Alphonse Durand a été un des grands architectes de Joliette, membre influent de l’élite locale. Pourtant, selon Marcel Ducharme, il aurait été excommunié par l’évêque de Joliette Mgr Archambault en 1912 car il était franc-maçon. Il y a de nombreuses plaques commémoratives devant des bâtiments de Joliette qui mentionnent son nom et racontent son histoire sans jamais rapporter cette excommunication, j’ai cherché à en savoir plus.
C’est dans l’album souvenir des 30 ans du journal L’Action (novembre 2003) que j’ai trouvé cet article de Marcel Ducharme sur le grand architecte de Joliette Alphonse Durand:
Alphonse Durand l’architecte
Alphonse Durand est né à Joliette en 1858 dans une famille modeste. La maison de ses parents était située au coin des rues St-Barthélémy et Notre-Dame (dépanneur Karam aujourd’hui). Son père était maçon et plasteur et il a construit plusieurs maisons de Joliette, le 28 mars 1868 pour Joseph Coutu sellier, par exemple.
Le 25 novembre 1869 Isidore Durand plâtrier de la ville de Joliette a acheté un emplacement de 60 pieds de front depuis la rue Notre-Dame tenant à la rue St-Barthélémy et un emplacement qu’il possédait déjà.
Alphonse a eu la chance d’étudier au collège des Clercs de St-Viateur de Joliette où il a rencontré le père Joseph Michaud, autre grand architecte de la ville. Il a d’abord travaillé avec son professeur pour diriger les travaux de l’École Industrielle, puis il a obtenu le contrat de dessiner les plans du bâtiment destiné à la station à pompes et à l’hôtel de ville. Cet édifice a contribué à la réputation architecturale de Joliette.
Construits à la même époque, le Marché (1874) et l’Hôtel de Ville (1888) s’apparentaient assez heureusement à la jolie Place des Vosges à Paris, en vertu de leur parement de brique rose rehaussé aux encoignures de chaînes en pierre de taille, alors que le manoir bâti par Monsieur Joliette en 1828 relevait du style georgien d’allure plus sévère et cossu. L’Institut (1858) du boulevard Manseau, foyer de la vie intellectuelle du temps, rappelle de très près les portiques grecs des pavillons de l’Université de la Virginie (1850).
Wilfrid Corbeil – Trésors des Fabriques du diocèse de Joliette
Alphonse Durand a d’abord été entrepreneur et sculpteur avant de s’imposer comme un talentueux architecte. Le 3 mai 1884 Alphonse Durand sculpteur et entrepreneur de bâtiment et Messire Prosper Beaudry curé de la paroisse St-Charles-Borromée pour la Corporation Episcopale Romaine Catholique de Montréal ont conclu un marché pour les ouvrages de maçonnerie, charpenterie, couverture, menuiserie, serrurerie, vitrerie d’une maison d’Industrie selon les dispositions testamentaires de Edward Scallon selon les plans et devis de MM. Perrault et Mesnard architectes de Montréal.
En 1887 il se présentait comme architecte. Le 10 mars Alphonse Durand architecte et entrepreneur a protesté contre les syndics de la paroisse St-Charles-Borromée qui avaient demandé des soumissions pour la construction de la nouvelle église et de sa sacristie (la cathédrale de Joliette). Sa soumission ayant été acceptée il avait déménagé de Montréal avec sa famille et refusé d’autres contrats mais le syndic avait finalement accordé le mandat à un tiers en violation de la convention intervenue entre eux. Le 31 janvier les syndics de la paroisse St-Charles-Borromée avaient conclu un marché avec Martin d’Angeville Dostaler architecte et entrepreneur pour la construction d’une église, une sacristie et un charnier selon les plans et devis de MM. Perrault et Mesnard architectes.
Le 10 août 1887 Alphonse Durand architecte et entrepreneur de bâtiments a conclu un marché avec la Corporation de la Ville de Joliette pour faire tous les ouvrages de creusage, maçonnerie, pierre de taille, brique, charpente, menuiserie, peinture, ferrure, vitrage, enduits pour la construction d’une station de pompe sur la place Bourget à l’emplacement de l’ancienne conformément aux plans (8 pages) et devis (12 pages) annexés dressés par A. Durand.
A. Durand a aussi travaillé à Montréal, le 1er mars 1890 Eusèbe Asselin riche marchand de Joliette l’a engagé pour construire une maison pour son fils sur la rue St-Denis. Le devis de 15 pages décrit une maison bourgeoise de cette époque avec sa plomberie, son chauffage central et son éclairage au gaz; et les plans sont encore très beaux.
Alphonse Durand a ensuite connu une brillante carrière en association avec sa femme Marie Schewer, sculptrice d’origine française. Ensemble ils vont faire les plans d’une vingtaine de maisons pour l’élite joliettaine naissante.
Quelques unes de ces maisons existent toujours et font partie du patrimoine de Joliette, lui donnant son cachet si particulier. La maison qu’ils se sont fait construire au coin des rues Notre-Dame et Gaspard est toujours bien entretenue:
Alphonse Durand a donc travaillé pour la bourgeoisie mais aussi pour la ville, l’évêché et les Clercs de St-Viateur. Jusqu’en 1912 quand Mgr Archambault l’aurait excommunié comme franc-maçon.
Joseph-Alfred Archambault premier évêque de Joliette
Mgr Archambault premier évêque de Joliette était le fils du ministre de l’Agriculture et des Travaux publics Louis Archambault. Nommé évêque de Joliette en 1904, il partit en guerre en 1907 contre un médecin de St-Gabriel de Brandon, Albert Laurendeau. Celui-ci était un scientifique respecté qui cherchait à moderniser la société québécoise en séparant la science de la religion.
En mars 1907, il déclencha une très longue controverse en exposant de façon officieuse la doctrine évolutionniste moderne à ses collègues de la Société médicale du district de Joliette.
Un médecin et son évêque
Dans une encyclique de 1907 le pape Pie X avait déclaré que les théories scientifiques de l’évolution étaient fausses et contraires à l’orthodoxie, il fallait les bannir ainsi que toute idée de modernité. Mgr Archambault était un soldat obéissant et il a aussitôt pris les choses en main dans son diocèse.
Un franc-maçon excommunié en 1911
A. Laurendeau s’est rétracté et a écrit une lettre de soumission à son évêque que celui-ci s’est empressé de publier dans la presse locale. Il n’a pas été excommunié. Mgr Archambault est mort en 1913 et A. Laurendeau a pu continuer ses conférences sur la séparation nécessaire entre la science et la religion, tout en étant plus discret.
Mais il y a bien eu une excommunication à Joliette en 1911. Le nom du paroissien est resté anonyme mais j’imagine que tout le monde à Joliette devait savoir de qui il s’agissait.
J’ai eu beau chercher je n’ai pas trouvé trace de l’excommunication d’Alphonse Durand en 1912 dans les archives. Marcel Ducharme s’est peut-être trompé d’une année et le paroissien anonyme serait Alphonse Durand? C’est bien possible, sa carrière était assez florissante pour qu’il puisse se permettre d’être indépendant d’esprit en défiant les autorités religieuses.
En fait il a continué sa carrière. Dans L’Étoile du Nord du 24 août 1916 on apprend qu’il a reçu un contrat du gouvernement du Québec pour agrandir le palais de justice de Joliette. Il a aussi travaillé à celui de Trois-Rivières. Ce serait curieux qu’un excommunié notoire ait pu continuer à bénéficier de contrats des autorités publiques mais on ne sait jamais.
Alphonse Durand est décédé en 1937, un an après sa femme Marie Schewer. À l’occasion de son décès le conseil de la Cité de Joliette a publié un hommage qui ne fait pas mention d’une quelconque excommunication ni d’une mise à l’écart de la bonne société.
Il me semble que Joliette a connu une époque où elle était une ville plutôt libérale, où les arts et la philosophie étaient très vivants. Ce n’est qu’à partir de 1904 à son arrivée comme évêque que Mgr Archambault a resserré la vis et commencé la chasse aux francs-maçons et aux libres penseurs. Excommunier un paroissien ce n’était pas courant, c’est le dernier recours de l’évêque.
Alors que l’Institut de Montréal s’était attiré les foudres du clergé, celui de Joliette semble s’être fait avec l’aide et la participation tacite du clergé local. L’architecte du bâtiment était Joseph Michaud c.s.v. le professeur d’Alphonse Durand.
Lire: Monument historique à vendre, l’Institut de Joliette
Une belle maison sur le boulevard Manseau
Cette maison sur le boulevard Manseau au coin de la rue Ste-Angélique est parfaitement entretenue avec un beau grand jardin autour. C’est un exemple typique des réalisations du couple Schewer-Durand.
Je doute que monsieur Durand soit né où est le dépanneur Karam.Sur l’ évaluation de la ville cette maison aurait été construite en1895.
J’ai corrigé le texte en écrivant qu’il est né dans une maison située au coin des rues Notre-Dame et St-Barthélémy, là où se trouve le dépanneur Karam aujourd’hui. C’est vrai qu’il n’y a plus beaucoup de maison datant de 1858 à Joliette, je crois qu’il n’y a que l’Institut sur la rue Manseau et une vieille maison de la rue Lavaltrie. Merci d’avoir fait la remarque.