Samuel Vessot a fabriqué à 17 ans un semoir, herse et rouleau combinés. Il a fait breveter son invention et a fondé un centre industriel au village Vessot au sud de Joliette. Fils d’un colporteur de bibles protestant installé au village de L’Industrie vers 1845 son histoire a été racontée par Jean-Louis Lalonde, j’ai cherché à l’illustrer.
La Société d’Histoire du Protestantisme Franco-Québécois a publié une biographie de Samuel Vessot (1852-1933) par J.-L. Lalonde qui raconte toute son histoire en détail; j’en ai extrait quelques passages pour tenter de l’illustrer avec des documents de l’époque.
Joseph Vessot
Né en France en 1810, Joseph Vessot se convertit au protestantisme et devient colporteur de bibles en 1838.
La Société missionnaire franco-canadienne cherche des ouvriers pour le Canada, il tente l’aventure et arrive à Montréal en 1840… Il s’établira peu après sur une ferme à Saint-Charles-Borromée au sud du village de L’Industrie (qui s’appellera plus tard Joliette). Il est agriculteur et élève des moutons pour gagner sa vie, les émoluments touchées de la Société pour ses activités de colportage étant insuffisants pour faire vivre sa famille.
Une famille protestante pauvre à Joliette à cette époque, ça ne devait pas être facile. En 1871 le père Chiniquy, le célèbre prédicateur de la tempérance devenu protestant, est venu prêcher à Joliette. Ça a dégénéré en émeute anti-protestante selon le pasteur de Joliette. Bien sûr le Montreal Witness (21 juillet 1871) était un journal extrémiste mais on peut imaginer que l’Église avait du mal à tolérer la dissidence. Il y avait malgré tout une communauté protestante à Joliette, les Vessot et Rondeau étaient même francophones. Et puis Peter Charles Lœdel beau-frère de B. joliette et seigneur était protestant, il fallait bien le tolérer.
Le premier brevet de Samuel Vessot
Samuel a 17 ans quand il dépose son brevet pour le semoir et herse combiné à Ottawa puis à Washington en 1870.
Sur sa ferme au bord de la rivière L’Assomption la famille Vessot a commencé à fabriquer ces semoirs à petite échelle; le succès a suivi.
Les débuts des industries Vessot
Le 12 avril 1872, conjointement avec son père, il acquiert de Peter Charles Lœdel et de la sœur de Marie-Charlotte Tarrieu Taillant de Lanaudière, épouse de Barthélemy Joliette, un terrain … puis le 19 avril, un terrain d’un arpent adjacent à sa propriété, enfin le 22 avril encore un autre terrain, le tout ayant pour but d’y installer une fabrique de semoirs, mais interdiction lui est faite d’y construire un moulin à farine ou avoine, ni même à scie, afin bien sûr de ne pas venir en concurrence avec les propriétaires qui font tourner de telles installations à Joliette même.
Joseph Vessot obtient un prêt de $500 pour démarrer l’entreprise, se fiant sur l’invention de son fils Samuel. La fabrication commence à Joliette et Samuel s’associe avec un marchand de Québec pour écouler la marchandise.
Pendant quelques années on a peu d’informations mais en 1877 Samuel revient à Joliette présenter sa nouvelle invention le bouleverseur tiré par 2 chevaux et monté sur des roues.
Le 17 avril 1877, La Gazette de Joliette rapporte une démonstration de ce nouvel instrument, sorte de charrue articulée qu’on peut élever ou abaisser aux moyens de chaînes.
Gazette de Joliette 30 mars 1880 L’Étoile du Nord 2 juin 1887 LÉtoile du Nord 11 novembre 1897
En 1885 la Compagnie S. Vessot est fondée, la nouvelle invention de Samuel est une moulange brevetée (la machine à moudre Champion appelée «Champion Feed Mill»).
Finie la farine rude et grise! Finie la corvée d’aller faire moudre son blé! Cette nouveauté connut un tel succès qu’elle relégua dans l’ombre la fabrication des semoirs et des instruments aratoires des débuts et sa manufacture, après quelque temps, laissa une autre compagnie régionale s’en charger. La firme de Vessot aura l’électricité un an avant le village de Joliette qui ne l’installera qu’en 1888.
La moulange Champion obtient la médaille d’or à l’exposition universelle de Chicago en 1893 et une médaille d’argent à celle de Paris en 1900. Elle est améliorée régulièrement et complétée par le Champion oat crusher qui permet de préparer l’avoine pour les animaux de la ferme.

Le village Vessot
On trouve à la BANQ quelques photos anciennes du village Vessot situé sur le boulevard Base de Roc.
S. Vessot & Cie Résidence Vessot Le village Vessot Usines Vessot, Joliette
On note donc la longue construction des ateliers (machine shop) où se trouvent les bureaux, et juste en face un immeuble consacré à la conception et aux plans nécessaires à la fabrication des appareils, la fonderie tout à côté de l’atelier, le moulin à scie et le moulin à farine (provender mill) le long de la rivière qui profite d’une chute d’eau suffisante pour fournir l’électricité au complexe, d’où les fils électriques. Plus loin, un atelier pour travailler le bois (wood shop), un four (kiln) et le long du chemin, le magasin qui permet de présenter les différents appareils de la maison. De l’autre côté de la route, la maison imposante du propriétaire rattachée à angle droit à l’ancienne maison de Joseph. Le potager de grandes dimensions indique qu’on profite aussi de cette culture. D’autres bâtiments complètent cet ensemble.
En plus de ses usines Samuel Vessot avait développé un grand domaine agricole sur les bords de la rivière L’Assomption. Le Canada du 29 juillet 1909 en donne une description complète. « Deux îles boisées et pittoresques… sur la plus petite desquelles s’élève un chalet de pêche. Ces 2 îles sont reliées entre elles par une passerelle également pittoresque suspendue par des câbles en fil d’acier ». Ce sont les îles Vessot aujourd’hui.
En 1911 S. Vessot se lance dans le commerce de la laine pour une brève période.

Le livre Joliette en 1913 fait la description des industries de la ville. La première mentionnée est S. Vessot & Cie qui emploie 110 personnes auxquelles on paye en salaire de $900 à $1,000 par semaine. La seconde est l’Aciérie de Joliette Limitée que S. Vessot a fondée à côté de son usine entre 1908 et 1912. Le village Vessot se construit, c’est un centre industriel.
L’Étoile du Nord 16 août 1906 L’Action Populaire 25 septembre 1919
Samuel Vessot a pris sa retraite en 1915, il décède en 1933. Sa femme Almira Choinière est devenue présidente de la compagnie jusqu’à sa mort en 1954 à l’âge de 97 ans.
Dans les années 1920 S. Vessot s’associe avec la compagnie International Harvester pour équiper la moulange d’un moteur électrique.
L’Étoile du Nord 14 juillet 1921 Bulletin des Agriculteurs 10 novembre 1927
La crise économique des années 1930 va peu affecter la compagnie qui continue à prospérer pendant la guerre. En 1945 le journal de Joliette L’Étoile du Nord consacre 8 pages à un historique de la compagnie Vessot à l’occasion de son 60ème anniversaire.
La fin des industries Vessot
Au lendemain de la guerre, la production change radicalement. La compagnie fabrique de l’équipement et de la machinerie pour produits en béton et en fait elle-même, elle offre à sa clientèle différents articles pour meunerie, des moules, des convoyeurs pour élévateurs à grain, le tout complété par un service technique qui voit à la réparation des machines ou à leur amélioration. Dans les années 1960, elle emploie quelque 75 diplômés d’école technique. Par la suite, elle se spécialise davantage dans les produits de béton, puis elle est achetée par la multinationale américaine McCarcken Concrete Pipe en 1973 qui en fait une filiale. Une conjoncture difficile dans le domaine conduira à la fermeture de l’usine en 1980 après plus de cent ans d’activité.
La ville de Joliette a posé un panneau patrimonial au 638 boulevard Base de Roc à l’emplacement du village Vessot. La date de fondation donnée est 1886 pourtant les informations que j’ai recueillies indiquent 1885.
De l’autre côté de la rivière il y a le chemin Vessot et l’ancien cimetière protestant de Joliette. L’ancienne résidence de Samuel Vessot existe toujours, elle abrite l’auberge du coeur Roland-Gauvreau pour les jeunes en difficulté.
Autres documents
Photo de la famille Vessot sur le panneau patrimonial de la Mitaine, l’ancienne église protestante, provenant de la collection de la Société d’Histoire de Joliette – de Lanaudière.
Dans Jean-Baptiste Chebroux dit Latendresse (1768-1853) on peut lire l’acte de l’achat de son premier terrain par Joseph Vessot (et d’autres détails sur sa vie):
Vente par Sr. J. E. Blainville & son épouse à Sr. Jos Vessot ev.
Le mardi après midi 11 octobre 1842, en l’étude du notaire J. O. Leblanc, Furent présents Joseph Edouard Blainville instituteur demeurant à S-t Paul, Dame Thaïs Chebroux dite Latendresse son épouse qu’il autorise pour ce qui suit; Lesquels ont volontairement reconnu & confessé avoir vendu … à Sieur Joseph Vessot Evangéliste, demeurant au dit lieu, … une terre située au dit lieu de S-t Paul, Seigneurie de Lavaltrie, de la contenance de deux arpens de front, sur quinze arpens plus ou moins de profondeur, bornée par devant au chemin du Roy, par derrière à la grande ligne seigneurialle, tenant d’un côté au domaine, d’autre côté à Jean Baptiste Chébroux dit Latendresse, bâtie de deux maisons & une grange, comme la dite terre se poursuit & comporte sans en rien excepter ni réserver par les dits vendeurs, sinon jouissance durant huit années qui ont commencée le premier du courant, de la petite maison occupé par le nommé Renaud avec un demi arpent de terre en superficie, …
J’ai aussi trouvé ce beau portrait de Joseph Vessot dans l’article Le portrait d’un colporteur de bibles; et une confirmation que la présence d’une communauté protestante devait déranger:
Toutefois, cette présence protestante, au cœur du village, «était loin de plaire à tout le monde», reconnaît le biographe de Joseph Vessot. «En 1867, des enfants et des collégiens, encouragés par certains religieux catholiques, éventrèrent son échoppe, saccagèrent son stand et dispersèrent sur des centaines de mètres les pages de ses livres et brochures.»