Le régime seigneurial a été aboli en 1854 au Québec mais les droits des anciens seigneurs ont continué à leur être versés jusqu’en 1974. Les propriétaires des droits subsistants des seigneuries du comté de Joliette étaient alors des particuliers comme Dame Alice de Lanaudière-Neilson, des compagnies comme le Crédit Foncier Franco-Canadien ou encore des institutions religieuses comme l’évêché de Joliette.
Dans Le Lavaltrie d’autrefois de Jean Hétu on lit (page 72):
Au moment de l’abolition du régime seigneurial, la seigneurie de Lavaltrie appartient en 1861 aux deux filles de Charles-Gaspard Tarieu de Lanaudière, soit Charlotte, veuve de l’Honorable Barthélémy Joliete, et Marie-Antoinette, épouse du Dr. Peter-Charles Leodel ainsi qu’à deux enfants de Pierre-Paul T. de Lanaudière soit Charles-Barthélémy-Gaspard et Marie-Angélique, veuve du Dr. Antoine-Toussaint Voyer, mariée en 1856 à Zoile Chaput.
Au décès de Barthélémy Joliette en 1850 les seigneurs de Lavaltrie se sont chicanés et la seigneurie qui était en propriété indivis a été partagée en 4 parts, les fiefs Joliette, Lanaudière, Tarrieu et Taillant.
Lire: La succession de Barthélémy joliette
La loi d’abolition des privilèges seigneuriaux de 1854 a été un compromis plutôt favorable aux seigneurs. En plus d’un dédommagement généreux et immédiat pour la perte de leurs droits seigneuriaux, la rente annuelle (le cens) à laquelle ils avaient traditionnellement droit a été transformée en un montant capitalisé fixe représentant 38 ans de rente. Les anciens censitaires pouvaient payer le capital immédiatement pour se libérer ou attendre en ne payant que l’intérêt de 6%; ce que la grande majorité des gens ont fait.
Les seigneurs ont aussi conservé la pleine propriété des terres non concédées; dans certaines seigneuries beaucoup de terres n’étaient pas encore concédées en 1854 comme l’île d’Anticosti que le chocolatier Menier a pu acheter pour devenir seigneur de toute l’île; le gouvernement a ensuite dû racheter la seigneurie. Le séminaire de Québec est toujours propriétaire d’une immense forêt (1.600 km²), vestige de sa seigneurie de Beaupré.
Le régime seigneurial était aboli mais les québécois continuaient à aller payer tous les ans leur rente constituée aux anciens seigneurs le 11 novembre, jour de la St-Martin d’hiver. En 1928 le gouvernement Taschereau a adopté la Loi concernant les droits seigneuriaux dans cette province pour avoir un inventaire exact des rentes et créances subsistantes et mettre fin à cette anomalie. Voici les données qui ont été recueillies en 1929 pour le comté de Joliette (BANQ):
En 1935 le ministre T.D. Bouchard a fait adopter la Loi abolissant les rentes seigneuriales et le Syndicat national du rachat des rentes seigneuriales a été créé. La gestion des rentes subsistantes a finalement été confiée aux municipalités qui ont eu la responsabilité de recouvrer tous les montants dûs au plus tard en 1981. Le dernier paiement a été fait le 11 novembre 1974. Le SNRRS avait la mission de vérifier tous les droits de propriété et il a laissé beaucoup de documentation qu’on peut consulter sur le site BANQ.
L’historien Benoît Grenier spécialiste du sujet parle du dernier endroit dans l’univers à propos des droits seigneuriaux au Québec (lire aussi À propos de l’abolition du régime seigneurial de Georges Baillargeon).
Le fief Joliette
À la mort de Barthélémy Joliette le notaire Denis-Emery Papineau a rédigé un acte de partage de la seigneurie de Lavaltrie en 4 parts au nom des co-propriétaires: M. Gaspard de Lanaudière, Mme Antoine Voyer, Mme Charles-Peter Loedel et Mme B. Joliette. Avec le temps l’héritage s’est dispersé, on trouve un portrait détaillé des droits des derniers héritiers dans les archives du SNRRS.
Mme Antoine Voyer est Angélique de Lanaudière la sœur de Gaspard.
Sur le site BANQ on peut consulter les dossiers des réclamations faites par les seigneurs au SNRRS. Les notaires ont dû vérifier tous les titres des propriétés situées dans les anciennes seigneuries pour certifier que la rente constituée avait été soldée. Sinon ils devaient présenter un registre des propriétaires-censitaires indiquant le montant du capital à payer, les intérêts annuels et la date du dernier paiement effectué.
On trouve même à la BANQ le plan officiel de la paroisse de Saint-Charles-Borromée fait en 1929 avec les numéros du cadastre seigneurial; le fief Joliette était la partie sud. Il restait encore des terres non concédées au nord de la paroisse en 1929.
J’ai pris comme exemple le dossier de Dame Alice de Lanaudière-Neilson, héritière du fief Joliette, une partie de son héritage venant de Gaspard de Lanaudière son père (mais ce n’est pas très clair car le notaire semble parler de la part de Mme Joliette).
Voici une des pages du registre. Pour chaque propriété on a le numéro de cadastre seigneurial et municipal, la superficie, la rente annuelle, le capital, le nom du propriétaire et son occupation.
Les montants à payer par chaque propriétaire sont minimes puisqu’ils sont calculés à partir des cens payés en 1854; mais ce sont des revenus intéressants pour les propriétaires quand ils ont beaucoup de censitaires. Voici un état de compte du capital possédé par Dame Alice de Lanaudière-Neilson:
Les rentes seigneuriales étaient devenues des titres qui s’échangeaient comme d’autres outils financiers. Le travail des notaires a dû être très compliqué, on trouve dans ce dossier 5 pages de rectificatifs comme celle-ci:
La seigneurie de Lavaltrie en 1861
Norbert Dumas a fait un inventaire de la seigneurie en 1861 au moment de l’abolition des droits seigneuriaux. Elle était divisée en 4 fiefs: Tarrieu, Joliette, Lavaltrie et Taillant. Il y avait encore un moulin banal à Lavaltrie qui devait donc appartenir à la famille Loedel. Le moulin banal de Saint-Paul n’existait plus depuis 1820 environ, le moulin banal de Joliette semble être divisé en 3 parts égales et il valait $12.000.
La Corporation Épiscopale Catholique Romaine de Joliette
La Corporation Episcopale Catholique Romaine de Joliette ne possédait que quelques droits sur la seigneurie de Lavaltrie à St-Charles-Borromée et St-Ambroise de Kildare; elle en avait beaucoup plus dans la seigneurie de Lachenaie et on trouve aussi son dossier à la BANQ.
L’abbé O Bonin se permet de faire remarquer que la loi passée pour le rachat des rentes ne rend pas justice aux seigneurs. Il demande un amendement à la loi qui le prive d’une année de rente.
Ajout: dans le livre Joliette Illustré de 1893 (page 34) je lis dans l’article consacré à Charles Bernard Henri Leprohon que par héritage il est devenu propriétaire du fief de Lavaltrie et seigneur de Lavaltrie. Il avait épousé la fille unique de Peter-Charles Loedel représentant le quart des droits sur la seigneurie, il a dû recevoir d’autres parts.
Les manoirs des seigneurs de Joliette
Les premiers seigneurs de Joliette étaient Barthélémy Joliette et son beau-frère Peter-Charles Loedel; ou plutôt ils avaient tous les deux épousé une seigneuresse de Lanaudière et ils ont agi en seigneurs. Ils avaient construit deux manoirs identiques dès le début du village d’Industrie en 1828 pour affirmer leur position. L’histoire de celui de Joliette est connue, il a été transformé en pensionnat puis a brûlé en 1935. Je n’ai rien trouvé concernant le manoir Loedel, peut-être que quelqu’un pourra me donner des informations?
En continuant à chercher j’ai retrouvé ce travail donné devant les membres de la Société Historique de Joliette en 1940 par le Dr. Albert Geoffroy qui raconte l’histoire du manoir de B. Joliette et donne des détails très intéressants sur la division de son héritage. Mais pas un mot sur le manoir Loedel!
Une autre description intéressante dans la Revue Canadienne de 1887 (il y a une description de toute la ville); l’architecture du manoir serait inspirée de celle de la résidence de Joseph Bonaparte à Philadelphie.
Et ces détails sur les seigneurs de Joliette en 1850 dans L’Action Populaire:
J’ai fini par trouver une mention du manoir Loedel dans Gerbes de souvenirs de A.C. Dugas (page 24):
Près de la maison seigneuriale de M. Joliette, on voyait encore à cette époque, l’aile droite du manoir du docteur Léodel, ou comme tout le monde disait : » le docteur Lel « . Les anciens nous racontaient que cette demeure était en tout semblable à celle du fondateur et qu’on l’avait démolie pour en reconstruire une plus belle ; mais une fortune ennemie s’y est opposée.
Belle recherche
Merci
Un de mes arrières grand père de st sauveur possédait des titres de seigneuries dans les annees 40-50 comme titre de placement et j’ai déjà vu dans la famille dans les années 70 des comptes de taxes qui faisait mention de la taxe seigneuriale comme si elle était perçue par les municipalités
Oui ce sont les municipalités qui ont finalement été chargées d’administrer l’extinction de ces rentes. C’était beaucoup de travail, elles se sont plaint et elles ont obtenu une commission sur les montants recueillis comme dédommagement.