En 1927 la ville de Joliette a accueilli la première semaine missionnaire organisée au Canada. La puissance du clergé québécois était à son apogée, le Québec n’était plus une terre de missions mais de missionnaires: les anciens coureurs des bois parcouraient le monde pour évangéliser les païens.
La bibliothèque de Joliette possède un exemplaire du recueil souvenir publié en 1928, on peut aussi le lire en ligne sur le site de la BANQ. C’est un document historique contenant de nombreuses illustrations qui raconte l’histoire de québécois partis à l’aventure pour un idéal qui a ensuite disparu en quelques années. Bien sûr c’est un document marqué par son époque, les blancs civilisés allaient instruire les peuples sous-développés en leur apportant la Bonne Parole.
Le contexte de la Semaine Missionnaire de Joliette
En 1911 les protestants américains avaient organisé une première exposition missionnaire à Boston qui avait été très remarquée. Les missions catholiques et protestantes étaient en compétition pour convertir les païens, les catholiques ont réagi.
En 1925 l’Exposition Vaticane à Rome a été la première organisée par des catholiques, celle de Joliette en 1927 a été la première au Canada. La ville de Joliette avait été choisie car ses habitants formaient une grande famille homogène:
Proportion gardée, le diocèse de Joliette est celui qui a le plus fourni de missionnaires. La population, toute homogène, forme comme une grande famille, où l’on rencontre un esprit qui est loin d’être général au Canada.
L’évêque de Joliette Guillaume Forbes avait été missionnaire chez les iroquois de Caughnawaga et parlait leur langue, son frère John Forbes avait été le premier missionnaire québécois nommé évêque. Nos deux seigneurs Forbes étaient des vedettes de l’Église triomphante. Le maire de Joliette M. J. E. Ladouceur a accueilli la manifestation avec reconnaissance aux nom de tous les joliettains.
Le programme comprenait des messes, des sermons, des instructions, des conférences avec ou sans vues, du lundi 4 juillet au dimanche 10. En voici quelques extraits:
Dans le compte-rendu détaillé on lit que le jeudi 7 juillet était la journée de l’excursion des RR. PP. Oblats de Montréal. Les membres du clergé régulier et séculier affluent. Pour la première fois, le soir, la salle-à-manger de l’évêché est remplie: on compte 100 et quelques couverts… À l’issue du salut, tandis que, à la salle académique, se donnent les conférences annoncées, le R. P. Marin, S. J., parle de la Chine à la cathédrale devant un auditoire de 1.000 à 1.200 personnes. Cette causerie est illustrée de vues animées. Dans la soirée les orphelines de la Providence costumées en indiennes ont joué Maman crise endort son bébé dans la salle académique du Séminaire.
Selon toutes les probabilités 30 à 40.000 personnes ont pris part à cette semaine missionnaire. C’est plus qu’un succès, c’est un triomphe.
L’exposition au Séminaire de Joliette
Les Clercs de St-Viateur avaient prêté leurs locaux du Séminaire de Joliette pour présenter l’exposition missionnaire dans les salles du rez-de-chaussée.
La BANQ possède une collection de photos des stands de l’exposition dans ses collections, en voici quelques unes:
Sa Grandeur, revêtu du rochet et de l’étole, parcourt alors en les bénissant les différents kiosques… Quand on entre dans la salle d’exposition, on a l’œil surpris par la richesse et la diversité du spectacle. On se sent sollicité de toutes parts. Peu à peu l’œil s’habitue. Le regard va d’abord à une statue d’argent qui se dresse au milieu de la salle et domine la foule. Une pancarte vous renseigne: c’est une gracieuse madone offerte par Louis XV aux missions d’Oka en 1740. Elle appartient aux Sulpiciens.
Documents ethnographiques
Pour illustrer leur travail à l’étranger les missionnaires ont présenté des objets et des images exotiques qui en 1927 devaient passionner les visiteurs. J’ai sélectionné quelques illustrations du livre parmi des dizaines.
La leçon de catéchisme devait être plus facile à faire aux enfants qu’aux adultes. L’Œuvre de la Sainte-Enfance a permis de racheter les âmes des petits chinois. Les paroissiens du Québec donnaient aux quêtes, ils pouvaient voir en photos à quoi servaient leurs dons:
Ces païens chinois avaient l’air particulièrement réjouis d’avoir reçu la Bonne Nouvelle:
Une fois arrivées au couvent d’Outremont à Montréal les vierges catéchistes chinoises avaient appris à se tenir et à sourire:
Le père Séraphin était quelque part en Abyssinie et semblait heureux de son sort:
Mère Marie de Ste Ursule, canadienne de Québec, se faisait photographier en calèche aux Indes:
La classe de catéchisme des Pères Blancs rappelle Tintin en Afrique:
Il y a même une illustration des cannibales africains mais ce n’est pas le missionnaire qui se fait martyriser, ce sont les nouveaux convertis:
Bien sûr il y avait aussi des missions au Canada mais elles ne concernaient que les amérindiens et quelques populations isolées. Là aussi la compétition entre catholiques et protestants était forte.
Certaines conférences étaient accompagnés de vues pour les illustrer, chaque congrégation avait ramené des objets artisanaux et des photos. Il y avait aussi des vues animées pour les enfants l’après-midi.
Les discours, sermons et conférences
Les discours retranscrits dans le livre sont représentatifs d’une époque où les Européens étaient la race supérieure! Voici la description des peuples du monde publiée par un chrétien charitable de 1927:
Pour notre part, nous croirions volontiers que les Européens, race supérieure, répugnaient moins que d’autres peuples aux enseignements dogmatiques et moraux de notre sainte religion, qu’ils avaient faim et soif de vie surnaturelle. Ajoutons qu’ils possédèrent de bonne heure un clergé national.
Les nègres au contraire ont une âme puérile. Animalis homo non percipit ea quoe sunt spriritus.
Quant aux musulmans, leur religion est trop commode pour y renoncer aisément. Elle ne comporte aucune contrainte morale, se contente d’observances formalistes, et tient ses adeptes hypnotisés dans l’attente de ses lubricités paradisiaques.
Pour ce qui est des Japonais et des Chinois, l’orgueil des premiers et le matérialisme des seconds paralysent grandement l’apostolat catholique.
Instruction par le T. R. P. Alexis, O. M. Cap. – Pages 118 et 119
Une autre instruction donnée à la cathédrale le 7 juillet s’intitulait La Vocation Missionnaire de Peuple Canadien et elle explique très bien pourquoi autant de jeunes québécois sont partis à l’aventure: Nul ne me contredira si j’avance que le Canadien-français aime l’aventure et ne redoute pas le voyage… quelle famille canadienne ne compte pas parmi ses ascendants un coureur des bois, un interprète, un compagnon des grands découvreurs, que l’attrait de l’inconnu attirait et subjuguait…
Malgré l’envahissement de militaires et de marchands britanniques, malgré des lois et des mesures nettement protestantisantes, nous n’avons pas bronché.… Ce qui a le plus contribué à rendre la Canadien-français si apte aux missions, ce sont nos mœurs patriarcales et la foi de nos foyers.
Les bénévoles et le bilan
Pour organiser tous ces événements les citoyens de Joliette ont été nombreux à offrir leur aide. Le livre montre les principaux bénévoles. Les frères et les sœurs tertiaires étaient une des nombreuses associations permettant aux laïcs de vivre une vie chrétienne, la semaine missionnaire a été organisée par les Missionnaires Franciscains de Joliette pour commémorer le 700ème anniversaire de la mort de St-François d’Assise.
À cette époque les femmes étaient très discrètes et préféraient être nommées du nom de leur mari mais ça n’a pas duré. Le journal La Patrie qui a couvert la semaine missionnaire de Joliette titrait le 9 juillet: Les premières femmes apôtres de l’église dans le monde entier ont été surtout des canadiennes!…
Les canadiennes se sont rendu compte qu’elles pouvaient très bien se passer des hommes dans leurs missions lointaines et en revenant au bercail elles ont revendiqué leur place dans la société.
À la page 93 l’état des recettes et dépenses de la Semaine Missionnaire est publié.
Les communautés missionnaires avaient assuré une grande partie des dépenses puisque cet événement largement rapporté par la presse leur faisait une belle publicité, pendant toute la semaine les journaux nationaux ont publié des articles élogieux.
Le profit net a été de $2.850.38, somme qui a été en partie consacrée à la publication du recueil souvenir en 1928.