C’est le refrain d’une chanson politique du Joliette d’autrefois. Pour gagner les élections il fallait parcourir la campagne et convaincre le rang de St-Albert, Beurdochettes, Péningue et Saint-Gerlot. Le chemin de Péningue se trouvait au nord de Joliette, c’est aujourd’hui la rue de la Visitation. Le rang St-Gerlot ou St-Grelot s’appelait le chemin Vessot aujourd’hui Base-de-Roc.
Péningue, Saint-Grelot et La Petite Misère
C’est en documentant l’histoire de la maison Antoine-Lacombe que j’ai appris qu’elle se situe dans un endroit autrefois nommé Péningue. Comme c’est un nom rare on peut facilement le rechercher sur internet. J’en ai trouvé une première mention dans un journal satyrique, Le Canard du 16 juillet 1887.
La Petite-Misère, Le Pot-au-Beurre, Le Dos de Cochon, Le Ruisseau Vacher, St-Grelot, Nominingue, Péningue, c’est une liste de petits hameaux situés loin de tout aux noms évocateurs: des trous perdus.
La même année 1887 Joseph Martel avocat de Joliette après avoir été battu aux élections provinciales par Louis Bazinet (Basinet) a publié cette chanson satyrique:
La chanson est restée très populaire et dans L’Étoile du Nord du 4 avril 1946 il en est encore fait mention:
Les demoiselles de Saint-Grelot qui passent et repassent sur le Pont des Dalles étaient fameuses.
J’ai eu du mal à situer le rang St-Grelot. Dans L’Étoile du Nord du 18 novembre 1948 on lit que le boulevard Querbes, aujourd’hui boulevard Base-de-Roc, s’appelait chemin Vessot ou encore rang de Saint-Guerlot. Le village Vessot a été fondé par une famille protestante, les Vessot. Le nom Saint-Guerlot a peut-être été donné au chemin par dérision, pour ne pas dire Vessot. Mais ce n’est qu’une supposition.
Quand on traversait la voie ferrée du C.N.R. à la sortie nord de Joliette on disait: on entre dans Péningue. Le chemin allait jusqu’au rang de la Petite Noraie, plus au nord il devait y avoir un chemin pour aller vers la maison Lacombe dans le canton de Kildare.
Un article du Droit de 1948 rappelle les noms poétiques des anciens rangs de Lanaudière: le Grand Côteau, Pinoche, le Pain de Sucre, Péningue, Montapeine, Bayole, le Trou-des-Fées, le quartier de la Misère…
Origine du nom Péningue
Selon les responsables de la maison Antoine-Lacombe Péningue serait une déformation de l’expression anglaise pine end. C’était l’endroit où la pinède finissait. C’est possible mais je remarque que le nom à la même consonance que Nominingue ou Témiscamingue, des noms d’origine amérindienne.
François Lanoue dans Fragments d’histoire dit que le nom Péningue semble se perdre dans la nuit de temps, il semble aussi vieux que celui de L’Industrie. En 1864 le curé Manseau parle de Péningue comme d’un bel endroit d’excursion.
La série géologique de Péningue se compose de dépôts de sable fin à moyen. Les pins poussent bien dans le sable, il se peut donc que la limite de la pinède montrait la limite du sable de Péningue. J’ai trouvé 2 définitions légèrement différentes de la série de Péningue apparaissant soit à St-Félix soit à Rawdon.
La carte géologique montre les dépôts de sable le long de la rivière L’Assomption jusqu’au St-Laurent mais ne différencie pas la série de Péningue. Les terres sablonneuses sont pauvres, on y a cultivé le tabac et aujourd’hui la pomme de terre. Autrefois il y avait de très belles pinèdes qui ont été presque entièrement rasées. Les pinèdes de Lavaltrie et Lanoraie étaient renommées pour leur beauté.
L’histoire de Péningue dans la presse
Le rang St-Grelot était un surnom qui n’a pas laissé de trace dans la presse. Péningue était un secteur sableux peu développé qui s’est transformé en un quartier de St-Charles-Borromée, son histoire est mieux documentée. La construction y est toujours en plein essor en 2022.
Le rang de Péningue
En traversant la voie ferrée à la sortie de Joliette on entrait à Péningue. Les traces concrètes de cette appellation apparaissent dans les journaux de Joliette à partir de 1915. Une terre de 70 arpents est à vendre sur le rang de Péningue à 3 milles de Joliette.
EN = L’Étoile du Nord – AP = L’Action Populaire
Le rang de Péningue était très peu habité puisque la terre n’y était pas très bonne à cultiver. Il y avait par contre de belles plages de sable sur le bord de la rivière L’Assomption et des familles de Montréal venaient y passer l’été dans des chalets. La maison de M. Schwartz a brûlé en 1923 et la famille Schwartzman a acheté la maison Antoine-Lacombe en 1924 pour accueillir les touristes. On ne peut trouver de meilleur endroit pour se baigner que chez Schwartzman.
La construction de la route gravelée jusqu’à St-Côme a été une première occasion de parler du développement de Péningue. La ville de St-Charles-Borromée a reçu un octroi de $1.500 de la part de Joliette pour cette route d’utilité publique. Le chemin de Péningue couvrait une distance de 4.16 milles à partir des limites de la ville de Joliette jusqu’au 4ème rang de Kildare.
Petit à petit des commerces se sont établis sur le chemin de Péningue mais le secteur était encore assez sauvage. En 1932 pendant la Crise la ville de Joliette a fait bûcher les chômeurs sur un terrain appartenant à E. Dufresne. Alfred Comtois parti à la chasse dans les bois de Péningue a été tué accidentellement.
Les fermes de Jos. Dufresne et Henri Majeau étaient les plus belles. L’orphelinat Saint-Georges a été construit par les Clercs de St-Viateur en 1935 au bout du chemin de Péningue (vers les habitations Bordeleau actuelles).
Une communauté juive qui dérange L’Action Populaire
Au Christ-Roi il y a des juifs. Nous ne voulons pas aller chercher Hitler pour les chasser… On dit qu’il y a de la bonne terre arabe pour eux en Palestine. Péningue doit cesser d’être la maison mère des juifs de Joliette.
Quand ils seront partis nous baptiserons Péningue autrement.
Harry Schwartzman avait acheté la maison Antoine-Lacombe en 1924. Il a ensuite construit 40 cottages qu’il louait pendant l’été à des familles pauvres de Montréal.
Les peintures naïves de son petit-fils David permettent de se faire une idée de la communauté juive de Péningue. Les pères arrivaient en autobus le vendredi après-midi pour retrouver leurs familles installées pendant l’été. Il y avait le dépanneur de Dora Schwartzman, la salle de danse…
La Maison Antoine-Lacombe possède des archives de cette époque et m’a transmis cette information: Il y avait sur place une grande salle qui accueillait des musiciens pour faire danser les gens le samedi soir. Peut-être est-ce de là que vient la réputation du lieu dans les journaux.
L’Action Populaire du 1er octobre 1936 dit que le règlement 50 concernant la moralité et la tenue vestimentaire sur les plages a été adopté par le conseil municipal de Joliette au printemps grâce à la persévérance de L’Action Catholique chez-nous. Le costume communément appelé « shorts » doit être prohibé en public.
Grâce au dévouement d’un bon nombre nous obtenions que la plage fut louée à un particulier qui en interdit l’entrée aux juifs en y plaçant des enseignes à cet effet.
En 1937 le rédacteur de L’Action Populaire imagine le quartier Christ-Roi en 1950. Il décrit les progrès faits dans ce secteur de la ville, la rue Papineau, la rue Ste-Anne, la belle gare et le tunnel pour la route.
Il faut aller voir la colonne suivante pour lire la conclusion de l’article: en 1950 Péningue et ses juifs n’est plus qu’un vague souvenir.
Avant l’été 1938 le Père Curé s’inquiète de ces lieux de perdition où des nudistes importés arrivent le samedi soir. Il faut les faire déguerpir, ce sont juste des peureux qui exploitent notre candeur.
Il n’a pas de nom, c’est juste un russe de la Péningue qui voulait à tout prix vendre deux quartiers de viande malade dans la ville. Le conseil n’entend pas y aller de main morte.
Pendant la guerre les attaques racistes ont cessé mais la route de Péningue était encore un lieu de perdition dénoncé chaque été par les journalistes de Joliette.
Avec la fondation de la paroisse Christ-Roi et l’ouverture de la rue Papineau Péningue se transforme en ville. En 1948 L’Action Populaire revient sur ses prédictions de 1937 en rapportant les progrès accomplis.
En 1948 après la guerre le journaliste parle encore de Péningue et ses juifs qui tardent à déguerpir.
Du chemin Péningue à la rue de la Visitation
En 1960 la ville se développait à proximité de Joliette mais plus au nord vers la maison Antoine-Lacombe il y avait encore des chalets d’été; et de la forêt.
L’hommage au Père Curé en 1964 raconte la transformation de l’antique peningue aux sables dorés en une véritable ville résidentielle. Les alentours de l’église étaient bien détestables, un magnifique tapis d’asphalte rend maintenant ses abords propres et faciles d’accès.
Le nom Péningue a ensuite peu à peu disparu de la toponymie. Ce n’est plus qu’un terme de géologie aujourd’hui.
La promenade des Cinq-Grelots
Après avoir rédigé cette chronique j’ai découvert que la ville de Joliette a donné le nom Promenade des Cinq-Grelots à la piste cyclable du boulevard Base-de-Roc. La Commission de Toponymie du Québec souligne que le nom Promenade des Cinq-Grelots a été choisi comme l’un des douze Toponymes coups de cœur de la Commission de toponymie en 2017.
Le facteur parcourrait tous les rangs, je ne vois pas pourquoi on aurait nommé celui-ci Cinq Grelots en particulier. En plus le courrier n’a été livré dans les rangs qu’à partir de 1908 selon les informations que j’ai trouvées. C’est donc une explication amusante mais qui me semble fantaisiste.
J’ai refait la recherche avec le terme Cinq-Grelots, j’en ai trouvé 2 mentions pour Joliette en 1898 et 1902. La concession des cinq gorlots ou cinq grelots était située sur le bord de la rivière L’Assomption selon A.C. Dugas, historien de l’époque.
On trouve beaucoup plus de mentions du rang Saint-Gerlot ou Gorlot ou Grelot qui était peut-être le surnom donné à cette concession au nom amusant.
En 1878 il y avait aussi un rang Cinq Grelots à Saint-Gabriel de Brandon:
Le mot de la fin
En faisant ces recherches on trouve toutes sortes de documents. En cherchant la maison Lacombe j’ai trouvé Péningue et St-Grelot, la communauté juive de Joliette et ses anti-sémites. On trouve aussi des perles sans rapport avec la recherche entreprise, le fruit du hasard.
J’ai pu ajouter cet article de L’Action Populaire à ma chronique sur Édouard Jetté l’évêque radiesthésiste de Joliette. Une grand’messe irradiée à travers tout le Canada. En 1949 ces termes scientifiques étaient nouveaux et pas encore tout à fait assimilés.