Edward Scallon a été le premier maire du village de L’industrie. Il possédait des moulins en amont sur la rivière L’Assomption où il a voulu fonder le village d’Entreprise, inspiré par l’exemple de Barthélémy Joliette. À sa mort on a célébré un fondateur et un bienfaiteur mais c’était aussi un capitaliste qui a fait fortune dans le commerce du bois.
Edward Scallon était d’origine irlandaise, il est né en 1813; malingre de corps il avait une volonté de fer. Vers 1839 il est arrivé à L’Industrie et a d’abord travaillé pour B. joliette et P.-C. Loedel; il a épousé Mathilde Ducondu le 14 septembre 1841 à St-Paul de Lavaltrie.
Ce magnifique portrait d’E. Scallon est anonyme mais il est sans doute de W. Notman. Il date de 1864 année de son décès et il y a un autre portrait de sa fille adoptive dans la collection du musée McCord datant lui aussi de 1864 et signé par Notman (voir à la fin de l’article).
L’histoire du moulin des Sœurs
Dans le livre St-Ambroise de Kildare, un village du Québec de J.-Claude Lapierre un chapitre est consacré au moulin des Sœurs. M. Scallon avait acheté de B. Joliette un terrain où il fit bâtir sur la rive sud-ouest de la rivière L’Assomption à quelques arpents du rang double, un moulin à scie et à farine. On voit sur la carte plus bas (1853) que le site coloré en rouge situé à une lieue (4 km) en amont du centre-ville de Joliette est exactement à la limite entre la seigneurie de Lanoraie et le canton de Kildare. Georgiana et Mary Cuthbert, filles de Ross Cuthbert et seigneuresses de Dautray et Lanoraie avaient fait cession de leur droit sur la rive est de la rivière à E. Scallon devant notaire pour qu’il puisse bâtir ses installations.
La Maison Antoine Lacombe qui se trouve vis à vis de l’emplacement des moulins a été achetée par Scallon en 1860 mais il l’a revendue aussitôt.
Le moulin de M. Scallon était une entreprise considérable, sa position sur la rivière L’Assomption lui permettait de recevoir le bois qui était coupé à de grandes distances de là; les bûcherons dans les chantiers au nord du township de Kildare, de la seigneurie d’Ailleboust, du township de Brandon et d’autres plus au nord plaçaient leur bois sur la rivière l’Assomption et au printemps le dravaient jusqu’au moulin. Durant plusieurs années le nombre de billots sciés dépassait 20.000…
À quelques deux cents pieds en amont du moulin il y avait un pont qui reliait Ste-Julie à la Visitation et permettait de circuler facilement d’une rive à l’autre. Une fois les moulins abandonnés, les glaces ne mirent pas longtemps pour emporter ces ouvrages; pont et chaussée.
J.-Claude Lapierre
L’auteur ajoute qu’en 1914 une grosse distillerie de boisson frelatée fut démantelée dans les vestiges des moulins. On appelait ces moulins « moulins des Sœurs » car les Sœurs de la Providence en étaient devenues propriétaires pendant quelques années.
Les moulins du Village d’Entreprise
Dans la récapitulation, par districts et comtés, des retours du dénombrement des habitants du Bas-Canada de 1844 il y a 1 moulin à farine, 1 moulin à avoine et un moulin à scie au village d’Industrie; il y avait aussi une distillerie. Dans l’article de L’Étoile du Nord il est écrit que Scallon aurait participé à la construction des 2 moulins du village d’Industrie et d’une distillerie de whisky avec B. Joliette vers 1837-1840 mais qu’un incendie détruisit la distillerie. L’emplacement de cette distillerie n’est pas précisé.
À la mort de B. Joliette en 1850 Scallon a continué à administrer la ligne de chemin de fer construite par Joliette entre le Village de L’Industrie et Lanoraie. Il a pris le contrôle du commerce du bois dans la région en rachetant les limites de bois dans les terres de la Couronne appartenant aux seigneurs de Lavaltrie.
En 1855 le journal La Minerve rapporte que Mr. Scallon du Village d’Entreprise a fait construire 2 moulins, un à farine, l’autre à avoine; il comptait construire des moulins en tous genres pour enrichir le village d’Entreprise.
Les moulins à farine du Village d’Entreprise ont été construits avec le plus grand soin et sont tout à fait supérieurs dans leur genre. Il suffit pour s’en convaincre de savoir que le moulin à blé peut moudre 960 minots en 24h et le moulin à avoine 300 minots, n’offrant pas ainsi l’inconvénient de ces lenteurs et de ces retards que le cultivateur éprouve trop souvent dans les établissements semblables.
La Minerve 20 février 1855
Le 15 juillet 1853, la société d’exploitation forestière Scallon et Leprohon a été constituée. Outre Scallon, elle groupait les principaux entrepreneurs de la région : Bernard-Henri Leprohon, Gaspard de Lanaudière et sa tante Marie-Charlotte Tarieu Taillant de Lanaudière, veuve de Barthélemy Joliette. La société exploitait une ferme et plus de 120 milles carrés dans le canton de Cathcart pour approvisionner les chantiers de bois.
Grâce au commerce du bois, Édouard Scallon réussit à amasser une fortune importante évaluée lors de son décès, en 1864, à environ $100 000. La spéculation foncière l’a aussi intéressé et il fut probablement le plus important bailleur de fonds de la région. Il prêta même à la seigneuresse de Lavaltrie, Marie-Charlotte de Lanaudière, au taux fort élevé de 12 p. cent et prit une hypothèque sur dix de ses propriétés dont le fief de Lavaltrie lui-même.
Dictionnaire biographique du Canada
Le village de L’Entreprise n’a pas pu se développer si près du village de L’Industrie en plein essor. Le site a été abandonné et le rêve de Scallon s’est évanoui après son décès.
Pour connaître l’histoire des moulins du village d’Entreprise lire: Historique des moulins de Joliette
Le 4 décembre 1857 G. DeLanaudière, B.-H. Leprohon, la veuve Joliette et E. Scallon ont mis fin à leur association et les propriétés de leur compagnie de commerce de bois ont été mises en vente à l’encan au marché de L’Industrie. Edouard Scallon a racheté les 120 miles de limites de bois et la ferme qui sont décrits en détail dans ce contrat.
Un avis avait été publié par Ewd. Scallon le 11 novembre 1857 dans le Montreal Herald pour annoncer la vente de ses limites de bois. Un autre article du 21 juillet 1858 montre qu’il avait vendu son magasin de marchandises sèches à la firme Bruyère & Coffin. Son moulin à scie et ses limites de bois ont été achetées par des américains, L. Flout, A. B. Hallowell, Bergeman et D. Peck, associés dans la compagnie Flout, Hallowell & Co. En décembre 1859 E. Scalon a publié une nouvelle annonce pour vendre son magnifique moulin à farine situé à 1 lieue du village d’Industrie ainsi que plusieurs autres emplacements.
Le 19 juin 1860 E. Scallon a vendu à Prosper Lavoie, meunier de Sorel, un terrain bâti d’un moulin à farine, un moulin à scie, un hangar, une maison et autres dépendances pour 2.000 livres. La vente excluait le moulin à scie qui avait déjà été vendu avec les limites de bois. Le 5 mars 1861 Edward Scallon a vendu à Charles Chaput le 13ème lot du 2ème rang de Kildare moins une portion déjà vendue à Charles Edward Scallon et une autre à Benjamin Peck. Le moulin à farine appartenait à Prosper Lavoie et E. Scallon conservait un lopin de terre en aval du pont. Un plan accompagne le contrat, il est en 2 parties que j’ai recollées et montre que le moulin d’E. Scallon n’était pas sur l’île des Soeurs mais en amont. Le moulin à scie vendu à B. Peck semble avoir été inclus dans la même bâtise mais ce n’est pas très clair.
Edward Scallon a quand même continué le commerce du bois et est décédé le 15 mars 1864 dans un de ses chantiers de bois entouré de ses bûcherons.
Maire de L’Industrie et bienfaiteur
En 1855, sous l’Acte des municipalités et des chemins du Bas-Canada, le village forme son conseil et élit son premier maire, Édouard Scallon. En 1857, on change le nom pour «corporation municipale de la paroisse Saint-Charles-Borromée». À la suite de l’acte d’amendement de 1856, le 17 mars de la même année se tenait une assemblée des citoyens afin de former un comité pour incorporer la municipalité sous le nom de «ville de l’Industrie». Le 20 janvier 1862, Gaspard DeLanaudière est élu deuxième maire.
Serge Cholette, Joliette… de village en devenir à ville affranchie
En 1855 Scallon avait été le premier maire de la paroisse de St-Charles-Borromée; après la mort de Barthélémy Joliette il était devenu le patron de la région, il connaissait parfaitement bien le fonctionnement du commerce du bois dont tout le monde dépendait. Sa fortune lui permettait de prêter de l’argent aux habitants de la région au taux de 12% d’intérêt, ce qui était le maximum possible à ette époque; il était certainement dur en affaires.
À Joliette, il fut fondateur et président d’une «filiale» de l’Institut canadien de Montréal, l’Institut d’artisans et association de bibliothèque du village d’Industrie, fondé en 1858.
Par testament, Scallon légua à peu près toute sa fortune à la paroisse de Joliette pour la construction d’une école de métiers consacrée aux moins fortunés, et aux Sœurs de la Providence pour l’agrandissement de l’hôpital construit sur un terrain qu’il leur avait déjà concédé. L’École industrielle, qui ouvrit ses portes en 1884, devint après 1905 un « jardin d’enfants ».
Dictionnaire biographique du Canada
Le 3 février 1862 Edward Scallon et son épouse Mathilde Ducondu ont fait une importante donation à la Corporation Épiscopale Catholique Romaine de Montréal.
- 1° Une somme de 833 livres égale à 3.333$ dûe par Prosper Lavoie qui a acheté son moulin à farine de L’Entreprise
- 2° Une rente perpétuelle de 75 livres pour un capital de 5.000$ aussi dûe par Prosper Lavoie pour l’achat du moulin et garantie par plusieurs terrains
- 3° Un lopin de terre situé en la paroisse St-Pierre de Sorel
Le premier montant de la donation devait servir à l’érection et construction d’un Hopital ou Maison d’Industrie dans le dit village d’Industrie pour y recevoir et loger les pauvres malades invalides ou infirmes Catholiques Romains du village d’Industrie. La rente devait servir au maintien, soutien et entretien de l’hopital.
Le 10 décembre 1863 E. Scallon et sa femme Mathilde Ducondu ont fait une autre donation à l’Union St-Joseph de L’Industrie d’un emplacement de 25 pieds de front par un arpent sur la rue du Moulin avec une maison et autres bâtiments.
Dans les dernières années de sa vie et en particulier en 1863 Edward Scallon a fait de nombreuses transactions immobilières, achetant et vendant des terres et consentant des prêts d’argent à un taux d’intérêt élevé de 12% chez le notaire Barthélémy Vézina surtout.
Edward Scallon est décédé le 15 mars 1864, le journal Le Canadien lui a consacré un article le 28 mars.
A.-C. Dugas dans le 3ème tome de Gerbes de souvenirs raconte les circonstances du décès d’Edward Scallon:
Il était convenable que M. Scallon mourût comme il avait vécu, dans les bois, dans les neiges, au milieu de ses hommes de chantier sur lesquels il exerçait un si vaste ascendant. Il y mourut en effet au mois de mars 1864.
Dans la semaine du 15 mars nous apprîmes, me dit mon obligeant bailleur de notes, que M. E. Scallon était mort dans son chantier. Grande et profonde sensation à L’Industrie! On nous annonça bientôt que le corps du défunt arriverait à Joliette le mercredi après-midi, vers 4 heures. À l’heure précise, toute L’Industrie était échelonnée le long de la rus Saint-Charles-Borromée, y compris les élèves du collège…
Le Messager de Joliette parle de l’encan du regretté défunt, l’un des plus considérables faits à Joliette et qui eût lieu le 29 août suivant. L’énumération seule de tout le mobilier nous donne une idée de la richesse et du confortable qui régnait en cette maison spacieuse si longtemps connue à l’angle des rues St-Charles-Borromée et de Lanaudière. Il s’y est vendu une énorme quantité de chevaux, de voitures, de boeufs et, en plus, 36 quarts de lard…
M. Scallon eut un frère, Charles, qui vint le rejoindre à Joliette. Il demeurait en face de l’église. Ses deux fils, Joseph-Édouard et William firent leurs études au collège de Joliette.
Charles-Edward n’était pas le frère d’Edward mais son cousin. Lire: Edward et Charles Edward Scallon marchands de bois.
La succession d’Édouard Scallon
L’inventaire de ses biens qui a été fait après son décès est un acte notarié de plus de 300 pages qui fait la liste de tous ses biens et donne beaucoup d’informations sur son commerce de bois, j’en ai fait une longue analyse dans la chronique suivante.
Lire: Décès et succession d’Edward Scallon en 1864
Mathilde Ducondu son épouse et sa fille adoptive Hermine ont hérité de ses biens qui étaient considérables. Les moulins et les droits de coupe de bois subsistant (256 miles) avaient été vendus à des investisseurs américains (Maine) qui se sont rendu compte un peu tard que 50 de ces 256 miles avaient déjà été concédés à un autre entrepreneur; les titres n’étaient pas clairs à cette époque.
Scallon avait donné une garantie et la cause Ducondu v. Dupuy s’est d’abord rendue en Cour Suprême du Canada puis les héritiers Scallon ont fait appel au Conseil Privé de Londres qui a renversé la décision de la Cour Suprême en 1883 pour leur donner le bénéfice du doute.
En 1982 le gouvernement du Québec a promulgué la loi concernant la succession d’Edward Scallon. Elle règle un autre problème légal concernant le terrain de la chapelle de St-Joseph ou chapelle des Irlandais qui a servi de lieu de pèlerinage de 1876 à 1906 à Joliette.
Bonsoir monsieur Petit,
Je souhaite vous communiquer une information et référence, en réponse à ce paragraphe : « Dans un article de L’Étoile du Nord du 18 novembre 1915 récapitulant sa vie on apprend qu’il aurait construit 2 moulins et une distillerie de whisky avec lui vers 1837-1840 mais un incendie détruisit toutes les installations. Mais on ne sait pas où ils étaient situés. »
Poursuivant des recherches à propos de mes ancêtres Beauregard ayant habité Saint-Ambroise-de-Kildare aux XIXe et XXe siècle, j’ai déniché sur BANQ le document « Récapitulation, par districts et comtés, des retours du dénombrement des habitants du Bas-Canada, et d’autres informations statistiques obtenues durant l’année 1844 »
https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3168468
On peut y lire (parmi de nombreuses autres informations statistiques), aux pages à propos du comté de Berthier, qu’il se trouvait une distillerie à Saint-Ambroise-de-Kildare cette année-là. Notez bien que les deux seules autres distilleries recensées de la région se trouvaient à St-Cuthbert et à l’Assomption.
Voir p.26 et 33 (pagination du document d’origine, et non du fichier PDF).
On peut alors imaginer que la distillerie de whiskey d’Edouard Scallon se trouvait à Kildare !
Merci pour cette information intéressante, c’est bien la preuve que la distillerie était située à Kildare. Il y avait donc 1 distillerie, 1 moulin à farine, 1 moulin à avoine et 1 moulin à scie recensés en 1844 à Kildare.
J’ai publié une nouvelle recherche sur l’histoire des moulins de Joliette et j’ai trouvé 2 emplacements dans Kildare à cette époque: celui d’Edward Scallon et celui du moulin Lefebre plus en amont (île Bordeleau). Si vous avez d’autres informations l’histoire reste à redécouvrir…