En 1867 un nouveau curé est nommé à Chertsey, Alexis-Henri Coutu. C’est un curé colonisateur comme le curé Labelle et beaucoup d’autres à cette époque. Avec ses frères il sera un des fondateurs de Saint-Donat où ils construiront le premier moulin à farine et à bois.
C’est en faisant des recherches sur les moulins de la région que j’ai découvert l’histoire de la famille Coutu. Dans une étude intitulée « Un moulin et son village celui des Coutu à St-Donat de Montcalm » publiée par la Société Historique de St-Donat en 1982 les chercheurs G. Belanger, S. Gaudet et C. Lambert ont reconstitué l’histoire de ce moulin et de ses propriétaires.
La famille Coutu
La famille Coutu est originaire de Sainte-Elisabeth-de-Joliette. Le père Hardouin Coutu est en contact avec le curé Brassard le fondateur de Saint-Michel-des-Saints, il fait partie des fondateurs de Saint-Jean de Matha.
Alexis-Henri Coutu est né en 1828 et il est ordonné prêtre en 1861. Il est nommé curé de Saint-Théodore de Chertsey en 1867. On découvre dans l’étude qu’il avait au moins 4 frères, Léandre, Régis, Césaire et Moïse.
Chercheurs d’or
En septembre 1869 Léandre et Césaire sont de retour de Californie après quelques années de prospection. C’est une période difficile au Québec et beaucoup vont tenter leur chance aux États-Unis. La plupart y restent mais certains reviennent après avoir réussi.
Les 2 frères semblent rapporter un petit pactole puisque Césaire se marie en 1872 et achète un magasin général à Saint-Elie de Caxton.
Malheureusement pour lui il semble qu’un cyclone ait détruit son magasin vers 1880 et qu’il ait du aller rejoindre ses frères à St-Donat. Son fils Fernando partira à son tour faire fortune au Klondike quelques années plus tard. Ils ont certainement inspiré Fred Pellerin.
Il faut se rappeler que la fièvre de l’or était partout présente sur les nouvelles terres de colonie. La Société d’Histoire de St-Donat raconte sur son site l’histoire des mines d’or de Chertsey qui ont englouti beaucoup d’énergie et de capitaux.
En 1869 les frères sont donc réunis et disposent de capitaux.
Un curé colonisateur

Alors que dans la première moitié du siècle le clergé peu nombreux avait du mal à desservir les terres de colonisation, à partir des années 1850 ce sont les curés qui prennent en charge l’ouverture de nouveaux territoires pour empêcher l’émigration aux États. D’abord en organisant des Sociétés de Colonisation dans les vieilles paroisses puis en se transformant en véritables promoteurs. On pense au curé Labelle dans les Laurentides, dans Lanaudière ce sont les curés Paré, Provost, Brassard…
Quand il est nommé curé de Chertsey en 1867 la paroisse est en pleine effervescence. Le territoire de la paroisse a été modifié et le déménagement de l’église depuis le village Lafontaine vers vers son site actuel a été décidé non sans difficulté. La nouvelle église et le presbytère sont en construction, il est très occupé.
Il semble pourtant avoir un plan en tête et avoir le soutien du clergé. En 1869 le curé Provost vient d’explorer le territoire de St-Donat en compagnie du ministre de l’agriculture Louis Archambault et d’autres responsables. Le curé Provost est en train de prolonger un chemin à partir de Sainte-Marguerite jusqu’à St-Donat, le chemin Provost-Masson. Ils ont remarqué un pouvoir d’eau à la décharge du lac Archambault idéal pour l’érection d’un moulin.
De son côté le curé Brassard a fondé Saint-Michel-des-Saints et il ouvre la vallée de la Mantawa par Saint-Zénon avec l’aide du curé Provost. Un paradis agricole s’ouvre dans le nord, la Mantavaisie, et le curé Coutu veut participer, relier Chertsey à St-Donat.
Le chemin Coutu
En 1868 le curé Coutu formule une pétition auprès du nouveau gouvernement québécois pour l’octroi d’aide pour l’ouverture d’un chemin le long de la rivière Ouareau. Il reçoit $2.000 en 1869. Il y a 21 miles jusqu’à St-Donat, les travaux commencent immédiatement et le chemin est praticable en 1872.
Le curé Coutu surveille les travaux et négocie avec les autorités pour les accélérer comme un véritable entrepreneur.
« Je vais à la chaussée du lac Archambault voir le curé Coutu de St-Théodore de Chertsey, comté de Montcalm, qui a envoyé un express hier à ma tente pour aller conférer avec lui par rapport au chemin de colonisation. Je veux qu’il change le tracé et lui veut que j’arpente et borne les lots nos 32, 33, 34, 35 et 36 de chaque coté de la rivière Ouareau, immédiatement pour qu’il puisse défricher. » Carolus Laurier, arpenteur – 1872
Il se préoccupe aussi de sortir le canton Lussier de la réserve de coupe de bois réclamée par une compagnie américaine. Il a donc aussi des contacts politiques.
Le moulin Coutu
Le curé et ses frères explorent d’abord le territoire, ils sont guidés par une amérindienne selon les chroniques anciennes. Ils connaissent la présence du pouvoir d’eau situé à la décharge du lac Archambault. Une compagnie forestière américaine y a déjà aménagé une chaussée pour la drave.
Ils s’établissent sur le site vers 1872 une fois le chemin complété. La construction du moulin commence immédiatement et dure 6 mois. Elle est typique de l’histoire de la colonisation. On commence par défricher le terrain et les gros arbres fournissent des poutres équarries de 12″ par 15″. Il n’y a pas de fondation, les poutres reposent sur le roc. Une fois la base du moulin en fonction on commence à scier des planches pour habiller le bâtiment et construire l’étage et les dépendances.
Pendant le printemps et l’été on actionne la scie à bois, en hiver après les récoltes c’est la meule à moudre la farine qui est en fonction.
Le 9 octobre 1894 Léandre Coutu de St-Donat s’est engagé à livrer à Edward Fisk le bois de pin et d’épinette à prendre sur les lots N°32, 33, 34, 35, 36 et 37 fu 4ème rang du canton de Lussier au moins 4.000 billots par hiver et les livrer en bas de la dam du grand lac Ouareau. E. Fisk commerçant de Joliette était propriétaire d’un moulin à scie sur la rivière Ouareau au pont des Dalles en amont de Crabtree.
Le 19 janvier 1897 Léandre Coutu a rédigé son testament. Il léguait ses biens à son frère Césaire cultivateur à St-Donat ou aux enfants de Césaire si il décédait avant lui.
Lire: L’exploitation industrielle du bois sur la rivière Ouareau
Le patrimoine Coutu
Sur cette carte les auteurs de l’étude ont reconstitué le patrimoine de la famille en 1900. Le chemin Coutu arrive de Chertsey, il rejoint le chemin Provost puis il traverse la rivière Ouareau au moulin. En 1872 la famille réclame 5 lots. En 1875 l’arpenteur parle de 8 lots occupés et 11 réclamés.
En fait les auteurs rappellent que le système seigneurial vient d’être aboli mais que la transition se fera progressivement. Le curé Coutu agit comme un seigneur voulant développer ses terres.
Il impose un plan cadastral ressemblant à celui des anciennes seigneuries, les lots étant alignés de chaque côté de la rivière Ouareau. Il bâtit le moulin et prend possession d’un patrimoine pour le bien de la future communauté. Il s’assure d’avoir assez de bois de coupe pour approvisionner le moulin et construire le village. Pour obtenir autant de lots il doit avoir recours à des prêtes-noms et user de stratagèmes. Son frère Léandre est le propriétaire officiel des lots, un curé ne doit pas avoir le droit de posséder autant de biens matériels.
Curé de St-Donat
Le curé Coutu est nommé curé de St-Donat en 1874, c’était sans doute son souhait le plus cher. Une grande habitation a été construite à côté du moulin comprenant une chapelle et un presbytère. Le moulin devient pour quelques années le centre du village mais, comme à Chertsey, en 1885 une pétition des villageois amènera le déménagement du centre à son lieu actuel plus densément occupé.
En 1881, il est nommé curé à Saint-Vincent-de-Paul et il décède à Montréal en 1907. Il continuera jusqu’à sa fin à s’occuper de St-Donat et du moulin Coutu.
La succession
Les titres de propriété sont au nom de Léandre qui est célibataire. Il redistribue les lots à ses neveux à la fin de sa vie. Le fils de Césaire, Fernando, revient du Klondike en 1906 avec 500$ une grosse somme à l’époque. Il prend en charge le moulin. En 1907 il épouse Justine Granger , la petite-fille de Magloire Granger propriétaire du magasin général du village Lafontaine de Chertsey.
Lire: L’exploitation industrielle du bois sur la rivière Ouareau
Sources et illustrations:
Un moulin et son village celui des Coutu à St-Donat, recherches Guy Bélanger, Sylvain Gaudet, Claude Lambert – 1982 – Publié par la Société Historique de St-Donat.