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Wilfrid Corbeil: la Beauté pour vivre et survivre

Wilfrid Corbeil, clerc de St-Viateur, était un artiste polyvalent qui a laissé une œuvre abondante. Le Musée d’Art de Joliette prépare une exposition pour cartographier ses différents talents en demandant la participation du public. Il a été un des fondateurs du Musée de Joliette qui est situé sur la rue Wilfrid Corbeil et il a laissé sa marque dans l’architecture de la Ville.

Le projet Corbeil au Musée d’Art de Joliette

Wilfrid Corbeil

Cet automne, le Musée d’Art de Joliette (MAJ) a convié la population lanaudoise à prendre part au Projet Corbeil, une exposition communautaire, en prêtant les œuvres de Wilfrid Corbeil (1893-1979) qu’elle possède et conserve à la maison. Cette exposition est l’occasion de réunir sous un même toit l’univers éclectique de cet artiste prolifique, d’en cartographier l’itinéraire et d’en étoffer l’étendue.

Collection Clercs de Saint-Viateur (Photo: © Musée d’art de Joliette)

Le tableau choisi pour illustrer l’exposition représente la cour du Séminaire, une photo des archives de la BANQ représente exactement le même point de vue.

L'étang du séminaire
Le séminaire de Joliette: L’étang – La rivière (BANQ)

Le Musée de Joliette se propose de cartographier l’itinéraire de Wilfrid Corbeil à travers cette exposition et d’en étoffer l’étendue (?!!). J’avais justement trouvé récemment un exemplaire dédicacé de la biographie de W. Corbeil écrite par René Pageau en 1976.

La dédicace dit: La Beauté pour vivre et pour survivre.

Le père Wilfrid Corbeil clerc de St-Viateur et artiste

Le père Wilfrid Corbeil était un religieux et un artiste qui avait besoin de côtoyer la beauté pour vivre et survivre. Cette dédicace m’a rappelé un autre livre trouvé à la bibliothèque municipale, Le Petit Joliette Illustré, dans lequel j’avais lu une histoire intrigante à propos du père Corbeil et des archives du musée de Joliette:

Des dizaines de nus sur des feuilles portant l’en-tête du Séminaire de Joliette sont conservés dans les archives du Musée de Joliette.

L’auteur Charles Guilbert raconte qu’il avait ensuite été visiter le Noviciat et qu’il avait interrogé le père qui le guidait à propos des dessins de nus masculins du père Corbeil. La réponse aurait été: « T’as vu ça toi ? », sans commentaire. Ces dessins étaient connus des membres de la communauté des Clercs de St-Viateur, ils n’étaient pas cachés.

Le jean prisonnier de la beauté - Wilfrid Corbeil
Le jean prisonnier de la beauté – Wilfrid Corbeil

Le Musée de Joliette a donc dans ses archives des documents qui permettraient de cartographier une autre facette de la personnalité de Wilfrid Corbeil. Une âme d’artiste est émue par la Beauté, on ne peut pas être artiste sans amour de la Beauté.

W. Corbeil était un ardent défenseur de l’Art Sacré, il ne se gênait pas pour critiquer la décadence de l’art religieux de son époque. L’Art Sacré, c’est la sublimation de la Beauté pour la dédier à Dieu. Mais il était aussi un promoteur de l’art profane et de la peinture moderne, un être de son époque plein de contradictions.

Malaise à Joliette concernant les Clercs de St-Viateur

Depuis quelques années les accusations portées contre les Clercs de St-Viateur ont créé un gros malaise à Joliette. Ils avaient été les éducateurs de plusieurs générations de jeunes, les inspirateurs de la vie culturelle de la ville, presque des héros. Fernand Lindsay, Rolland Brunelle, Wilfrid Corbeil et tous les autres ont créé le Musée de Joliette, le festival de musique de Lanaudière, construit le Noviciat et le Collège, etc., etc… Sans eux Joliette serait resté une petite ville ordinaire.

Malaise à Joliette

En 2022 le nom de Rolland Brunelle a commencé à être effacé de l’espace public. Une rue et la salle de spectacles ont été rebaptisés. Mais ce n’est pas simple d’effacer un nom. Sur la fresque de la place Bourget intitulée La Place du Marché il est toujours bien présent, c’est le premier personnage (1). Wilfrid Corbeil (8) et Fernand Lindsay (11) sont aussi représentés, ils font tous les trois partie des bâtisseurs de Joliette.

W. Corbeil a étudié puis enseigné au Séminaire de Joliette, il y a passé toute sa vie. Après sa retraite il a continué de plus belle à enrichir la vie culturelle de Joliette. Son parcours mérite donc d’être sérieusement cartographié par le Musée des Arts de Joliette. Mais après toutes les révélations qui ont été faites sur les abus sexuels commis par des Clercs de St-Viateur on ne peut plus ignorer ces faits. Le gros malaise persistera tant que l’abcès n’aura pas été vidé.

Wilfrid Corbeil: peintre, architecte, décorateur, organiste, etc.

W. Corbeil était un artiste complet. Musicien il a été organiste, architecte il a bâti des églises, des chapelles, un musée…, décorateur il a participé à la mise en scène de tous les grands événements de Joliette. Toutes ses peintures ne sont pas des chefs-d’œuvre bien sûr, il en a fait beaucoup, mais il avait un style personnel.

Depuis plus de trente ans, l’artiste nous revient chaque année de ces régions, avec des gouaches et des huiles qui s’alignent. Rares sont les Joliettains qui n’ont pas une de ses peintures dans leur salon. Ses toiles se vendent le soir même du vernissage avec une rapidité étonnante. Ses amis sont enchantés par son exposition annuelle. Pourtant, certains lui reprochent de toujours peindre la même chose; de se répéter depuis plus de vingt ans. Mais tout le monde est d’accord pour reconnaître qu’il a sa façon à lui de peindre.

René Pageau

De grands musées ont quand même acquis de ses toiles, son talent est reconnu. Il y a donc certainement quelques trésors dans les salons joliettains que le projet Corbeil permettra de redécouvrir.

Son style a évolué en s’ouvrant à des influences plus modernes comme dans cette peinture de 1978 du Musée d’Art Contemporain. Son art est toujours figuratif, la Beauté ne peut pas être abstraite.

Musée d’Art Contemporain: Maison de Neuville 1978

Cartographie sommaire d’un clerc de St-Viateur

Dans sa biographie on lit que sa mère, institutrice, était tombée amoureuse de son élève et l’avait épousé, comme Émilie Bordeleau. Il a commencé à dessiner très jeune sans s’intéresser à l’entreprise familiale. À cette époque les artistes entraient souvent au séminaire pour échapper à la vie industrieuse, la vie religieuse avait ses contraintes mais elle leur permettait de s’épanouir. Il y a passé sa vie.

Renouveau de l'art religieux lanaudois
L’art religieux lanaudois

Une des grandes réalisations de Wilfrid Corbeil architecte est le bâtiment du Noviciat de Joliette dont il a dessiné les plans et dirigé les travaux en 1939. C’est un des joyaux architecturaux de la ville, un édifice très original au Québec. La poursuite intentée contre les Clercs de St-Viateur pour des abus sexuels risque de forcer la communauté à vendre tout son patrimoine pour dédommager les victimes.

Maison provinciale des Clercs de St-Viateur - Extérieur

Pour réagir contre la camelote liturgique qui envahissait les sanctuaires québécois, Wilfrid Corbeil fonde Le Retable à l’automne de 1946. Il regroupe autour de lui des artistes en vue de promouvoir la cause de l’art sacré au Canada. Le Retable, nom donné à cette association d’artistes et d’artisans dont Wilfrid Corbeil est le président, travaillera aussi à la restauration de l’art sacré au pays. Son dynamisme est connu et le Noviciat de Joliette, qui attire de nombreux amis de l’art, témoigne hautement de sa folle passion, de son talent et de ses convictions.

Les artistes qu’il regroupe sont ses amis: P. Étienne Marion, musicien, l’abbé André Lecoutey, peintre sculpteur et ancien élève de Maurice Denis, Marius Plamondon, sculpteur et maître verrier qui réalise dans l’esprit du Moyen Âge les vitraux de la chapelle du Noviciat, Gilles Beaugrand, orfèvre, Sylvia Daoust, sculpteure, Cécile Chabot, peintre-imagier, P. Max Boucher, c.s.v., peintre sculpteur… Le Retable créa des ouvrages d’art pour tout ce qui concerne les églises: peinture, sculpture, vitrail, orfèvrerie, vêtement et lingerie liturgiques, céramique, mobilier.

Viateurs du Canada

À propos d’une exposition qu’il avait organisée au Séminaire de Joliette en 1942 pour présenter Paul-Émile Borduas, Alfred Pellan, Louise Gadbois et d’autres artistes de la nouvelle génération: On ne peut pas contester à des artistes le droit de réagir contre un académisme désuet et à la mode; c’est à dire contre l’art du portrait travaillé et fardé comme une photographie.

Paul-Émile Borduas – Nature morte aux raisins verts

Le numéro 28 du Livre de comptes renseigne sur les circonstances entourant la vente de ce tableau: « 1 toile (nature morte aux raisins verts) vendue au Musée de Joliette 175.00 moins 33 1/3% Père Wilfrid Corbeil ».

Catalogue raisonné

Conservateur dans son enseignement et moderne par sa pratique, il ne fait qu’un avec l’idéologie montante de l’époque qui, comme lui, tente de s’adapter aux transformations qui marquent la société québécoise, mais le fait sur la base des prémisses traditionnelles.

René Pageau
Wilfrid Corbeil
Joliette 1864-1964

La poursuite du Beau, sous ses divers aspects, aura certes orienté toute ma vie… Mon activité artistique a pour point de départ le Noviciat de Joliette, bâti en 1939, et comme point d’arrivée, au crépuscule de ma vie, le Musée…

Enfin, merci aux compagnies de Tabac, pour la générosité dont elles ont fait preuve, en souscrivant les premiers en faveur de l’entreprise.

Allocution prononcée le 25 janvier 1976 lors de l’inauguration du Musée

Le legs architectural du père Corbeil

Le Noviciat construit sur le modèle de l’église de St-Georges-de-Boscherville située sur le bord de la Seine en Normandie est son principal legs avec le Musée d’Art de Joliette.

Maison provinciale des Clercs de St-Viateur - Le cimetière

Il a laissé sa marque dans toute la région de Lanaudière en construisant des chapelles et des églises et en restaurant le patrimoine religieux existant.

Le père Corbeil serait sans doute attristé de voir l’état de conservation de certaines de ses réalisations qui sont pourtant répertoriées au Patrimoine Culturel du Québec comme l’église Saint-Jean Baptiste qui sert aujourd’hui de bureau à la société St-Vincent-de-Paul.

Son nom est aussi associé à l’ancien scolasticat des Clercs de St-Viateur, un grand bâtiment entouré d’un magnifique parc qui mériterait d’être mieux mis en valeur et entretenu.

Le scolasticat accueillit le musée d’art de Joliette dès 1969 alors que le clergé souhaitait se départir de l’immeuble. Ce dernier aménagea dans ses nouveaux locaux en janvier 1976. Aujourd’hui, la Commission scolaire des Samares offre plusieurs cours dans son pavillon de la santé, qui occupe une partie de l’immeuble. Divers autres organismes ont également établi leurs bureaux dans l’ancien scolasticat Saint-Charles.

Ensemble conventuel des Clercs de Saint-Viateur

Le bâtiment est entouré d’un terrain bordé par la rivière L’Assomption qui n’est pas clôturé et où de nombreuses personnes se promènent dans un beau sentier longeant la rivière. Idéalement ce terrain pourrait devenir un magnifique parc public au centre-ville.

Parc des Clercs de St-Viateur

Les Clercs de St-Viateur feront toujours partie de l’Histoire de Joliette, pour le meilleur et pour le pire. On ne peut pas effacer l’Histoire et faire comme si Rolland Brunelle n’avait pas été un personnage incontournable de sa vie culturelle pendant 70 ans. Si on veut cartographier l’Histoire il faut en faire un portrait complet permettant de comprendre ce qui s’est passé et pourquoi ça s’est passé comme ça.

Les archives Wilfrid Corbeil

En 2022 quand j’avais vu les dessins de nus masculins dessinés par Wilfrid Corbeil dans le Petit Joliette Illustré j’avais demandé au MAJ l’autorisation de consulter ses archives. On m’avait alors envoyé un catalogue de 209 pages contenant au moins un millier de documents. Environ un quart des documents a été numérisé mais le catalogue ne montre qu’une petite vignette. Le premier document date de 1921, voici quelques exemples.

Il y a beaucoup de dessins et de gouaches montrant les alentours du séminaire et les bâtiments de la ville de Joliette autrefois.

Les documents sont très nombreux et d’après ceux qui sont numérisés on ne peut peut pas dire que le père Corbeil avait une obsession pour les corps d’adolescents nus. Il y en a quelques uns mais c’est normal pour un artiste de rechercher à représenter la pureté de la Beauté d’un corps jeune. Ce ne sont plus des enfants mais des adolescents ou de jeunes adultes. On remarque malgré tout que les quelques dessins de corps de femmes sont toujours habillés et beaucoup plus pudiques.

L’esquisse pour Saint-Jean-Baptiste est datée de 1946? et le nu masculin de 1999 alors que W. Corbeil était mort depuis longtemps. Le catalogage précis de ces documents permettrait de mieux comprendre l’évolution de l’artiste.

La chapelle de Clermoutier construite au bord d’un lac de Chertsey est une de ses premières réalisations comme architecte et il en a fait plusieurs dessins. La chapelle est bien conservée, elle a été transformée en résidence de tourisme.

Le projet Saint-Pierre-de-Joliette est une projection futuriste de la ville imaginée en 1954?

Si le Projet Corbeil du MAJ consiste à cartographier l’oeuvre du père Wilfrid Corbeil je suppose que ses responsables auront soigneusement analysé ses archives pour en présenter un portrait complet permettant de faire une cartographie précise du parcours du père Wilfrid Corbeil.

La cour du séminaire de Joliette

L’illustration de présentation du projet Corbeil représente la cour du séminaire. Une série de photos des archives de la BANQ permet de situer l’étang représenté.

Sur cette photo la rivière est à gauche dans le fond et on aperçoit un curieux bâtiment au centre nommé la tabagie.

Le Séminaire de Joliette - L,étang et la tabagie 1921
Le Séminaire de Joliette – L’étang et la tabagie 1921 (BANQ)

Sur celle-là on aperçoit la tabagie à côté du Séminaire dans les arbres. Tout ce secteur a été fortement modifié par la construction de nouveaux bâtiments.

Le Séminaire de Joliette situé sur les bords de la rivière L'Assomption (BANQ)
Le Séminaire de Joliette situé sur les bords de la rivière L’Assomption (BANQ)

Cette série de photos anciennes permettrait de faire un parcours interactif amusant dans le parc Louis Querbes, il y en a plusieurs autres montrant d’autres points de vue. Sur celle-là le photographe était au bord de la rivière et on aperçoit la cathédrale et son clocher en arrière-plan au centre.

Celle-ci a été prise du haut du séminaire, elle montre des ouvriers en train de couper la glace (?) et la cour à bois des moulins de l’autre côté de la rivière. Plus loin il y a des champs et quelques bâtiments.

Cette vue prise à partir du moulin est particulièrement intéressante. On voit le séminaire, la cathédrale, la tabagie. On voit surtout les barrages sur la rivière L’Assomption, à droite il est toujours le même mais à gauche il n’existe plus. Au centre les petits arbres situés sur la digue sont devenus de grands chênes dans un magnifique parc.

Sur la vue à vol d’oiseau de Joliette en 1881 on voit que l’étang de la cour du collège se trouvait près du presbytère (09).

Joliette en 1881
Carte du Québec

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