La ville de Joliette commémore le 200e anniversaire de la fondation du village d’Industrie en 1823. J’avais offert de participer bénévolement à l’organisation de ces commémorations mais le comité ne m’a pas invité. J’ai donc essayé d’apporter ma contribution en complétant l’information d’un des panneaux de l’exposition présentée au parc Louis Querbes racontant l’histoire des fourneaux à chaux de Joliette.

Le Village d’Industrie, qui devenait officiellement Joliette en 1864, célèbre son 200e anniversaire cette année. À Joliette, nous accordons une importance capitale à notre histoire. Le conseil municipal est donc fier de souligner ces 200 ans de savoir-faire et d’honorer ce passage historique marquant, mentionne le maire, Pierre-Luc Bellerose.
Ville de Joliette
Une programmation qui passera à l’histoire
La ville de Joliette est ambitieuse, elle annonce sur son site internet que la programmation des commémorations du 200ème anniversaire de Joliette passera à l’histoire. Le premier volet est une exposition en plein air présentée au parc Louis Querbes consacrée aux industries phares de la ville depuis 200 ans.
La Société d’Histoire de Joliette (SHJL) appuyée par la ville de Joliette prépare depuis au moins 2021 cette exposition, elle a donc eu le temps de sélectionner dans sa riche collection de photos historiques celles qui pourraient le mieux illustrer les 200 ans de l’histoire de Joliette en les documentant sérieusement.
Tout le public peut se réapproprier, au contact de photos d’archives, les grandes heures du patrimoine industriel joliettain. L’exposition Nomade fait partie des actions commémorant le bicentenaire du Village d’Industrie, ancêtre de Joliette. Un anniversaire que la Ville fête avec une programmation qui passera à l’Histoire. Fondée en 1929, la Société d’histoire de Joliette a cumulé des milliers de documents sur le passé du territoire… Elle est appuyée dans ses activités par la Ville.
Ville de Joliette
Les grandes heures du patrimoine industriel joliettain
Les industries principales de la ville de Joliette depuis sa fondation illustrées par l’exposition sont les moulins à scie, la biscuiterie Dufresne, la brasserie de Joliette, plusieurs manufactures de tabac, la compagnie Acme Gloves Works, la poterie Vandesca et la carrière de pierres et le fourneau à chaux de la Joliette Limestone and Quarry Company. Je ne connaissais pas la poterie Vandesca qui semble avoir été une industrie très importante puisque 2 panneaux lui sont consacrés.
L’image du fourneau à chaux m’a particulièrement intéressé puisque j’avais déjà fait une recherche sur la géologie de la rivière L’Assomption à Joliette où je l’avais utilisée. J’avais publié le résultat de cette recherche dans la revue Le Messager de la SHJL en juin 2021.
La légende de l’image de l’exposition est Vue de la carrière et du fourneau à chaux de la Joliette Limestone and Quary Company (vers 1910). L’explication donnée en-dessous nous raconte l’histoire de la carrière de la famille Lanaudière qui a servi à exploiter les dépôts de pierre situés sur les bords de la rivière L’Assomption.
L’image montre un fourneau à chaux mais le panneau ne nous renseigne pas beaucoup sur son utilité ni sur la Joliette Limestone and Quarry Company. Il nous parle d’une carrière de pierres qu’on ne voit pas sur la photo puisqu’elle était de l’autre côté de la rivière. Joliette est un tout petit village qui n’a pas les moyens de faire des recherches historiques sérieuses, en revenant à la maison j’ai entrepris ma propre recherche sur le site de la BANQ pour essayer d’en savoir plus.
Les carrières du pont des Dalles
Sur la vue à vol d’oiseau de Joliette en 1881 on voit le pont des Dalles et une carrière en amont. Le plan de Joliette montre la rue de la Carrière en aval du pont. Tout ce secteur des 2 côtés de la rivière a été exploité dès la fondation du village d’Industrie en 1823 pour extraire des pierres servant à construire des bâtiments. Aujourd’hui il a été remblayé et entièrement modifié.


En 1893 le Joliette Illustré vantait les carrières de Joliette exploitées par M. Ed. Lauzon pour l’industrie locale. Il souhaitait qu’elles soient mieux connues pour apporter la prospérité à la ville de Joliette. Il n’était pas encore fait mention de four à chaux.

Le fourneau à chaux construit entre 1901 et 1904
Il y a certainement eu des fours à chaux construits dès le début du village d’Industrie. Le 30 décembre 1857 François Sauvage Beaudoin chaufournier de St-Charles-Borromée a donné une quittance à son gendre Louis Jetté.
La photo de la SHJL montre un fourneau à chaux situé sur le bord de la rivière l’Assomption en aval du pont des Dalles de l’autre côté de la rivière. Les photos de fours à chaux au Québec sont très rares, quand j’avais fait une recherche sur les chaufourniers de St-Thomas c’est une des seules que j’avais trouvé dans les archives. Cette photo est donc particulièrement intéressante.

La SHJL a fait un excellent travail d’édition pour agrandir cette petite image en améliorant tous ses détails. La photo de la SHJL ressemble beaucoup à une carte postale dont on retrouve plusieurs exemplaires sur le site de la BANQ. Elle est intitulée Moulin à Papier et Fourneau à Chaux. – Joliette, P. Q. (Canada) et datée de 19?? En comparant les 2 images on voit qu’il y a un second fourneau plus haut qui est moins visible sur la photo de la SHJL.
En cherchant chaux Joliette sur le site de la BANQ j’ai vite trouvé cet article de L’Étoile du Nord du 3 mars 1904 qui permet de dater plus précisément la carte postale. En 1904 une série de 16 cartes postales a été publiée par P. F. Pinsonneault à partir de photos de l’atelier de photographie Alain. Les photos des cartes postales ont donc été prises en 1904 ou avant. Et celle de la SHJL semble antérieure à la carte postale.

En continuant à chercher j’ai trouvé que le musée McCord de Montréal a dans sa collection un tirage original de cette photo qu’elle décrit comme un collotype. La numérisation de l’image est de meilleure qualité ce qui permet de mieux distinguer les détails des fours à chaux:

On trouve beaucoup d’informations dans le journal de Joliette L’Étoile du Nord. En 1906 elle rapportait que la Joliette Lime Stone Quarry Company a exploité un fourneau à chaux à partir de 1901 et qu’elle en a construit plusieurs autres depuis.

Il y avait donc plusieurs fourneaux à chaux le long de la rivière. Les filons de pierre calcaire affleuraient sur les bords de la rivière près du pont des Dalles. L’exploitation de la pierre calcaire concassée pour produire de la chaux puis du ciment demande de gros investissements, c’est devenu une industrie à Joliette entre 1900 et 1910. Il a fallu construire des fourneaux et les chauffer avec du carburant qui polluait.
La compagnie du chemin de fer du Pacifique Canadien avait construit un embranchement jusqu’au site des fours à chaux près du pont des Dalles. Sur le plan Goad de 1908 on voit qu’une ligne continuait après le moulin à papier vers le pont des Dalles; je n’ai malheureusement pas photographié les plans en entier mais sur le dernier bâtiment bleu à gauche c’est écrit lime kilns ce qui signifie fourneaux à chaux.
Sur le plan Goad de 1925 la ligne de train arrête au moulin à papier, ce qui semble indiquer la fin de l’exploitation des fours à chaux avant cette date.
Dans un autre article de L’Étoile du Nord du 19 juin 1902 on lit que la carrière de M. de Lanaudière est de nouveau exploitée et qu’un fourneau moderne a été construit. Je ne sais pas si le fourneau moderne est celui représenté sur l’image ou si il y en avait un autre plus moderne ailleurs?


Dans l’Histoire de Notre-Dame-des-Prairies on trouve 2 photos d’un four à chaux situé à l’est de Joliette:

Les deux carrières de Joliette
En 1906 une autre compagnie a été créée pour exploiter les carrières de Joliette. Le 5 juillet la Standard Lime & Quarry Coy Limited a été incorporée pour exploiter la carrière située à l’ouest de la ville vers le village St-Pierre qui est toujours exploitée. En creusant n’importe où dans la région on peut atteindre la même strate géologique de pierre calcaire qui a été exploité au bord de la rivière.

Pour que la Commission des Chemins de fer investisse à Joliette les principales industries de la ville sont souvent mises en valeur: 2 manufactures de biscuits, 2 moulins à papier, 1 manufacture de lainages, 2 manufactures de chaux, 1 fonderie, 1 manufacture de tabacs…

En cherchant le terme chaux dans le journal L’Étoile du Nord on découvre que la chaux était une sorte de produit miracle de l’époque, elle avait des usages très diversifiés. En voici quelques uns parmi beaucoup d’autres:






L’exploitation industrielle de la chaux
Dans La Presse du 22 mai 1909 on lit que des lettres patentes ont été accordées à la Peace River Trade & Navigation Co. Ltd. pour faire le commerce des fourrures, les opérations de transport, l’exploitation de scieries et de mines à la Joliette Limestone Quarry Co. Ltd. Les promoteurs sont Charles T. Taillant de Lanaudière, Jules Hamel, Arthur et Henry Baby et Paul Ames.

Les statuts de la compagnie ont été publiés en anglais dans L’Étoile du Nord du 17 juin 1909:

En 1916 c’était au tour de la Standard Lime Company d’augmenter ses investissements. L’industrie s’est spécialisée dans la production de ciment de plus en plus en demande.


La cuisson de la pierre calcaire produit beaucoup de pollution, la carrière de la famille Lanaudière était située en plein centre-ville ce qui n’était pas idéal. Elle a sans doute fermé pour cette raison. Les émanations de la Standard Lime ont pendant longtemps empoisonné la vie des habitants de Joliette.
Jusqu’à la fin des années 50 les hauts-fourneaux de la Standard Lime & Alabastine Co. répandaient sur la ville de Joliette des nuages quotidiens de poussière, de suie et de fumée… une note pittoresque maintenant disparue du paysage.
L’Action Populaire – 24 juin 1964
Il y a encore 2 grosses carrières en opération à Joliette, une de chaque côté de la rivière et beaucoup d’autres dans la région, c’est toujours une activité économique phare de la ville de Joliette.
Les industries de Joliette en 1911
Le 29 juillet 1911 le journal La Patrie a publié un cahier spécial sur la ville de Joliette avec des illustrations fournies par l’atelier de photographie Alain de Joliette.

La municipalité a publié une annonce destinée à la classe industrielle pour vanter ses industries phares: le commerce et la fabrication du tabac, le commerce du bois, les fonderies, un grand nombre de petites manufactures et industries, des carrières inépuisables au sein de la ville même, plusieurs fourneaux à chaux…

Sur les bords de la rivière L’Assomption 2023
Je suis retourné prendre des photos des bords de la rivière, à l’emplacement du fourneau à chaux en aval du pont des Dalles. On y voit encore de gros dépôts de calcaire sur la rive comme sur les photos anciennes.


La craie est mêlée à des déchets très divers: des coquillages, des os, de la vaisselle et du verre cassés, des bouts de métaux… Je crois que c’est un dépôt archéologique unique en plein centre-ville mais je ne suis pas expert.
En prenant les photos j’ai ramassé quelques objets: un gros clou (rail de train?) et un rivet, un morceau d’une épaisse lame de fonte, un morceau de vaisselle ancienne. Le lendemain je suis revenu et en une petite demie-heure j’ai trouvé 6 bouteilles presque intactes, sans creuser, juste en observant ce qui affleurait.
Selon la loi québécoise il est obligatoire de remplir un formulaire de découverte et de l’envoyer au ministère de la Culture si on trouve des objets anciens par hasard. C’est ce que j’ai fait le 2 juin.
Si vous croyez avoir découvert un bien ou un site archéologique, vous devez le déclarer, que vous possédiez ou non un permis de recherche archéologique. Après avoir analysé la découverte, le gouvernement du Québec détermine si celle-ci est de nature archéologique ou non.
Déclarer une découverte archéologique
J’ai signalé ma découverte, c’est la loi. On est le 10 juin et personne ne m’a encore répondu pour me dire merci d’être un bon citoyen. Si jamais quelqu’un me répond un jour je mettrai à jour ce paragraphe…
Je n’ai pas eu de réponse du ministère de la Culture mais j’en ai eu une rapide du Musée McCord. La fiche descriptive de la photo des fours à chaux est imprécise mais il y a un lien pour communiquer des renseignements. J’ai écrit et on m’a répondu parce que l’information que j’apporte est pertinente, la base de données sera mise à jour d’ici quelques semaines.
En amont et en aval sur la rive il y a d’autres dépôts calcaires vis à vis de sites qui ont été creusés sur le bord de la rivière. En amont du pont des Dalles on voit aussi très bien les vestiges des 4 fours à chaux situés près de l’usine de papier. De l’autre côté de la rivière les rives ont été complètement remblayées et on ne voit plus rien.


Sur la vue de Joliette en 1881 on voit très bien comment la rive était taillée près du pont des Dalles pour en extraire la pierre de construction.

Le grand moulin de Joliette en 1912
Un autre panneau de l’exposition m’a intéressé, celui montrant le grand moulin de Joliette vers 1912 avant sa démolition.
J’ai fait des recherches sur l’histoire des moulins de Joliette et je ne connaissais pas cette photo. En regardant bien on aperçoit un autre fourneau à chaux au loin, au-dessus de la fin de la rivière. L’image est beaucoup moins claire que celle de l’autre panneau.
J’avais trouvé celle-ci dans le Joliette Illustré de 1893, il semble qu’il n’y en ait pas beaucoup de ce moulin qui a été au centre des activités économique du village d’Industrie puis de la ville de Joliette.

toujours aussi interessant.
Merci, les encouragements sont toujours très appréciés.
On voit que c’est beaucoup de travail.
Merci.
Félicitation Guillaume, c’est de beaux travaux, ils sont fascinants et impressionnants.