Le rêve du curé Labelle était d’édifier à Nominingue une ville au centre d’une riche région agricole, les Hautes-Laurentides. Puis d’occuper le territoire jusqu’au nord de l’Ontario et du Manitoba. L’Histoire en a décidé autrement mais le village de Nominingue conserve un ensemble de bâtiments racontant cette histoire. Ils n’existent pas ailleurs et si ils sont abandonnés ils vont disparaître.
En 1988 nous vivions à Montréal. Un jour un ami de Nominingue nous a dit de venir voir une maison historique que les Sœurs de Ste-Croix cherchaient à vendre. Nous sommes venus la visiter et le lendemain nous faisions une offre d’achat.
Le provincialat des Sœurs de Ste-Croix
C’était le Provincialat de la communauté de Ste-Croix pour la province du nord, les bureaux administratifs. La maison était devenue trop grande et la sœur Provinciale s’était installée à Mont-Laurier dans un vrai bureau.
Cette maison a été construite en 1899 par Joachim Gagnon pour accueillir les Chanoinesses des Cinq Plaies, religieuses venues de France à la demande des Chanoines Réguliers de l’Immaculée-Conception (C.R.I.C). Cette construction sert à la fois de prieuré, juvénat, hôpital, hospice et orphelinat. Ces femmes y exercent leur ministère jusqu’en 1914. Elles sont remplacées par les missionnaires de l’Immaculée-Conception jusqu’en 1916. Ensuite, jusqu’en 1934, la maison est utilisée comme presbytère. Les Sœurs de Sainte-Croix achètent la maison pour agrandir le couvent. Elles y installent des salles de classe, de musique, un laboratoire de chimie, un atelier d’histoire naturelle et un atelier de tissage. En 1950, il devient le lieu de résidence des membre du Conseil de la Province religieuse Christ-Roi des Sœurs de Sainte-Croix jusqu’en 1985. Depuis 1988, il s’agit d’un gîte.
Répertoire du patrimoine culturel du Québec
Le moulin à bois des Jésuites se trouvait juste à côté sur le lac St-Joseph, la maison a été construite avec du bois scié sur place par un artisan compétent, Joachim Gagnon, qui avait déjà construit la Villa Bellerive, autre bâtiment historique de Nominingue.
En faisant une recherche j’ai trouvé que Le Provincialat a plutôt été construit en 1900 et que la galerie extérieure a été ajoutée en 1908.
Lire: Les pionniers du lac Nominingue (1900-1906)
Le Provincialat avait été très bien entretenu mais pendant l’hiver 1987 le chauffage avait arrêté et les tuyaux avaient gelé faisant quelques dégâts. Il fallait réparer le chauffage avant le prochain hiver et comme les sœurs ne voulaient plus investir d’argent, elles nous ont fait un prix. Notre projet de gîte touristique permettait de trouver une nouvelle vocation au bâtiment qui aurait pu disparaître, personne d’autre n’ayant fait d’offre.
De 1985 à 1988 la municipalité de Nominingue et les soeurs avaient fait faire des études de marché très sérieuses pour transformer cette maison historique en musée. Mais le projet ne pouvait pas être rentable sans subvention pour payer les salaires des employés, il a été abandonné.
Lire: L’écomusée de la Vallée de la Rouge
Le gîte touristique Le Provincialat
Rentabiliser un gîte touristique dans les Hautes-Laurentides n’est pas évident et les frais d’entretien d’un bâtiment patrimonial sont importants. Nous n’avons reçu aucune aide, ni de la municipalité ni d’ailleurs. Nous y avons passé de très belles années et avons réussi à trouver notre clientèle mais ça n’a pas été facile.
L’auberge du passant Le Provincialat
Quand la piste cyclable du P’tit Train du Nord a ouvert une nouvelle clientèle de cyclistes nous a permis de continuer. En 1999 nous avons gagné le Grand Prix du Tourisme dans les Laurentides en créant le réseau Les Belles Auberges d’Autrefois, le premier à proposer des forfaits tout-compris entre St-Jérôme et Mont-Laurier.
Le Provincialat était un lieu apprécié des artistes, nous y avons présenté plusieurs spectacles très intimes. Un de ces beaux moments a été le spectacle de Claude Gauthier. Sa femme Suzanne et lui avaient ouvert un gîte touristique dans une ancienne pension de draveurs au bord de la Lièvre, ils étaient venus nous rencontrer.
Les sœurs nous ont raconté que le frère André et Félix Leclerc, entre autres, étaient déjà venus visiter notre maison quand elle était l’annexe de l’Institut Ménager. Avec le monastère et l’école situés à côté on était au centre de l’histoire des Hautes-Laurentides.
Une tempête au début juillet 1999 alors que la saison touristique commençait a été terrible mais le Provincialat n’a pas bougé, il est bâti solide.
Le paysage a complètement changé, on était dans la forêt, on s’est retrouvés au sommet d’une colline dénudée. Mais le Provincialat est resté aussi beau:
L’auberge le Provincial’Art
En 2003 nous avons dû vendre le Provincialat. C’est un couple de retraités qui a continué l’auberge en la rebaptisant Provincial’Art jusqu’à vers 2020. Ils avaient très bien entretenu le bâtiment, les photos du Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec datent de 2016 quand Le Provincialat a été inscrit à l’Inventaire du patrimoine culturel de la MRC d’Antoine-Labelle. Les arbres commençaient à repousser.
En mai 2020 j’avais pris cette photo, le Provincial’Art était à vendre.
En me tournant à droite j’avais aussi pris cette photo d’un jeune chevreuil que j’avais dérangé devant le monastère situé à côté. Tout était très tranquille dans le secteur ce matin là.
Et puis à l’automne 2022 quelqu’un m’a écrit pour me dire qu’il se promenait souvent sur le rond-point devant le Provincialat qui semblait abandonné. Une autre source vient de me dire que le bâtiment ne semble plus habité ni chauffé.
L’Institut Ménager de Nominingue barricadé
En 2003 quand nous sommes partis de Nominingue l’ancien Institut Ménager des sœurs de Ste-Croix situé juste en face de l’école était déjà barricadé, un énorme bâtiment abandonné. Vingt ans plus tard la situation n’a pas changé sinon pour le pire.
Le site internet Urbex Playground publie des photos de bâtiments en ruine. On y trouve un article intitulé le vieil institut familial abandonné avec des photos de l’intérieur:
Le bâtiment avait été transformé en résidence pour personnes âgées mais le propriétaire a rapidement fait faillite et depuis cet énorme bâtiment pas très beau tombe en ruines devant l’école de Nominingue, c’est inspirant pour les jeunes.
En 1900, un couvent est construit par Joachim Gagnon pour les religieuses Marianites de Sainte-Croix. L’enseignement est mixte jusqu’en 1908. Un enseignement ménager est donné dès 1902. Successivement, le couvent devient École ménagère régionale et École supérieure de l’enseignement ménager.
Ce premier couvent est ensuite démoli pour faire place à cet édifice érigé en 1951 selon les plans de l’architecte Lucien Parent et par l’entrepreneur M. Boileau. On le connaît pendant des années sous le nom d’Institut familial. Ensuite, le bâtiment accueille les religieuses âgées pour leur retraite. L’édifice est abandonné depuis plusieurs années.
Répertoire du patrimoine culturel du Québec
Le Monastère de Nominingue
Le Monastère Marie-Immaculée des Apôtres de l’Amour Infini est situé à côté du Provincialat. Jusqu’en 1932 l’église de Nominingue se trouvait aussi à cet emplacement. Avec l’école et l’Institut Ménager c’était le centre historique de Nominingue et des Hautes-Laurentides entre 1880 et 1920.
En 1892, les Chanoines réguliers de l’Immaculée-Conception (C.R.I.C) prennent la relève des Jésuites, occupent la petite chapelle et construisent un petit monastère en 1894. Ce monastère subit un agrandissement en 1911-1912. En 1906, le journal L’Ami du Colon y est imprimé. En 1908, une première caisse populaire y loge. Une première classe du collège ouvre en 1910. En 1914, les C.R.I.C. quittent Nominingue pour la France. Le Monastère est vendu aux religieuses missionnaires de l’Immaculée-Conception et devient le lieu de formation des novices, maison de repos et maison de retraites fermées. Aujourd’hui, il est la propriété des Apôtres de l’Amour infini.
Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec
Le monastère a été inscrit à l’inventaire du répertoire culturel de la MRC d’Antoine-Labelle en 2016 et les photos datent de cette époque. L’édifice est entretenu mais il est énorme et il n’y a que quelques moines qui y habitent.
J’ai retrouvé dans mes archives un document racontant l’histoire du monastère. Il a été publié en 1981 et le monastère s’appelait alors L’Auberge de la Nouvelle Ère. En 1975 les sœurs de l’Immaculée-Conception avaient vendu le monastère à l’Institut de Métaphysique appliquée. C’est encore l’histoire du Québec qui se raconte là. Aujourd’hui des apôtres attendent la venue du Messie, des chambres sont prêtes pour y accueillir ceux qui seront sauvés. Ils attendaient en 1988 et ils attendent encore.
L’histoire de la Grande Maison Blanche de Nominingue – Juin 1981
Lire: L’Ami du Colon et la Coopérative de Nominingue
Les Apôtres de l’Amour Infini ont entretenu le bâtiment qui sans eux aurait sans doute disparu depuis longtemps. Ils ne reçoivent aucune aide eux non plus et le bâtiment historique le plus important de Nominingue dépend d’eux (il semble que e bâtiment ait été vendu depuis la parution de cet article). D’autres très belles maisons anciennes appartenant aux communautés religieuses ont déjà disparu du patrimoine de Nominingue, c’est vraiment triste.
L’abandon progressif des bâtiments de ce secteur historique de Nominingue me touche beaucoup, j’y ai vécu 15 belles années, immergé dans le patrimoine et l’histoire du Québec. J’ai du mal à comprendre que personne à Nominingue et dans les Hautes-Laurentides ne réagisse.
Visite le 11 avril 2023
Comme personne ne nous donnait de nouvelles nous avons fait le voyage dès qu’il a fait beau. La maison semble effectivement être abandonnée, il y a des vidanges partout sur le terrain et sur la galerie. Nous avons sonné mais il n’y a pas eu de réponse. Comme la porte était débarrée nous sommes entrés et nous avons appelé mais personne n’a répondu. Il y avait des lumières allumées et la maison était chauffée. Nous n’avons pas osé insister en allant voir dans les autres pièces. C’est très étrange et démoralisant. On dirait que le propriétaire est parti un jour en laissant tout en plan. Tout commence déjà à se dégrader.
Par la fenêtre de la cuisine qui se trouve à gauche en entrant nous avons vu de la vieille vaisselle qui traînait partout. Les fenêtres du grenier étaient ouvertes même si le chauffage fonctionnait. Un calorifère traînait sur la galerie.
En faisant des recherches sur internet j’ai appris que le nouveau propriétaire est décédé en novembre 2021 au Provincialart quelques mois après l’avoir acheté. Je suppose qu’il doit y avoir un problème de succession mais il faut espérer qu’il se règle avant que le bâtiment ne se détériore irrémédiablement.
Vu sur internet: 5 juillet 2024
Ça ne doit pas être évident à vendre à ce prix là, le 6 septembre je remarque que l’annonce est toujours là: 1.006.031 $ avec les taxes. En 1988 la propriété a été vendue pour 50.000 $ il faut croire que Nominingue est devenu une destination touristique très à la mode depuis 1988.
il y aurait une étude à faire sur les raisons de « l’ effondrement » de ce patrimoine. Quand les usines ont fermé, l’Église s’est retiré, il est resté 2 classes qui pourraient intervenir, les gens du coin et les villégiateurs. Ces derniers arrivent souvent avec leur nourriture et comme ils sont en vacance, inutile de compter sur eux. Pis les gens du coin font tout leur possible pour survivre. Ça prendrait un maniaque du patrimoine qui devienne maire ou conseiller(e).
Chapeau pour ton très intéressant reportage sur l’état des lieux.
do you have any information regarding the insane asylum or juvenile center with 4 abandoned mansions following down the trail, they ara close to a summer camp next to the lake.
Très intéressant. Mais bien triste.
depuis plusieurs années beaucoup de bâtiments sont laisser à l’abandon vraiment triste de perdre une grande partie de l’histoire de Nominingue . Je vient de lire Vie de Pionniers de Lucille Lalande de Nominingue, ses gens ont travailler tellement fort pour bâtir se village et aujourd’hui BOF !! ça n’a plus d’importance. désolant.
Bonjour,
Je cherche de vieilles photos de la rue Martineau à Nominingue
(Ma mère y a habitée durans sa jeunesse)