Catégorie: Histoire
Site indépendant sans témoin espion

Jean Venne un amérindien?

D’où vient le nom de la rivière Jean-Venne qui traverse Chertsey pour rejoindre la rivière Ouareau? Elle a été nommée Rivière Lafontaine à la fondation du village en l’honneur du premier ministre de l’époque. D’après la Commission de Toponymie du Québec elle a pris le nom de Rivière Jean-Venne en 1973 mais l’origine de ce nom est inconnue.

2 noms pour une rivière

Nom de la rivière Jean-Venne
Extrait de « Fragments d’Histoire »

C’est en lisant un recueil intitulé « Fragments d’histoire » (1977) consacré à l’histoire de Lanaudière que j’ai fait une découverte surprenante: le nom « Jean Venne » serait d’origine amérindienne. Son auteur l’Abbé Lanoue était vice-président de la Société Historique de Joliette et connaissait bien l’histoire de la région, un homme sérieux passionné par l’histoire. Il ne donne pas de preuve à son affirmation, disant rapporter les récits d’un certain Louis Bélanger mais si il l’a écrit c’est qu’il devait en être persuadé.

Je pensais jusque là que « Jean-Venne » était un nom relativement récent donné à la rivière pour honorer une personnalité de la région. Puisque le Village Lafontaine avait disparu on avait changé le nom de la rivière.

Sur les cartes anciennes  le nom est presque toujours « Lafontaine ».

Recherche sur internet

J’avais déjà fait des recherches sur internet pour essayer de trouver qui était Jean Venne. Mais il y a beaucoup de Jean Venne dans la région et mes recherches n’aboutissaient pas. Avec ce nouvel indice j’ai une piste à suivre.

Mort de Jean-Venne
Jean Venne fondateur de Saint-Boniface

Google m’indique que la famille Venne est répertoriée dans les familles métis du Canada. Des extraits du livre Métis Families: Quinn to Zac mentionnent un Jean Venne ou Jean Voyne, né vers 1657 en France, marié 2 fois à Montréal et à Pointe-aux-Trembles et certains de ses descendants localisés à L’Assomption et à Saint-Norbert. Mais on n’a accès qu’à des extraits et ce n’est pas convaincant. Par contre un article du Courrier du Canada du 5 octobre 1889 annonce le décès d’un Jean Venne fondateur de Saint-Boniface, sans aucun doute un métis.

Familles métis

On trouve de nombreuses mentions de la famille Venne dans les registres de Lanaudière à L’Assomption, Sainte-Julienne, Saint-Alexis de Montcalm. Curieusement on trouve dans ces registres plusieurs mentions de personnes portant le nom de famille « Jean-Venne ».

Dans un contrat d’engagement pour la traite des fourrures de 1748 on trouve les noms Jeanvenne et Janvaine de l’Assomption: Les engagés sont Paul Boyer, de l’Île Perrot; Jacques Belisle, de Montréal; Pierre Jeanvenne [Jean dit Vien] et François Janvaine, de l’Assomption

Ajout – En faisant une recherche sur le village d’Entrelacs en 2025 j’ai trouvé cette information. Ce serait James Dignam (Dignan) l’arpenteur du canton (de Wexford?) qui aurait baptisé la rivière en l’honneur de son guide algonquin nommé Jean Vaine.

La Commission de toponymie du Québec a mis à jour ses informations depuis la rédaction de cette chronique, elle donne la même information sous forme de supposition sans faire aucune affirmation:

L’origine de son nom est incertaine. Ce cours d’eau est mentionné pour la première fois par l’arpenteur James Dignan dans son rapport à la suite d’un arpentage effectué dans le canton de Chertsey en 1847 et publié l’année suivante. En effet, ce dernier le désigne trois fois sous les noms Rivière à Jean Veine, Jean Vaine River et Rivière Jean Vaine. À ce stade de la recherche, deux suppositions sont retenues pour élucider l’origine du nom de la rivière : le nom rappelle un Algonquin nommé Jean Vaine ou bien il évoque le souvenir de Jean-Baptiste Venne, l’un des premiers colons établis dans la région. Sur l’autochtone Jean Vaine, aucune information, actuellement, ne confirme son existence à Chertsey; notons toutefois qu’à l’origine, cette région était peuplée par les Algonquins. Quant à la présence de Jean-Baptiste Venne à Chertsey, elle est attestée officiellement dans le recensement de 1851, mais sa présence est possiblement plus ancienne, car c’est vers 1848 que les premiers colons, partis de Saint-Jacques-de-L’Achigan, s’établirent à Chertsey. En 1863, ce dernier a reçu des lettres patentes pour 100 acres de terrain dans le rang 1. Marié sous le nom de Jean-Baptiste Vaine avec Isabelle Pellerin en 1818, il a vu ses 14 enfants naître sous le patronyme Veine.

Il n’y a aucun amérindien algonquin nommé Jean Vaine dans les archives historiques de Chertsey, j’ai lu les carnets d’arpentage laissés par James Dignan qui n’en fait pas mention. Par contre dans le carnet d’arpentage de Rawdon en 1821 laissé par Joseph Bouchette on trouve le nom de Jeanvaine dans les 4 hommes qu’il a employés ce qui est un curieux hasard.

Le contrat d’engagement notarié avait été conclu le 26 mai 1821: engagement de Pierre Cedilo, Amable Morreau, Pierre Ratelle, Jean-Baptiste JeanVaine, Alexis Desmarais et Thomas Desmarais tous de L’Assomption à Joseph Bouchette pour l’arpentage des townships de Rhoden et Kildar.

Dans le greffe de l’Arpenteur Général du Québec une liste de noms des occupants des 3 derniers rangs du canton de Rawdon en 1845 mentionne Jeanvain sur le lot 16 du 9ème rang.

Présence amérindienne

Dans « Une nouvelle Acadie, Saint-Jacques de l’Achigan » de Guy Courteau on apprend que le curé Paré, fondateur de Chertsey avait 2 protégés amérindiens habitant les profondeurs de Rawdon, Michel le sauvage et Nica la sauvagesse.

La Chute-à-Michel, le lac Michel (aujourd’hui Chantelle) et le chemin Michel auraient été nommés ainsi car une famille amérindienne vivait à cet endroit. Michel et Marie Nicolas (74 et 72 ans) sont recensés en 1861 comme indiens vivant à côté de chez Magloire Granger, il s’agit sans doute d’eux. Une légende parle d’un petit indien nommé Michel qui se serait noyé dans la chute.

En 1834 lors de l’inauguration de l’église de Rawdon un indien nommé Michel et sa squaw étaient présents à la cérémonie.

Vindicator 3 octobre 1834
Vindicator 3 octobre 1834

Magloire Granger en 1852 puis Alexander Daly lors des explorations du territoire jusqu’à Saint-Donat étaient accompagnés par le guide Michel Nicolas demeurant sur la rivière. Le curé Coutu lui aussi se fera accompagner par Marie la Sauvagesse pour explorer le territoire en 1868.

Dans le« Répertoire des noms géographiques du canton de Chertsey » on relève le nom de la côte à Margaret (ou Marguerite) sur les lots 18 et 19 du rang 5. Elle a été nommée ainsi en 1860 en souvenir d’une indienne vivant dans une hutte. Ma voisine m’a raconté qu’une vieille indienne vivait encore à côté du pont du chemin Michel vers 1940-1950. La présence amérindienne sur la rivière Jean-Venne semble donc ancienne. Un groupe de 48 malécites vivant sur la rivière Ouareau à la limite entre Rawdon et Chertsey avait déposé des pétitions pour obtenir des terres vers 1840-1850.

Lire: Les indiens de Rawdon et Chertsey

Et si l’Abbé Lanoue s’était trompé

Après avoir rédigé cet article je découvre par hasard en observant le cadastre de Chertsey de 1860 que le propriétaire du lot 2 du rang 1 s’appelait Jean Venne ! En 1862 un Jean-Baptiste Venne obtient les lettres patentes pour ce lot. Il semble que ce soit une famille venue de L’Assomption puis Saint-Jacques arrivée avec les premiers fondateurs de Chertsey.

Cadastre de Chertsey 1860
Cadastre de Chertsey 1860

Je vérifie dans les recensements et la famille Venne est effectivement présente dans ceux de 1851, 1861, 1871. Dans celui de 1881, Joseph Venne est recensé comme gentilhomme catholique d’origine canadienne, le seul gentilhomme de Chertsey où il y avait bien quelques rentiers mais surtout des cultivateurs.

Joseph Venne gentilhomme
Recensement 1881 – Archives Canada

C’est compliqué l’histoire, il faut vérifier les sources qui peuvent s’être trompé.

Nouvelle découverte

En 1973 Marcel Fournier a coordonné un projet d’initiative locale intitulé « Répertoire des noms géographiques du canton de Chertsey » que je découvre à la Société d’Histoire de Joliette. Un comité a recensé tous les noms des lacs, des rivières, des lieux-dits de Chertsey et cherché l’origine de chaque nom. Voici la citation exacte pour la rivière Jean-Venne:

1er nom: Rivière Jean-Venne pour un indien du nom de Vaine et en souvenir de M. Jean-Baptiste Venne qui demeurait dans le rang 4

2ème nom: Rivière Lafontaine en souvenir de M. Sir Louis Hypolite Lafontaine député du Bas-Canada en 1849

Date de l’appellation du nom Venne 1855

Ça ne règle pas vraiment la question mais il semble que j’ai suivi les mêmes pistes que le comité de 1973 pour aboutir aux mêmes conclusions.

La rivière Burton

Dans le même document on apprend que le nom de la rivière Burton et du lac Burton  auraient été donnés par le premier arpenteur du canton James Dignam en 1848 car un dénommé Burton avait reçu ses lettres patentes pour un lot sur la rivière dès 1832. Il s’agit sans doute du révérend James Edmund Burton de Terrebonne, agent des terres pour Kilkenny, qui a construit la première chapelle protestante de Rawdon en 1821-1822 sur le premier rang lot 15.

James Edmund Burton
Carte du Québec

Laisser un commentaire