Manawan, Wemotaci, Opiticiwan, le territoire revendiqué par la nation atikamekw est nommé Nitaskinan. Il a été arpenté à partir des années 1850 par le gouvernement canadien mais il était fréquenté par des groupes de chasseurs algonquins depuis très longtemps. Les noms de lieux et leur orthographe ont varié avec le temps, les communautés se sont déplacées et le cours des rivières a été modifié par la construction de nombreux barrages.
De nombreuses recherches universitaires ont été publiées sur l’histoire et le territoire du peuple atikamekw, j’ai voulu dans cette chronique comprendre l’organisation de ce territoire formé d’innombrables lacs et rivières à la limite des bassins du Saint-Maurice et de la Lièvre permettant de voyager du lac St-Jean à l’Outaouais sans passer par le Saint-Laurent. Hubert Samson dans un mémoire datant de 2014 a raconté l’histoire des premiers postes de traite des fourrures dont les archives ont permis de documenter une partie de cette histoire.
La Compagnie du Nord-Ouest construit un poste à Weymontachie en 1806 où elle attire
Les rapports de territorialité entre les atikamekw et les allochtones en Haute-Mauricie (1900-1930)
plus d’une centaine d’Atikamekw en seulement cinq ans. Le comptoir réunit les chasseurs en activité dans les alentours – le long des rivières Manouane, Ruban et Flamand en particulier – ainsi qu’une partie des chasseurs situés plus au nord, en provenance de Kikendatch. En 1821, la Compagnie de la Baie d’Hudson prend le contrôle du comptoir de Weymontachie et construit une nouvelle série de postes de traite en Haute-Mauricie, dont celui d’Obedjiwan. Seulement 25 personnes gravitent autour d’Obedjiwan en 1825, et malgré ses débuts modestes, ce poste devient le point de rencontre d’au moins 70 personnes vers la fin des années 1820.
Explorateurs et arpenteurs au XIXème siècle
En faisant des recherches sur internet j’avais trouvé un curieux document intitulé Explorateurs et arpenteurs au XIXème siècle partie 2, il n’a pas de titre ni de nom d’auteur dont je puisse donner la référence. Il raconte une partie de l’histoire du peuple atikamekw et il m’a donné l’envie de mieux connaître son histoire et son territoire.
En 1815 le peuple atikamekw était nommé par les canadiens Tête-de-Boule; avec des Algonquins ils auraient fait une première demande pour obtenir des terres sur le Saint-Maurice et y construire un village. La demande n’avait pas été entendue et en 1841 avec des Algonquins et des Nipissings ils avaient fait une deuxième demande. En 1851 les Têtes de Boule se seraient enfin vu attribuer 3 réserves, Coucoucache, Manouane et Weymontachinque.
Au cours de la seconde moitié du XIX e siècle, c’est au tour des communautés de Coocoocache et de Manouane de se former. En 1860, la Compagnie de la Baie d’Hudson fonde un poste de traite à Coocoocache, au sud-est de Weymontachie, mais ce comptoir ne devient jamais le pôle d’établissement d’une nouvelle bande. N’excédant pas 20 membres au total, les quelques familles fréquentant ce poste restent affiliées à la bande de Weymontachie. Au début des années 1870, toutefois, une partie des chasseurs de Weymontachie se dissocient pour fonder une nouvelle bande aux sources de la rivière Manouane, sur la rive sud du lac Kempt.
Hubert Samson
Le bassin de la rivière Matawin a été exploitée pour son bois à partir de 1850 environ, celui du Saint-Maurice l’était depuis le début des années 1800 sans doute. Les cartes anciennes montrent des chemins de chantier et des zones exploitées pour le bois. On accédait à Weymontachinque et Coucoucache par le Saint-Maurice mais un chemin montait aussi depuis le lac Maskinongé dans le canton de Brandon vers la rivière Matawin puis celle du Milieu vers Manawan. Ce plan d’un chemin partant du lac Maskinongé montre un chemin de chantier servant à l’exploitation du bois.
L’exploitation du bois se faisait dans les territoires de chasse traditionnels des Algonquins et des Têtes de Boule sur lesquels les Abénaquis empiétaient eux aussi. Une protestation officielle avait été signifiée au gouverneur Kempt en 1829. L’exploitation forestière soutenue depuis le début des années 1850 et la formation des établissements Brassard et Provost vers St-Michel-des-Saints grugeaient aussi sur le territoire en y attirant de plus en plus de colons.
En 1858 l’arpenteur Joseph Bouchette a publié un ensemble de 6 cartes Map of part of the Province of Canada from Quebec to Anticosti, la 2ème carte montre le territoire très au nord jusque vers le Réservoir Gouin actuel. En agrandissant la carte on voit le village de Weymontachingue au confluent de la rivière Manouan et du Saint-Maurice. La rivière et le lac Cou-Cou-Cache sont en aval sur le Saint-Maurice à la limite de la carte.
Plus au nord le village de Kikendatch et une chapelle de l’autre côté du lac sont aussi dessinés. Le cours des rivières a été modifié depuis avec la construction de barrages et le détournement de certaines d’entre elles.
J. Bouchette a dessiné la rivière du Milieu montant vers Manawan à partir de la rivière Matawin et du lac des Pins mais il n’y avait pas encore de village dans ce secteur.
En 1867 un plan montre un chemin de ravitaillement partant du lac des Pins pour rejoindre la rivière du Milieu et le chantier de bois de Rocheleau situé sur un petit lac formé par la rivière; à partir de son chantier une timber road remontait le long de la rivière. Au nord du lac des Pins la ferme McDonald était aussi un site d’exploitation du bois; en amont sur la rivière Matawin on voit le chantier de McDonald et un moulin à scie dessinés.

Manouane sur le lac Métabeskéga
Les noms de lieux ont évolué avec le temps et on en retrouve de nombreuses variantes; la rivière Manouan, le lac Manouan et le village Manouane ou Manawan sont des lieux qu’il ne faut pas confondre. J’espère ne pas avoir fait d’erreur d’interprétation.
En 1866-1869 un Canadien nommé Onésime Dubé se serait installé avec son épouse fille d’un chef de Weymontachie sur les rives du lac Metapeckaka (Métabeskéga) sur la rivière Manouan en amont du lac Manouan. En 1870 Edmund B. Temple avait recensé 4 familles qui avaient défriché et cultivaient la terre sur les bords du lac Manouane.
Le père Jean-Pierre Guéguen était le missionnaire chargé des missions du Haut Saint-Maurice qui a documenté l’histoire des atikamekw dans ces années. Edmund B. Temple avait exploré en 1870 le portage menant à la tête de la rivière du Lièvre.
Jean-Pierre Guéguen oblat de Marie-Immaculée, missionnaire
Le père Guéguen était un breton missionnaire arrivé au Canada vers 1864; il a d’abord exercé son ministère dans les chantiers de bois de la Gatineau puis a été nommé comme missionnaire auprès des amérindiens.
De 1867 à 1899, le père Guéguen est le missionnaire attitré des missions du Saint-Maurice, où se trouvent les Têtes-de-Boules, appelés aujourd’hui Attikameks, région dont le centre se situe à Weymontachingue (Weymontachie)… C’est à Weymontachingue, auprès des Têtes-de-Boules de l’endroit et des postes environnants, que le père Guéguen passe le plus de temps, soit environ trois semaines… Dès sa première visite, le jeune oblat s’est initié à leur langue, qui appartient à la famille linguistique algonquienne.
Jean-Pierre Gueguen
Le père Guéguen avait fait publier des livres pour l’évangélisation de ses ouailles: Recueil de prières, catéchisme, chemin de la croix et cantiques à l’usage des sauvages du Saint-Maurice.
Une deuxième publication semble n’être qu’un résumé de la première: Kiskinaomati-masinaigan gaie aiamie kokwedjimitowini-masinaigan à l’usage des sauvages du Saint-Maurice (postes de Wemontaching, Okikendatc, Manawan Coucouacache) et de Mekiskan.
La traite des fourrures et l’arrivée des bûcherons
Au recensement de 1871 fait par James Reynar au lac Manouane la traite des fourrures était la principale activité économique du territoire: rats musqués, castors, martres, visons, etc. La famille Dubé et d’autres familles amérindiennes et métis y vivaient de la chasse et de la traite. M. McKenzie était le Clerk in charge de la compagnie de la Baie d’Hudson pour les postes de Coucoucache, Weymontachie et Kikendache, celui de Manouane n’est pas mentionné. L’exploitation du bois ne devait donc se faire que sur quelques grosses rivières comme le Saint-Maurice et la Matawin à cette date.
En 1873 les bûcherons avaient pourtant commencé à exploiter le bois du territoire, un chemin et des bâtisses avaient été construits ainsi qu’un bateau à vapeur devant servir à transporter le bois sur le lac Wabaskoutyunk / lac Kempt (le lac Kempt est aujourd’hui un autre lac situé plus au nord). MM. Stoddart avaient une quarantaine d’hommes employés.
Le rapport de l’arpenteur J.C. DeLachevrotière daté du 31 mai 1873 mentionnait les mêmes faits: la présence d’un nommé Dubé canadien allié à ces sauvages qui y demeure depuis de longues années; Messieurs Stoddart & Co avaient ouvert un chemin de 45½ miles reliant la Matawin et la Manouan près de Metabeskegariebi. Le terrain y était meilleur qu’à Ste-Emilie de l’Energie et St-Zénon. Ils construisaient un steamer pour exploiter le bois de pin depuis le lac Wabaskontyunk jusqu’à la baie Atibène. La description de l’arpenteur commence à la page 496 et se termine à la page 500: rivière Manouan de son embouchure au lac Kemt (1872), rivière Manouan de la ligne de Temple au lac Kemt et lac Nemicachinque (1873).
Chemin Stoddart aujourd’hui chemin de Manawan
Le Plan de l’exploration du chemin Stoddart depuis la Matawin à la Manouan, dans les comtés de Berthier et Maskinongé dessiné en 1873 par A.-H.-Télesphore-C. De La Chevrotière a été numérisé par la BANQ et il semble suivre approximativement le tracé actuel du chemin de Manawan. Le plan est très détaillé et il vaut mieux en montrer des parties que l’ensemble. Il commençait à l’embranchement de la rivière du Milieu et de la rivière Matawin près du lac des Pins et St-Michel-des-Saints. Les fermes de Mr. Hall et M. Gendron sont dessinées.
Le plan n’est pas orienté vers le nord, en fait le chemin montait en suivant la rivière et en la traversant à plusieurs reprises; des chiffres balisent le parcours à partir de la ferme Gendron.
Entre le 16 et le 17 il y avait le campe à Verrault, entre le 23 et le 24 au bord du lac Brochet il semble y avoir un autre bâtiment.
Entre le 34 et le 35 le chemin de Mr. W. Stoddard passait par le chantier de Forget; les lacs et les rivières avaient des noms amérindiens.
À partir de la balise 40 le chemin ne suivait plus de rivière il passait par la forêt pour rejoindre la ferme de Mr. W. Stoddard sur la rivière Mérabeskega-ziebi où il y avait au moins 6 bâtiments.
L’arpentage du territoire en 1872-1873
E. Sénécal dans des notes de voyage sur le Saint-Maurice en 1872 rapportait qu’il y avait environ 60 familles à Coucoucache et Weymontachaigne et une vingtaine à Kikendache ne relevant pas de la même tribu. La Compagnie de la Baie d’Hudson faisait de bonnes affaires et avait établi un nouveau poste de traite sur la rivière Manouan (rivière aux Oeufs).
L’arpenteur A.-H.-Télesphore-C. De La Chevrotière a arpenté le territoire et documenté son travail dans des carnets d’exploration qui ont aussi été numérisés par la BANQ. Dans le 1er carnet de 1872 il détaille les relevés de la rivière Manouan à partir de Coucoucache sur le Saint-Maurice.
De Coucoucache à une cabane 21 miles, de la cabane à Weymontachinque 24 miles, entrevue avec George McKenzie agent de la Compagnie de la Baie d’Hudson… Relevé de la Manouan, j’ai acheté du poisson brochet et du poisson blanc du Chef Sauvage pêché dans le lac Sachawatési.
Entrevue avec le Chef Sauvage au sujet des noms des rivières qui se jettent dans la Manouan et prendre des renseignements sur les portages…
On trouve dans le carnet d’arpentage des commentaires, des relevés et des croquis des lieux arpentés.
Les plans sont des documents techniques difficiles à interpréter, celui-ci montre une partie du lac Manouan avec l’isle à Bazile.
Le 2ème carnet d’arpentage documente l’exploration de l’année 1873. Aprềs avoir discuté avec Mr. Block foreman de Mr. Stoddart l’arpenteur a décidé de monter par la rivière Matawin plutôt que par le St-Maurice. Il a logé avec ses hommes à la ferme de M. Hall au lac des Pins puis ils sont arrivés tard dans la nuit du lendemain au camp de Verrault (22 miles) par un chemin inondé à plusieurs endroits. Ils ont campé le lendemain au camp à Forget (19 miles) et enfin à la ferme de Stoddart (12 miles).

Le territoire exploré en 1873 allait de la rivière Manouan et du lac Némicachingue à la tête de la rivière du Lièvre qui menait vers l’Outaouais permettant de parcourir un immense territoire depuis le Saint-Maurice par un portage.
Les croquis dessinés pendant l’arpentage sont plus précis, il y en a 79 pages.

La page 9 montre les détails des établissements de MM. Stoddart.
La page 10 montre l’établissement des sauvages Tête de boules ou Dubé à l’embouchure du lac du Repos; les bâtiments d’Onésime Dubé et Jos. Rocheleau sont dessinés en haut à gauche et le nom de Louis est écrit entre les 2.
En 1872 De La Chevrotière avait aussi publié un Plan de la rivière Manouan du St-Maurice au lac Wabaskoutyunk. Les fichiers de ces cartes sont très volumineux car ils représentent le cours des rivières sur de grandes distances avec beaucoup de détails; voici quelques agrandissements. Le lac Manouan avec l’Isle à Bazile est nommé Manouan Sacaégan; les lacs et des rivières ont presque tous des noms amérindiens.
En-bas à droite du plan le village de Weymontachinque est dessiné au confluent du Saint-Maurice.
Lachevrotière a publié une autre version de ce plan en 1872: Réduction du plan de la rivière Manouan du St-Maurice au lac Wabaskontyunk.
En 1873 La Chevrotière a publié le Plan du lac Wabaskontyunk dans la Manouan et du lac Némicachingue dans la tête de la rivière du Lièvre situé au nord du village de Manawan actuel.
En-bas à gauche du plan on voit le lac du Repos, des maisons et une chapelle (croix) près du nom de Dubé; plus bas la ferme de Stoddart et le chemin Stoddart.
Ce territoire immense est un système de communication complexe entre des lacs et des rivières. Un autre plan dessiné en 1873 par John Bignell montre le partage des bassins des rivières Saint-Maurice et du Lièvre avec le portage situé près du village de Manawan qui permet de communiquer entre les 2 bassins fluviaux par les rivières du nord en évitant le Saint-Laurent. J’ai dû réduire ce fichier très précis qu’on peut admirer dans tous ses détails dans le fichier original de la BANQ: Réduction, compilation : Partie supérieure de la riv. du Lièvre par J. Bignell A.P. Partie de la ligne d’exploration de la riv. du Lièvre à la riv. St-Maurice par Arcand & Temple arpenteurs et la riv. Manouan, le lac Manouan et le lac Wabaskontyunck.
Au centre du plan le lac du Repos et le lac Sucrerie sont à côté du lac Mazanasquaheouan(?) à la tête de la rivière du Lièvre.

Un autre plan de John Bignell montre le chemin de portage du Petit lac Mistassini jusqu’au lac Manouan; le fichier est aussi très volumineux et il vaut mieux le regarder sur le site de la BANQ. On y trouve quelques détails intéressants, par exemple un site de sépulture, burial place, à l’entrée du lac Manouan.
Le réseau des rivières était très complexe, le plan suivant montre que les rivières Saint-Maurice, Vermillon et Coucoucache permettaient de faire une boucle complète: Plan du relevé de la rivière Coucoucaché et partie des rivières St-Maurice et Vermillon par Edmond-J. Duchesnay en 1878.
Plan des rivières Vermillon, Flamand et Coucoucache (détail) par J.-Olivier Lacoursière 1894.
Poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson de Manouane en 1890
Un rapport des archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson de Peter McKenzie du 20 mars 1890 décrit les bâtiments du poste de traite situé en face de la Réserve de Manouane: une maison d’habitation de 24 pieds carrés avec une cuisine attachée où vivait le maître de poste avec sa famille et un serviteur; le poste de traite de 20 pieds par 15; le magasin de 18 par 15; l’étable de 20 par 17.
Arpentage de Coocoocache en 1895
En 1895 Charles-C. Duberger a arpenté la Réserve indienne de Coucoucache et documenté son travail avec de nombreux croquis dans son carnet d’arpentage: description et notes d’arpentage de la limite de la réserve indienne, située sur la rive de la rivière St-Maurice d’une superficie de 380 acres. Il a ensuite dessiné un plan général Plan of the indian reserve at Coocoocache on the Saint Maurice river. Il a noté que le sol était de seconde classe au bord de la rivière et de première classe ailleurs, partout propice à la mise en culture. Aucun bâtiment ne figure dans ces plans,

Arpentage de Weymontachingue en 1895
La Réserve indienne de Weymontachingue a aussi été arpentée par Charles-C. Duberger en 1895; il a dessiné des croquis dans son carnet d’arpentage et publié un plan général montrant le territoire de la Réserve sur le Saint-Maurice et le poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson qui y était inclus: Plan of the indian reserve at Weymontachingue on the Saint Maurice river.
Dans les archives on retrouve de nombreux récits des visites des missionnaires, par exemple dans les Annales de la propagation de la foi pour les provinces de Québec et de Montréal. Lors de cette visite à Wemontaching en 1892 l’élection d’un chef a eu lieu et chacun des 3 groupes avait présenté son candidat: Jean-Baptiste Boucher de Wemontaching, Charles Rikatadi de Coucoucache et Joseph Rochelot de Manawan.
Archives du Department of Indian affairs
Après avoir rédigé les résultats de cette recherche j’ai découvert dans les archives du Canada de nombreuses informations complémentaires provenant du Departement des affaires indiennes.
Dans un premier rapport qui n’est pas daté on lit que le gouvernement avait voté l’octroi de 230.000 acres de terrain aux tribus indiennes du Bas-Canada. Le rapport recommandait d’accorder 16.000 acres aux Têtes de Boule, Algonquins et Abenakis résidant sur le Saint-Maurice dans le township de La Tuque. Depuis 1878 des sites avaient été proposés aux indiens qui les avaient rejetés car trop éloignés de leurs terrains de chasse. Le projet adopté proposait une réserve de 7.396 acres à Atwaymoutechingue et une autre de 380 à Coocoocache plutôt qu’une seule grande réserve à La Tuque. Il fallait le réaliser rapidement car la colonisation du St-Maurice par les blancs pourrait l’empêcher par la suite.
En 1882 le département des Affaires Indiennes était en correspondance avec le département des Terres de la Couronne qui avait engagé John Bignell pour faire des arpentages en 1881 mais en 1893 il semble que rien n’avait encore été fait. En 1894 J.B. Boucher a été recommandé par le chef H. L. Masta comme le plus capable et digne de confiance parmi les Tête-de-Boule de La Tuque pour la constitution des 2 réserves projetées.
Le projet était de créer des réserves pour les Tête-de-Boule, Algonquins et Abenakis; le plan accompagnant cette lettre de 1894 montrait le site choisi entre les points A et B dans un territoire sous licence vendu à des compagnies forestières.
Après des négociations pour la localisation de la réserve de Coucoucache au nord de la rivière St-Maurice plutôt qu’au sud C. C. Duberger a été engagé pour arpenter les 2 réserves de Weymoutachingue et Coucoucache. Des instructions détaillées (3 pages) lui ont été transmises.
Un rapport du département des Affaires Indiennes de 1898 mentionne qu’il n’y avait aucune culture et seulement une maison pour le prêtre à Kikendatch où la plupart des membres de la bande résidaient; à Weymontichingue il y avait 5 petites maisons mais pas de terres cultivées car la terre y était très pauvre et à Coocoocache 2 maisons et de petites parcelles de patates avec de belles parcelles de terre cutivable.
En 1910 les indiens ont réclamé d’abandonner ces 2 réserves pour des terres plus au nord. La ligne de chemin de fer qui avait été construite perturbait beaucoup leur mode de vie traditionnel.
En 1912 ils ont demandé la création d’une nouvelle réserve au lac Obidgewan.

Plan montrant l’emplacement du village des sauvages et du poste de la H.B.C. au lac Obidjuan.
Le village des sauvages était situé en face du poste de la Baie d’Hudson et il y avait un cimetière près de la grande île Obiduan.
Ma recherche concerne l’établissement des réserves au XIXème siècle mais l’histoire continue et elle est documentée dans ces archives. Par exemple la disparition de la réserve de Coucoucache vers 1932 pour un projet hydroélectrique qui a submergé son territoire.
Les archives du Department of Indians affairs ont aussi documenté la création de la réserve de Manawan. Une liste des habitants du site avait été envoyée à Ottawa en 1893 avec une requête.
Dans une lettre du 18 juillet 1898 conservée dans les archives on lit que des indiens vivant au bord du lac Manouan ont demandé à l’inspecteur des réserves indiennes de les visiter. Il a rapporté que 19 hommes, 21 femmes, 16 garçons et 18 filles pour un total de 174(?) indiens appartenant à la partie des Têtes des Boules de la bande du St-Maurice vivaient sur le lac Manouan et réclamaient l’établissement d’une réserve à cet emplacement.
Ils réclamaient un bloc de terrain de 2 miles sur la rivière Manouan et de 1 mile de profondeur soit 1.280 acres déjà occupé par Abram Chaquim et John Kaweiasiketch. 2 terres avaient déjà été réservées pour les Tetes des Boules de 7.408 acres à Waymontachinque et 380 acres à Coucoucache. La réserve de Weymontachinque n’étant pas occupée par les indiens ces 1.280 acres de terrain pourraient leur être accordés en réduction de la balance devant leur revenir (?).
Il y a une abondante correspondance entre les différents services concernés et on trouve plus loin le plan dessiné en 1898 annexé au dossier. Il montre l’emplacement des occupants du territoire à cette date, Joseph Dubé avait 2 maisons, les autres noms ne mentionnent pas de maison; de l’autre côté du lac le poste de la Baie d’Hudson est dessiné.
Un échange de correspondance a suivi; le Department of Indians affairs s’appelait Département des affaires des Sauvages en français.
La réponse à cette demande a pris quelque temps. Le problème venait du fait que ces terres faisaient partie des limites de bois devant être accordées à des compagnies forestières selon les nombreuses lettres échangées par les fonctionnaires. Un plan dessiné par A. L. Miller du poste de Manouan est joint à la correspondance.
Le 22 décembre 1905 le département des affaires indiennes a recommandé que Mr. Dumais qui venait d’arpenter la réserve de Maniwaki soit nommé pour arpenter celle de Manouan.
Arpentage de Manouane par T.C. Dumais en 1906
Le nom de la Réserve de Manouane ou village de Manawan porte à confusion; les plans d’arpentage montrent que le village de Manawan est situé sur le Lac Métabeskéga et le lac Wabaskoutyunk. Paul T.C. Dumais a arpenté Manouane en 1906 et dessiné des plans.

Le point A situant l’emplacement des Dubé et de la croix érigée par le père Gueguen se trouve au centre de l’image; la point C en-dessous à gauche situe la Réserve et la chapelle et le point E est marqué H. B. Co. post, poste de la compagnie de la Baie d’Hudson.
La qualité de l’image est mauvaise mais en cherchant sur le site Indian affairs survey records des archives du Canada j’ai retrouvé le plan original beaucoup plus précis. La réserve était située sur les lacs Wabaskoutyunk et Metabeskega et une annotation indique qu’il s’agissait du lac Kempt; ce nom est aujourd’hui associé à un autre lac plus au nord. La base de données toponymique du Canada donne ces anciens noms pour le Lac Métabeskéga: Lac des Tombeaux / Lac Madon / Lac du Repos / Lac Madonbaskika / Lac Madanbaskikac. Les noms de lieux n’étaient pas encore fixés et variaient d’un document à l’autre.
Le carnet d’arpentage est intitulé Carnet I25, Réserve indienne du Lac Manouan de Paul T. C. Dumais, Réserve indienne Manouan carnet d’arpentage des limites de la réserve d’une superficie de 1906 acres. On y trouve des plans précis; sur celui-ci le cimetière indien est dessiné près d’une maison et une étable, à gauche le lac du Repos, en-bas le fort Manouan et le poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Encore une fois la mention du lac du Repos porte à confusion puisque sur les cartes actuelles le lac du repos est situé à quelques miles à l’est de Manawan, c’est un autre lac.

Ce plan semble inversé par rapport au précédent, il montre le village situé en face du fort Manouan avec la chapelle et des maisons sur le bord du lac Wabaskoutyunk.
Un chemin de portage reliait le lac Wabaskoutyunk à la tête de la rivière du Lièvre, permettant de rejoindre l’Outaouais en canot.
Dumais a recensé dans son rapport les familles indiennes présentes lors de son exploration; on remarque 3 familles Dubé, Jos, Onésime et Georges, des noms français, anglais et amérindiens, des veufs et des veuves, de nombreux enfants.
Dans son rapport l’arpenteur mentionne que le sol de la Réserve n’est pas adapté à l’agriculture, il est composé de sable, gravier et roches. Les indiens cultivaient de petites parcelles de pommes de terre et d’avoine. Les maisons étaient construites en bois rond et seulement 3 d’entre elles étaient habitées au moment de sa visite car la plupart des habitants étaient sur leurs terrains de chasse.
Il n’avait trouvé que 7 ou 8 femmes avec leurs enfants et 2 indiens trop vieux pour chasser. Selon A. Miller agent de la Compagnie de la Baie d’Hudson il y avait 23 familles vivant sur la Réserve, 19 hommes avec leurs femmes, 4 veuves et 56 enfants. La chapelle catholique était un bâtiment neuf de 40 pieds par 20 avec un clocher.
Après l’arpentage la correspondance conservée dans les archives du Canada continue en montrant que le chef de la Réserve de Manouan Louis Na-way-osh-shunt avait demandé l’autorisation de couper du bois pour construire 20 à 30 maisons. Le bois que les indiens avaient déjà coupé était réclamé par un blanc, l’agent de la licence (propriétaire de la limite qu’il avait achetée du gouvernement).
Le plan qui est annexé montre que la réserve était entourées de concessions de coupes de bois appartenant à la Laurentide Pulp Co.
Les atikamekw ou Têtes-de-Boule dans la presse

Le récit des missionnaires
En 1915 Arthur Joyal a publié Excursion Sacerdotale chez les Tête-de-Boule. On y trouve d’abord une carte des missions dans le nord du Québec avec les itinéraires parcourus par les missionnaires. Les sites de Coucoucache, Wémontashing et Kikendache étaient près de la ligne du chemin de fer Transcontinental alors que le lac Manawan était un peu à l’écart. Le train a favorisé l’exploitation forestière et la venue de nombreux bûcherons dans le territoire atikamekw préservé.
Le livre commence avec un point de vue historique qui raconte que les Tête-de-Boule ou Attikamègues habitaient de temps immémorial les plateaux où le Saint-Maurice, le Saguenay, la Gatineau et la Lièvre prennent leur source commune. Ils étaient assimilés aux Cris ce qui semble erroné; ils ont d’abord été évangélisés par les pères Jésuites à partir de 1637.
Doux comme des agneaux, simples, candides et bien éloignés de la superbe ils avaient été convertis dès le début de la colonie au catholicisme. Cette conversion était sans doute superficielle et la guerre avec les Iroquois en était certainement une cause. Les atikamekw étaient aussi nommés Poissons blancs dès cette époque. Ensuite pendant 200 ans ils se seraient retirés dans la forêt et auraient oublié cette première évangélisation.
Les missionnaires sont revenus en 1837, M.S.N. Dumoulin avait baptisé 60 adultes et faisait le catéchisme à 80 catéchumènes en 1838.
La tribu des Tête-de-Boule était alors sectionnée en trois groupes principaux: celui de Wémontashing à plus de 300 miles de Trois-Rivières; celui de Kikendatch 75 miles plus haut; celui de Obedjiwan à 130 miles vers l’est sur la rivière Manawan.
Le père Guéguen très paternaliste écrivait: Certes les sauvages ne sont pas naturellement aimables mais je ne puis m’empêcher de trouver beaux même mes Tête-de-Boule; il y a dans leurs traits une telle expression de candeur et de naïveté que j’en suis charmé.
Du point de vue social le caractère doux et indolent des Tête-de-Boule qui n’avaient guère le goût du travail manuel heurtait le caractère besogneux des missionnaires: ils passent la moitié du jour à dormir ou à s’amuser comme des enfants.
Leur nombre était alors d’environ 600 et ne variait guère. La conclusion n’est pas très optimiste et s’avère bien mal fondée puisque la tribu s’est multipliée: les atikamekw ont eu un passé difficile et ils ont peut-être cru un moment à leur disparition définitive mais aujourd’hui leur fierté s’est réveillée.
Le livre est illustré de quelques photos, des monseigneurs, des missionnaires et vers la fin des photos de la visite épiscopale montrant la mission et les habitants; les images ne sont pas de très bonne qualité mais certaine méritent d’être republiées.
Louis Pidjikwe était alors le roi de Wémontashing selon les missionnaires, il a harangué le premier les visiteurs. A. Newüashite le chef de Manawan, vieillard de 80 ans, a parlé en deuxième
Enfin Gabriel Awachiche de Kikendatch le plus jeune a mentionné que les atikamekw n’aimaient pas rencontrer les blancs et demandaient de construire une chapelle et de bénir un cimetière à Kikendatch.
La revanche des berceaux
Les 3 communautés atikamekw aujourd’hui
Le site internet de la nation est atikamekwsipi et j’y ai copié cette belle image d’un canot traditionnel.
Le site Tourisme autochtone fait une présentation succinte des 3 communautés atikamekw et de leur mode de vie.
Manawan, siège des Atikamekw de Manawan, est située à 140 km à l’ouest de La Tuque et à 72 km au nord de Saint-Michel-des-Saints sur la rive sud du lac Métabeska dans la région de Lanaudière. Elle couvre une superficie de près de 800 hectares et a une population d’environ 1 500 habitants. Le nom de « Manawan » signifie « là où l’on trouve des œufs ». Elle a été créée officiellement le 29 août 1906, mais il y a une population permanente en ce lieu depuis le début des années 1850. (Wikipedia)
Wemotaci, siège du Conseil des Atikamekw de Wemotaci, se situe entre Manawan et Obedjiwan en Haute-Mauricie à 115 km au nord-ouest de La Tuque le long de la rivière Saint–Maurice près de l’embouchure de la rivière Manouane. Son nom signifie « la montagne d’où l’on observe ». Elle couvre une superficie de 34 km2 et a une population d’environ 1 300 habitants. La communauté de Wemotaci possède également la réserve inhabitée de Coucoucache. (Wikipedia)
Obedjiwan, également appelée Opitciwan, siège des Atikamekw d’Opitciwan, est la plus nordique et la plus isolée des trois communautés atikamekw. Elle est située sur la rive nord du réservoir Gouin. Son nom signifie « courant du détroit ». L’endroit a une population permanente depuis le début des années 1910. Avant cela, la population qui s’est éventuellement installée à Obedjiwan fréquentait plutôt le lieu de rassemblement estival de Kikendatch où un poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson et une chapelle catholique avaient été érigés, mais la mise en service du barrage La Loutre en 1918 inonda Kikendatch, forçant l’abandon définitif de l’endroit. (Wikipedia)
Les informations exactes concernant les populations autochtones et leur histoire sont difficile à trouver, je remarque que celles donnée par l’Encyclopédie Canadienne sont très rudimentaires au point d’être en partie fausses; il y avait peut-être 1747 atikamekw inscrits en 1996 mais alors il faudrait mettre à jour l’information puisque il y aurait aujourd’hui 1500 habitants juste à Manawan.
Bien que ce peuple ait compté entre 500 et 550 personnes au milieu du XVIIe siècle, en 1850, il ne reste que quelque 150 personnes disséminées sur 7000 km2 et réparties dans deux bandes principales, les Kikendatchs et les Weymontachies. La band Manouane apparaît un peu plus tard, vers 1865-1875, en tant que branche des Weymontachies… En 1996, les 1747 Atikamekw inscrits dans la région de la Saint-Maurice luttent pour conserver leur autonomie culturelle traditionnelle et un rôle dans la société, égal à celui des non-autochtones du Québec. Depuis 1975, ils se sont joints aux Innus (Montagnais-Naskapis) pour former le Conseil Atikamekw-Montagnais.
La Mauricie des Abénaquis au XIXème siècle
En 2003 Claude Gélinas avait publié une recherche sur la présence des Abénaquis au nord du Saint-Laurent dans les forêts de la Mauricie où ils empiétaient sur le territoire atikamekw. Il explique que les atikamekw employaient des techniques de piégeage traditionnelles alors que les abénaquis utilisaient dès 1830 des pièges à castor en métal. Menisino le meilleur chasseur atikamekw avait signé en 1831 avec 6 chefs algonquins une pétition contre les abénaquis qui chassaient dans leur territoire.
Durant les années 1830-1840 les atikamekw avaient choisi de chasser moins de castor pour préserver la ressource et l’empiètement des abénaquis sur leur territoire causait des tensions.
En 1876 et peut-être avant des jeunes abénaquis étaient établis dans les collines au nord de Berthier et Joliette et leur nation négociait pour obtenir une réserve sur la rivière Matawin supérieure plutôt qu’à La Tuque. Ils fréquentaient la rivière Manouane jusqu’à Weymontachie et Coucoucache.
Le tableau des clubs de chasse et pêche en 1905 apporte une autre information importante sur l’empiètement progressif du territoire atikamekw; le Club Saint-Maurice fondé en 1888 au lac Wayagamack possédait un territoire exclusif de 329 km² sur la rivière du Milieu, le Club Shawinigan au lac Wapizagonke 109 km² sur la rivière Mattawin, etc.

Claude Gélinas parlait de Menisino comme du plus grand chasseur atikamekw en 1831. Ce récit incomplet commençant au milieu d’une phrase parle de lui comme d’un meurtrier qui aurait réussi à s’échaper alors qu’il avait été arrêté pour être jugé. On le dépeint comme un bel homme; et, ce qui est rare parmi les sauvages , comme n’étant nullement adonné aux boissons fortes… il est constamment sur ses gardes; craignant toujours qu’on emploie quelque stratagème pour le surprendre; vivant isolé; et il est le seul habitant de ces affreuses régions.

Un second récit parle du frère de Menisino nommé Ke-ne-cab-an-nish-cum.
