Catégorie: Histoire de Lanaudière
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Joliette et le village de L’Industrie

Le fondateur de la ville de Joliette, d’abord nommée L’Industrie ou Industry Mills, était Barthélémy Joliette époux de Marie-Charlotte de Lanaudière. À la fois seigneur et homme d’affaire c’est un personnage étonnant qui a marqué l’histoire de Joliette. Jean-Claude Robert a écrit sa thèse universitaire sur lui, en voici un aperçu.

Cette chronique documente le fondateur de la ville de Joliette; Barthélémy Joliette a aussi été un politicien controversé à son époque, particulièrement au temps des Rébellions de 1837-1838. J’ai documenté cet autre aspect de sa vie dans la chronique Barthélémy Joliette politicien vire-capot (1789-1850).

Barthélémy Joliette était le fils d’Antoine Joliette marchand de Berthier, clerc de notaire chez Barthélémy Faribault et notaire de 1788 à son décès en 1791. Sa mère Marie Catherine Faribault faisait partie d’une famille de notaires très influente dans la région de L’Assomption et Berthier. Le 29 décembre 1786 Cécile Papin veuve de François Joliette marchand voyageur a fait cession à Antoine Joliette et Marie Catherine Faribault de ses biens.

La famille Tarieu de Lanaudière

Né en 1789 à Montmagny, Barthélémy Joliette, descendant de l’explorateur Louis Jolliet, épouse en 1813 Marie Charlotte Tarieu de Lanaudière, fille du seigneur de Lavaltrie. Il est alors notaire à L’Assomption chez son oncle Faribault qui administre la seigneurie de Lavaltrie pour le compte de la famille Lanaudière. En avril 1822 la seigneurie est partagée entre les héritiers, une moitié allant au fils aîné Pierre-Paul Tarieu de Lanaudière et un quart à chacune des filles, Marie-Charlotte et Marie-Antoinette. Très vite, Joliette parfaitement au courant des affaires de la seigneurie par son travail prend le contrôle de la situation. Le frère aîné, seigneur typique de son époque, ne s’y intéresse pas, il dépense et s’endette. Son beau-frère le docteur Peter Charles Lœdel vient tout juste de revenir au pays et s’en remet à Joliette qu’il suivra dans ses entreprises.

La seigneurie de Lavaltrie

La seigneurie de Lavaltrie
La seigneurie de Lavaltrie (Ill. J.C. Robert)

Située sur le bord du Saint-Laurent la seigneurie de Lavaltrie s’étend jusqu’au canton de Kildare. Elle comprend 16 rangs et 694 lots concédés à des censitaires. Les 3 premiers rangs du canton de Kildare (109 lots) font aussi partie de la seigneurie. C’est une seigneurie très agricole, 2 domaines seigneuriaux, le premier à Saint-Antoine de Lavaltrie et le deuxième plus récent à Saint-Paul (Conversion de Saint-Paul) ont été établis par les seigneurs mais en 1829 il n’y a que 4 maisons à Lavaltrie et 20 à Saint-Paul. Pour compléter le portrait il y a 3 moulins, 1 à scie et 2 à farine pour les besoins des habitants.

Depuis 20 ans le notaire Faribault administre la seigneurie, c’est un homme d’affaires averti qui contrôle les moulins de la région et s’intéresse au commerce du bois. B. Joliette fait son apprentissage chez lui.

L’héritage

En 1822 lorsqu’il prend en main l’administration de la seigneurie, Joliette hérite d’une situation difficile. La crise économique et la baisse généralisée des prix dureront encore de nombreuses années. La moitié des censitaires ne peut pas payer le cens en numéraire puisque l’argent est rare. La dette accumulée représente 16 années de revenus, une somme colossale.

La situation de la famille Lanaudière est très complexe, Joliette a réussi à obtenir une hypothèque sur la succession qui le rend maître de fait de la seigneurie même si il n’a pas le titre de seigneur.

Le village de L’Industrie

Le plan de Joliette est simple, c’est la logique d’un homme d’affaires. Les terres agricoles sont saturées mais un nouveau marché s’ouvre, le bois d’œuvre. À partir de 1800 l’Angleterre se tourne vers le Canada pour son approvisionnement, les besoins sont immenses. Donc ses censitaires pourront rembourser leur dette en bois ou en travail si ils ne peuvent pas le faire en argent. Le nord de la seigneurie est encore boisé et les cantons de la couronne abondent de beaux pins. En 2 ans il récupère tous les arrérages, les récalcitrants se retrouvent au tribunal (19 procès en 1823).

Le nouveau domaine Saint-Paul

Le domaine Saint-Paul site du village L'Industrie
Le nouveau domaine Saint-Paul (ill. J.C. Robert)

Il faut un moulin, un gros moulin. Le domaine seigneurial est donc déménagé sur la rivière L’Assomption où le courant est assez fort. Le moulin est terminé au printemps 1824, il fait 115 pieds par 50 avec 3 étages, c’est un ouvrage très imposant pour l’époque. Joliette crée le nouveau domaine Saint-Paul en réunissant 5 terres qu’il échange ou récupère pour des arrérages impayés et le 11 novembre 1824 les premiers lots sont concédés dans le Village de L’Industrie sur la rue du Moulin de L’Industrie.

En 1825 Joliette déménage de L’Assomption où il résidait pour s’établir à L’Industrie. Il fait construire 2 manoirs en 1828 pour lui et son beau-frère, son associé en affaires, en face du moulin. Le seigneur résidait donc dans son manoir entouré de quelques cabanes de bûcherons très pauvres entièrement dépendants de lui.

Le manoir de Barthélémy Joliette à L'Industrie
(ill. BANQ)

L’exploitation du bois

Le produit d’exportation est le madrier de pin. Les billots de pin de 12’6″ X 22″ au petit bout sont amenés au moulin qui a une capacité d’environ 20.000 billots par an. On commence par déboiser le domaine mais dès 1826 il faut aller plus loin. On remonte le long des cours d’eau et tout le bassin de la rivière L’Assomption est couvert. Par exemple en 1835 un agriculteur de Kildare s’engage à fournir 5.000 billots à couper dans le canton de Chertsey. En 1842 Joliette obtient un droit de coupe sur les terres de la couronne sur 3 miles de chaque côté de la rivière L’Assomption et ses affluents pour 6.000 billots. 3 ans plus tard la concession est portée à 10 miles, il faut toujours aller plus loin.

Une fois amenés au moulin les billots sont sciés en madriers et il ne faut plus qu’ils soient mouillés. On les descend donc en chariot au confluent de L’Assomption et de la Ouareau où ils sont chargés sur des barges pour les amener à Repentigny. Il faut ensuite les transborder sur le bateau qui les amènera à Québec. La première année Joliette et Lœdel descendent jusqu’à Québec avec leur bois pour le vendre, ils choisiront par la suite de faire affaire avec des courtiers de Québec qui s’en chargent. Un contrat typique est celui passé en 1827 avec William Price pour la fourniture de 20.000 madriers de 12′ X 3″ X 11″.

Lire: Historique des moulins de Joliette

Le village

Les premiers habitants du village sont des bûcherons très pauvres entièrement dépendants de leur patron. Voici le portrait qu’en fait le curé de Saint-Paul en 1825:

Le village est composé, et pour la majeure partie, de toute la canaille qu’ils ont pu ramasser de côté et d’autre… qui viennent assaillir nos portes le sac au dos. On y trouve des garçons qui vivent avec des femmes qui ont quitté leur mari, et des cousins et cousines germaines mariés par devant laïcs.

Dans un autre témoignage de J.A. Pelletier on apprend que des gens sans rien s’établissent autour du moulin (et des manoirs) dans des cabanes en bois rond insalubres, c’est la crise économique. En 1829 il y a 42 censitaires mais seulement 35 maisons pour 100 à 200 habitants.

Le patron est un dur, de nombreux témoignages en font foi, le genre à déplacer les bornes pour empiéter chez le voisin. Il est craint mais c’est en même temps un bon homme d’affaires, la prospérité vient peu à peu et profite à tous. En 1837 un second moulin est construit au même endroit.

Lire: Le village d’Industrie et son organisation municipale

Lire: La construction du marché Bonsecours de L’Industrie

La paroisse Saint-Charles-Borrromée

En 1841 la population est de 531 personnes dont 313 enfants il faut organiser la ville.

Joliette n’est pas un bon chrétien et il a de nombreux démêlés avec les curés et les évêques qui lui refusent longtemps l’érection d’une paroisse. Fort de son statut de député il se fait des amis influents et en 1842 il fait construire une église. La paroisse Saint-Charles-Borromée-du-Village-de-L’Industrie est érigée en 1843. En 1847 il fait bâtir un collège qu’il confie aux Clercs de Saint-Viateur. Mais ce sont ses propriétés privées ce qui inquiète beaucoup le clergé (le curé Manseau entre autres) car tout est lié à la bonne marche de ses affaires. En plus il n’a pas d’enfant et la succession si il décède va demander des comptes (ce qu’elle n’ose pas demander de son vivant tant il est craint de tous).

La première église de Joliette
(ill. BANQ)

En 1837 il a fait construire un marché. Il s’occupe des routes et des ponts. Il fait refaire le cadastrage de la seigneurie. Il agit donc comme un agent urbain qui organise le territoire en plus de son rôle de seigneur. C’est un des rares Anciens Canadiens à avoir su assumer ce rôle. On peut dire qu’il a ouvert le territoire de Lanaudière comme un seigneur entrepreneur.

Sa dernière grande réalisation sera le « chemin à rails ». Transporter les madriers jusqu’au fleuve coûte très cher, il entreprend donc de 1847 à 1850 la construction d’une voie directe jusqu’à Lanoraie en formant une compagnie à actions. L’investissement est conséquent et prendra des années à se rentabiliser, c’est un projet à long terme pour amener le bois au fleuve pendant la saison de navigation. Décédé en 1850 il pourra assister à l’inauguration.

Il aura tout juste le temps de léguer l’église au Curé Manseau et le collège aux Clercs de Saint-Viateur avant de mourir. Heureusement car la succession est compliquée, il avait utilisé les revenus de toute la seigneurie pour ses entreprises il faut rendre des comptes.

Le régime seigneurial sera aboli en 1854. Les censitaires devront racheter aux seigneurs leur droit pour devenir propriétaires des terres concédées mais c’est un autre chapitre de l’histoire de Joliette.

La ville de Joliette en 1881
(ill. Au fil des années, L.G. Gauthier)

Lire: Les donations des époux Joliette en 1850

L’Honorable B. Joliette

Dès le début de sa carrière Barthélémy Joliette est tenté par la politique. Brièvement député de Leinster en 1814 et 1820 ce n’est pas un succès et il abandonne. En 1830 il se représente et il est élu député de L’Assomption au Parlement du Bas-Canada. Il quitte dès 1832 pour être nommé au Conseil Législatif, ce qui lui donne le titre d’Honorable dont il est très fier.

Pendant la rébellion de 1837 il prend clairement parti contre les Patriotes. Pour une fois le clergé le félicite, le curé Poirier de Sainte-Anne-des-Plaines écrit:

En présentant mes respects à M. Joliette, dites lui qu’il passe de bonnes lois qui nous autorisent pleinement à comprimer l’audace de nos patriotes… Saluez Mr Lagarde votre bon curé et invitez le à tonner contre le patriotisme.

En 1838 Joliette est membre du Conseil Spécial du Bas-Canada jusqu’en 1841 puis à nouveau membre du Conseil Législatif jusqu’à son décès. C’est un poste prestigieux mais comme il était du mauvais bord on l’a un peu oublié.

Sources

Cet article est largement inspiré d’un livre trouvé à BANQ, une thèse universitaire de Jean-Claude Robert intitulée « L’activité économique de Barthélémy Joliette et la fondation du village de L’Industrie » présentée à l’Université de Montréal en 1971. On en trouve un résumé sur le site erudit.org

Carte du Québec

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