Catégorie: Histoire de Lanaudière
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Les missionnaires protestants francophones de Lanaudière

À Joliette deux panneaux historiques racontent l’histoire des protestants francophones qui se sont installés dans la ville et dans la région Lanaudière. Ces panneaux donnent la version de leur histoire telle que perçue par la majorité catholique. Ils se sont installés à Joliette, ils eurent beaucoup d’enfants et vécurent heureux. La version protestante de l’histoire est un peu différente, leur présence a quand même créé quelques tensions avec la majorité catholique.

Vers 1840 des missionnaires protestants ont commencé à parcourir les campagnes en faisant du colportage. Ils n’étaient pas toujours bien accueillis. Ils offraient des bibles pour permettre à chaque chrétien de lire le Livre dans le texte.

Dans la religion protestante le plus important est de pouvoir lire pour comprendre le texte, au risque de se tromper; les églises protestantes sont multiples. Dans la religion catholique l’interprétation du Livre vient d’en-haut, le Pape est infaillible; il n’y a qu’une Église possible.

L'église et l'école protestantes de Joliette
L’église et l’école protestantes de Joliette

La présence de ces prêcheurs francophones, on les appelait les Suisses, a beaucoup dérangé l’Église Catholique qui était en pleine reconstruction après les rébellions de 1837-1838. Le Québec aurait pu devenir plus laïc à cette époque, la population était désillusionnée de ses prêtres vendus aux anglais. Mais dès 1840 Mgr. Bourget et son clergé ont repris en main leurs brebis égarées.

Le Suisse méthodiste confondu et convaincu d'ignorance et de mensonge
C. Chiniquy -1851

La version catholique de l’histoire de la famille Rondeau

Voici l’histoire de LA famille protestante de Sainte-Élisabeth racontée par Alphonse-Charles Dugas, vicaire à Sainte-Élisabeth vers 1880, la version catholique de l’histoire:

Ambroise Rondeau se serait chicané avec son curé à propos de la dîme, une cause fréquente de plainte des paroissiens. Et il serait devenu protestant pour protester. Il avait ensuite réussi à entraîner toute sa famille avec lui.

L’histoire du débat dans l’église n’est pas datée, elle se passe en 1843 lors d’une des retraites organisées par l’Église Catholique pour reconquérir ses ouailles. Mais selon le curé Dugas ce serait la famille Rondeau qui aurait demandé au curé de Sainte-Élisabeth d’organiser un débat dans l’église. Toute la population s’était rassemblée pour y assister.

Le père était obligé de redemander, à chaque instant, le silence et le calme. Sans cela, on aurait fait un mauvais parti aux protestants.

En 1860 le nouveau curé avait mis fin à ces débats même si l’Église Catholique était toujours convaincante et victorieuse.

La version protestante de l’histoire

Sur le site internet de la Société d’histoire du protestantisme franco-québécois on trouve l’autre version de l’histoire. Ambroise Rondeau s’était converti en 1842, il s’était chicané avec son curé mais ce n’était pas une raison suffisante pour abjurer sa foi. C’est un protestant de Ramsay (St-Félix) qui lui aurait donné une Bible. Il ne savait pas lire, sa famille l’a aidé et s’est convertie au protestantisme après lui.

Biographie d'Ambroise Rondeau
Biographie d’Ambroise Rondeau (SHPF)

J’ai interrogé Jean-Louis Lalonde à propos du débat dans l’église. Il a publié plusieurs livres pour raconter l’histoire des protestants francophones occultée. Voici sa réaction au texte du curé Dugas:

Il ne s’agit pas d’un dialogue à l’époque. Mgr Bourget utilise les prédicateurs de retraite pour recréer une nouvelle adhésion au catholicisme au lendemain de la crise et de l’indifférence d’avant 1840. Il va y réussir en multipliant les confréries et autres associations qui vont multiplier l’intérêt pour le catholicisme qu’il met en place. L’approche est ultramontaine, le pape est la référence ultime, hors de l’Église point de salut, et naturellement les protestants qui proposent une autre vision chrétienne ne sont pas les bienvenus.
Entre 1840 et 1880, il y a encore quelques débats contradictoires, mais l’Église catholique se rend vite compte que cela donne de l’importance aux protestants et que les gens peuvent même trouver leur approche intéressante. C’est pourquoi à partir de la dernière date, il n’y en a plus, l’Église catholique est triomphante et elle ne veut même pas s’abaisser à traiter avec la minorité francophone.

Il y a donc bien eu des débats contradictoires provoqués par les missionnaires protestants mais c’était à leurs risques et périls. Les Suisses étaient des évangélistes prêts à affronter le martyr pour annoncer la Bonne Nouvelle. Comme les premiers chrétiens ils forçaient malgré tout le respect des gens honnêtes, il y en avait. Plus ils étaient persécutés plus ils persévéraient.

Le Bulletin / SHPFQ - No 42
Le Bulletin / SHPFQ – No 42

Les 3 Suisses décrits par le curé Dugas s’appelaient Jean-Emmanuel Tanner, Jacques-Samuel Chevaley et Joseph Vessot (qui était français). Ce dernier a laissé un journal qui permet de documenter la vie d’un colporteur de bibles.

Joseph Vessot colporteur de bibles

Jean-Louis Lalonde et Pierre Grosjean ont publié une biographie de Joseph Vessot, colporteur de bibles on en trouve un résumé en ligne: Joseph Vessot. Il s’était converti au protestantisme en France et avait étudié en Suisse où un renouveau évangélique missionnaire avait lieu. Il est arrivé au Canada en 1840 comme colporteur de bibles.

Joseph Vessot
Jean-Louis Lalonde (SHPF)

Les protestants français ont été persécutés jusqu’à la Révolution, ils avaient une longue expérience du colportage. Les missionnaires parcouraient la campagne en vendant des babioles, ils en profitaient pour prêcher et distribuer des bibles. Un groupe d’évangélistes suisses et écossais, entre autres, réunissant plusieurs églises protestantes a repris cette vieille technique pour évangéliser les canadiens-français.

Catherine Vessot
M. Fournier – Les français au Québec

Joseph Vessot voyageait beaucoup, les colporteurs devaient parcourir régulièrement leur immense circuit. Il raconte dans son journal qu’il commençait par aller visiter le curé du village; la visite s’arrêtait souvent là et il devait aller jusqu’au suivant. Vers 1847 il s’est installé à Joliette, village de l’Industrie, avec sa famille mais il a continué à voyager. Il a eu 17 enfants avec sa femme Léocadie Filliatrault, une canadienne-française.

Montreal Witness - 27 février 1856
Montreal Witness – 27 février 1856

Un jour Joseph Vessot et Daniel Amaron avaient essayé d’offrir des bibles au marché du village de l’Industrie. La foule en furie les avait poursuivis et c’est le Seigneur du lieu qui les avait sauvés en ouvrant le portail de son manoir, comme dans un conte de fées. Il y avait alors 2 seigneurs avec chacun son manoir à L’Industrie, Barthélémy Joliette et Peter-Charles Loedel, un catholique et un protestant; lequel a ouvert sa porte n’est pas précisé.

The Montreal witness, 1 janvier 1849
The Montreal Witness, 1 janvier 1849

Les annales de l’histoire des protestants francophones rapportent beaucoup d’anecdotes semblables. Les protestants francophones étaient doublement minoritaires puisque les relations avec les anglophones n’étaient pas beaucoup plus faciles. L’Église Anglicane dominante s’entendait plutôt bien avec l’Église Catholique qui maintenait l’ordre dans la colonie.

Montreal Witness - 2 août 1862
Montreal Witness – 2 août 1862

Malgré tout en 1862 une certaine tolérance obligée avait cours. J. Vessot avait son étal au marché de Joliette où il vendait des articles de couture et des livres. La suite de l’article décrit les communautés de la région: Ramsay, Kildare et Ste-Élisabeth. Il y avait d’autres missionnaires à Berthier et Saint-Gabriel-de-Brandon et quelques groupes de loyalistes américains.

Montreal Witness - 2 août 1862

Malheureusement il y a toujours eu des fanatiques. Le journal Le Pays était alors le seul journal indépendant de l’influence de l’Église, c’était le journal de l’Institut Canadien et il dénonçait systématiquement l’intolérance. En 1866 il dénonçait de nouveaux actes de vandalisme à Joliette et Ramsay.

Le Pays - 18 septembre 1866
Le Pays – 18 septembre 1866

En 1867 c’était l’échoppe de Joseph Vessot au marché de Joliette qui avait été vandalisée; par des enfants selon la Gazette de Joliette.

Le Pays - 7 novembre 1867
Le Pays – 7 novembre 1867

Joseph Vessot et les autres missionnaires ne se décourageaient pas. En 1868 quand une chicane sur l’emplacement de l’église de Chertsey a divisée la population catholique ils étaient là pour convertir les mécontents.

Montreal Witness - 29 janvier 1868
Montreal Witness – 29 janvier 1868

Mais ce genre de conversion était plutôt une protestation contre les autorités, plusieurs communautés ont émergé puis disparu.

En 1871 le célèbre prédicateur Charles Chiniquy qui en 1851 publiait des brochures contre les Suisses méthodistes s’était converti au protestantisme. C’était à son tour de subir la fureur de la foule lors de son passage à Joliette: Anti-protestant riot at Joliette.

Montreal Weekly Witness 21 juillet 1871
Montreal Weekly Witness 21 juillet 1871

La pression sociale devenait de plus en plus forte, beaucoup de protestants francophones ont déménagé dans des lieux plus hospitaliers, d’autres se sont assimilés aux anglophones.

L’histoire des minorités vue par la majorité

Le but de cette chronique n’est pas de raconter toute l’histoire des protestants francophones, ce serait trop long. Le livre Des loups dans la bergerie de Jean-Louis Lalonde disponible à la bibliothèque de Joliette la raconte très bien.

Je voulais montrer que l’histoire racontée par la majorité dominante est toujours différente de celle racontée par la minorité oppressée. Voici le commencement du texte affiché sur le panneau historique de l’ancienne église protestante de Joliette, la Mitaine:

Panneau historique - La Mitaine

Donc à Joliette une communauté presbytérienne rassemblant quelques anglophones, des suisses et des français aurait été fondée vers 1852. Il semble que ce soit plutôt vers 1847 et je ne crois pas que J. Vessot ait été pasteur en 1852, peut-être plus tard.

Il y avait des suisses et des français au début de la mission mais il y avait aussi des canadiens-français, les protestants n’étaient pas tous des étrangers comme on le laisse supposer.

Voici le texte du panneau de l’école protestante Saint-Charles:

Panneau historique - École Saint-Charles

Les protestants de Joliette n’étaient pas des huguenots, c’est un anachronisme. Les descendants des protestants francophones de la région Lanaudière auraient peut-être quelques autres objections à faire à propos de ces textes.

Je crois surtout qu’ils apprécieraient qu’une mention des vexations qu’ils ont subies soit ajoutée. Il n’est jamais superflu de rappeler que la tolérance est une notion qui a été difficilement acquise et qu’il faut la préserver plus que jamais.

Une communauté franco-protestante éduquée

La foi protestante oblige à apprendre à lire pour développer son esprit critique. La communauté francophone protestante de Joliette a très bien réussi en affaires car elle était éduquée. C’est une des raisons pour laquelle elle a été plus ou moins tolérée. En 1864 le colporteur de bibles J. Vessot était aussi actionnaire de la compagnie du Chemin de Fer du St-Laurent et de l’Industrie.

Le Pays - 30 janvier 1864
Le Pays – 30 janvier 1864

Son fils Samuel a commencé à breveter ses inventions à 17 ans et il est devenu un des principaux industriels de Joliette: Le Village Vessot

La communauté francophone protestante de Joliette est peu à peu devenue bilingue puis anglophone. D’autres communautés ont pu résister à l’assimilation mais les protestants francophones étaient doublement minoritaires.

La French Canadian Missionary Society organisait et finançait le travail des colporteurs. En regardant les comptes du trésorier pour l’année 1856 on voit qu’il n’y avait pas beaucoup de francophones dans les bureaux, ils étaient les ouvriers sur le terrain.

Montreal Witness - 27 février 1856
Montreal Witness – 27 février 1856

Le recensement de la ville de Joliette en 1881

Le recensement de Joliette en 1881 permet de connaître les familles protestantes qui y habitaient. Thomas et Noël Rondeau étaient meubliers, Léon Drouin(?) ministre du culte.

Il y avait aussi la famille de François Rondeau, bourgeois.

Isaac Cruchet, suisse, était commerçant; Alfred Cruchet était ministre. Il y avait aussi les familles de Norbert Généreux et Joseph Dumais.

Sewell Clements, américain, était tanneur; Magie Farilay(?) et Mary McCrae semblent avoir habité à la même adresse. Ils étaient tous presbytériens.

La famille d’Edward Fisk, marchand, appartenait à l’église anglicane.

David Johnson, horloger, était aussi de l’église anglaise (anglicane?) mais sa femme et ses enfants étaient catholiques.

Les Rondeau internés pour aliénation mentale

C’est curieux de constater que 3 membres de la famille Rondeau étaient internés à l’asile protestant pour aliénés de Verdun à la même époque, Thomas et son fils Thimothée Albert et Noȩl Rondeau.

Le 14 septembre 1893 François Rondeau missionnaire demeurant à Ottawa a déclaré que son frère Thomas est décédé le 23 décembre 1892 à l’hospice protestant pour les aliénés à Verdun où il était interné pour cause d’aliénation mentale et en état d’interdiction; son épouse Rachel Dixon était décédée en 1875. Ils n’avaient pris aucune disposition testamentaires et laissaient 3 héritiers, Samuel Pierre majeur demeurant à Marlborough Massachussetts, Thimothéé Albert majeur interdit et interné à l’hospice de Verdun, Gilbert mineur vivant avec son oncle à Ottawa. Les biens étaient le terrain N°427 de Joliette, le N°37 de St-Charles-Borromée et le N°548 de St-Thomas.

Le 4 octobre François Rondeau a rendu des comptes comme curateur. Samuel Pierre était ministre de la religion protestante à Marlborough; le curateur de Thimothée Albert interné était William Holiday de Rawdon et ceux de Gilbert éaient John Smiley de St-Lambert et W. Holiday.

THOMAS RONDEAU (1832- après 1889) – Thomas est du 31 octobre 1832, il avait donc douze ans au moment de la conversion de la famille, mais il a fait sienne cette adhésion. Il est d’abord cultivateur à Sainte-Élisabeth et y est colporteur en 1859-1862, quand la ferme lui en laisse le temps. Comme il travaille le bois et est fabricant de meubles, il déménage ensuite à Joliette comme son frère Noël, pour se rapprocher de la clientèle…

Dès 1872, Thomas manifeste des signes d’aliénation mentale et est emprisonné localement avant qu’on l’envoie à l’asile de Longue-Pointe près de Montréal. La naissance ultérieure de trois enfants nous fait penser que la situation s’est rétablie comme le laisse aussi entrevoir le recensement de 1881, mais il y est déjà veuf de Rachel. Thomas s’est mis en société avec Noël et ils travaillent conjointement. Cependant, vers 1886, son aliénation reviendra et c’est son frère François qui signera les contrats à sa place en 1887. En 1888, le conseil de famille dont fait partie William Holiday se réunira et décidera de le mettre en tutelle parce qu’il est devenu inapte à gérer ses biens. François qui vit de ses rentes dans la région d’Ottawa en deviendra le gestionnaire, ce qui sera reconnu au début de janvier 1889, amenant le notaire C. G. H. Beaudoin à faire l’inventaire de ses biens personnels peu après. C’est ainsi que nous apprenons la situation. John Smiley de Joliette devient le tuteur d’Albert et Gilbert qui ne sont pas encore majeurs bien qu’ils soient adolescents. Thomas est à Longue-Pointe quand un incendie majeur détruit totalement les lieux en 1890, quelques religieuses et plusieurs femmes y périssent, mais les hommes qui ont pu sortir à temps s’en réchappent. Nous n’avons pu établir la date exacte de son décès, mais en 1893, le notaire parle de sa succession, ce qui nous laisse à penser qu’il aurait pu mourir entre 1889 et 1893. Nous ne l’avons pas trouvé parmi les quelque 2000 personnes de Longue-Pointe au recensement de 1891 et il est probable qu’il soit déjà mort en 1890.

Biographies franco-protestantes

Le 17 mars 1894 Harriett Stackhouse de Lachute épouse de Noël Rondeau interdit pour cause d’aliénation mentale et interné à l’hospice protestant pour les aliénés à Verdun a vendu à Ephrem Bolduc de Joliette et Louis H. Bolduc de Minneapolis associés sous la raison E. Bolduc & Frère le terrain N°420 de Joliette. Le 28 mars elle a vendu à Fabien Moyen journalier de Joliette les N°511 et 512.

NOËL RONDEAU (1828-1908) – Le deuxième fils d’Ambroise était Noël, né le 25 décembre 1828 à Sainte-Élisabeth et baptisé le lendemain à la paroisse catholique de l’endroit. Il avait sûrement été à l’école et possédait une certaine instruction. Il était menuisier de son métier et deviendra fabricant que meubles. Après sa conversion en 1844, il mit beaucoup d’énergie à des tâches missionnaires. On le retrace à plusieurs reprises faisant du colportage dans la région de Joliette alors qu’il est célibataire. De plus, en 1855-1857, il passe à Pointe-aux-Trembles et y est probablement professeur, employé de la Société missionnaire franco-canadienne.

Carte du Québec

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