on ne retrouve aucune mention de Peter McGill ni du moulin de Oldham Farm ni du train dans l’histoire locale.
Histoire du train Lanoraie – Rawdon: Le premier P’tit Train du Nord
Crédit: la photo de Peter McGill est de W. Notman dans la collection du Musée McCord.
Ajout juin 2022
La suite de cette chronique a été rédigée au fur et à mesure de mes recherches; pour lire le résultat de ces recherches:
Les moulins de la rivière Ouareau vers 1850
En lisant Les neuf églises et chapelles de Saint-Liguori de France Desmarais paru en 2013 j’ai finalement trouvé quelques informations sur ce moulin. Sur une carte de Joseph Bouchette datant de 1831 il est appelé Manchester Mills. Selon F. Desmarais, l’industriel Rodrigue Mc Kenzie en fut le premier propriétaire puis en 1861 c’est J.-H. Dorwin qui est inscrit comme propriétaire. Le moulin à scie semble avoir été ensuite abandonné. Peter McGill n’est pas dans cette liste de propriétaires mais il devait être étroitement associé à J.-H. Dorwin.
Quelques jours plus tard j’ai trouvé l’information suivante par hasard dans Histoire de Lanaudière par N. Brouillette, P. Lanthier et J. Morneau:
À son décès (Simon McTavish seigneur de Terrebonne) en 1804, son agent seigneurial Henry McKenzie (frère de Roderick), poursuit la gestion du domaine jusqu’en 1817. Il crée une entreprise, la McKenzie-Oldham & Co., en vue d’investir dans la seigneurie…
En 1814, Roderick McKenzie achète Terrebonne pour 28.000£, avec la ferme intention d’en prolonger le développement industriel…
Simon McTavish a été seigneur de Terrebonne pendant quelques années et il était associé avec les frères Henry et Roderick (Rodrigue) McKenzie traiteurs de fourrure eux aussi. Roderick a racheté la seigneurie en 1814, il la gardera jusqu’en 1824.
Sur un plan du village de Terrebonne dessiné par Henry McKenzie en 1804 on voit aussi que Jacob Oldham y était propriétaire.
Le moulin de Manchester-Oldham Farm n’était pas dans la seigneurie de Terrebonne mais dans celle de Saint-Sulpice, ses propriétaires cherchaient à étendre leurs activités vers le nord et ses forêts encore intactes. La rivière Ouareau était la plus facilement accessible depuis Terrebonne.
Dans son livre F. Desmarais a documenté une chapelle protestante construite en 1825 à côté des moulins Dugas sur le bord la rivière Rouge par le révérend James Edmond Burton (montée du 5ème rang). Il y avait aussi un cimetière et donc une population protestante anglophone dans ce lieu aussi nommé Montcalm Corners. Burton venait lui aussi de Terrebonne et il avait son domaine appelé Burtonville.
Daniel Parkinson dans Up to Rawdon a écrit:
8 November 1821
The first baptism, and indeed the first event recorded in what would be the register of Christ Church of England and Ireland, was by James Edward Burton for a child of the McKenzie family – relationship to Roderick McKenzie the Seigneur of Terrebonne is not known. Burton was resident there and his territory included the newly opened townships of Rawdon and Kilkenny, the Seigneuries of La Chenaie and d’Ailleboust and the Protestant settlers in the St‐Sulpice Seigneury.
Beverly Prudhomme dans Rawdon the hills of home ajoute:
Two of the earliest mills were those of Philemon Dugas and Manchester’s, owned by Roderick McKenzie with David Manchester as manager.
Le moulin de Manchester tenait donc son nom de David Manchester qui le faisait fonctionner. Une famille McKenzie y a habité puisqu’un enfant y est décédé. La famille Robinson a laissé son nom à un rapide juste en aval de Rawdon. On voit tous ces noms sur les anciennes cartes de Rawdon:

Joseph Bouchette Jr dessinateur de ces cartes était le beau-frère de Roderick McKenzie.
Le train qui devait relier L’Industrie à Rawdon n’a été construit que jusqu’au village Montcalm, c’est-à-dire près du moulin d’Oldham Farm. Le moulin était situé au bout du rang Lépine de l’autre côté de la rivière et le train arrivait un peu plus au nord, au coin du 4ème rang et du rang Montcalm actuel sur la montée du 5ème rang, près des moulins de Dugas.
Sur cette carte de 1821 on a une description des chemins autour du moulin. Une chaussée construite sur le barrage devait permettre de traverser facilement.

Dans une pétition des citoyens de Rawdon datant de 1834 on trouve les signatures de David et Jacob Manchester:

Le moulin de Manchester Place ou Manchester Mills ou Oldham Farm semble avoir appartenu à Peter McGill vers 1860 peu avant son abandon. Il avait été construit avant 1821 d’après les cartes anciennes. Une description des moulins sur la rivière Ouareau en 1844 vient confirmer que le moulin Manchester appartenait alors à P. McGill et J.H. Dorwin.

J’ai poursuivi mon enquête et dans Une nouvelle Acadie de François Lanoue j’ai trouvé la confirmation de la propriété de Peter McGill. Il a dessiné un plan du haut de la seigneurie de Saint-Sulpice où figurent les numéros des terres seigneuriales. Les moulins étaient situés sur les terres 643 et 644.

Cette carte n’est pas datée mais F. Lanoue donne la liste des concessions vers 1808 et ces terres ne sont pas encore concédées. Il donne une seconde liste datant de 1861 et on y lit que L’Hon. Peter McGill est propriétaire des lots 643 et 644 avec Joseph Jarret dit Beauregard (moulin) pour le 643. Dorwin a la terre 645 (T. H. Dormin) et une partie du lot 574 de l’autre côté de la rivière Ouareau. Le chemin de fer de Rawdon a un droit de passage jusqu’au pont des Dalles sur la rivière Rouge sur les terres 641 à 674. La famille Gilmour, marchands de bois, a d’autres terres le long de la rivière Ouareau: 587 – 588 – 590.

La terre de P. McGill est annotée commué ce qui signifie qu’il a réglé les droits seigneuriaux abolis en 1854.
En faisant une recherche dans les journaux anciens on se rend compte que des moulins ont été vendus et revendus plusieurs fois entre 1853 et 1860 mais il n’est pas certain que ce soit toujours les mêmes.




En 1853 il semble que ce soit Philemon Dugas qui vend des moulins (two double english saw mills) avec 177 acres de terrain dans le village de Rawdon. Il semble que ce moulin était à la chute Dorwin puisque la chute d’eau est de plus de 100 pieds.
Les Rawdon Mills sur la rivière Lacouareau sont mis en vente en 1860 avec 177 square miles de réserve de bois. J.H. Dorwin est en charge de la vente.
En 1864 la propriété d’Oldham Farm appartient à Peter McGill et ce sont ses associés en affaires Dorwin qui s’occupent de la vente. En plus des moulins il y a une ferme dans le village de Rawdon avec une chute de plus de 100 pieds (les chutes Dorwin), un cottage et des dépendances. C’est une résidence d’été pour un gentlemen qui veut pêcher la truite et chasser la perdrix.
Patrimoine et Histoire Terrebonne
J’avais écrit à Patrimoine et Histoire Terrebonne pour savoir si ils avaient des informations. Claude Blouin, administrateur, m’a gentiment répondu et m’a envoyé un acte de vente datant de 1812. Le moulin appartenait alors à Joseph Ratelle qui l’a vendu à Henry McKenzie, Jacob Oldham et Alexandre Malbut. Le moulin a donc été construit avant 1812.




Pendant ces recherches j’ai découvert qu’il y avait un lac, le lac Ouareau, sur la rivière Ouareau en 1815.

Fort intéressant! J’aurais pensé toutefois que le moulin de McGill se situe immédiatement en amont du pont de la rue Richard, vis-à-vis du garage. Il n’y a pas un vestige de barrage dans l’eau, près du rivage?
Vous n’avez sans doute pas très bien lu l’article. Il y a bien eu plusieurs moulins construits autour du pont du village de St-Liguori, dont le moulin des Sulpiciens. Leur histoire est connue mais Peter McGill n’en fait pas partie. Les moulins d’Oldham Farm étaient situés ailleurs et c’est curieux justement qu’ils n’aient pas laissé plus de traces.
Si quelqu’un a une idée de l’emplacement exact de ces moulins j’aimerais bien me rendre sur les lieux pour prendre des photos.