La relation des québécois avec les amérindiens est complexe et difficile à comprendre pour un étranger. J’ai cherché à mieux comprendre l’histoire des premiers habitants du territoire pour comprendre les québécois. Les archives s’ouvrent et les publications se multiplient permettant de mieux comprendre une histoire compliquée vécue de façon différente par chaque peuple.
Je lisais « Entre l’assomoir et le godendart les atikamekw et la conquête du Moyen-Nord québécois 1870-1940″ de Claude Gélinas, le deuxième tome d’une histoire du peuple atikamekw , et je découvre la photo (©G. Morin) de la page couverture du 8 août du journal L’Action montrant un artiste atikamekw au pow-wow de Manawan.
La photo est spectaculaire mais je lis en même temps dans mon livre (page 156):
…seuls les paniers d’écorce et les mocassins semblaient faire l’objet d’une décoration… Dans les années 1820 , alors que les contacts avec les eurocanadiens étaient encore très limités, puis tout au long du 19ème siècle, les atikamekw portaient peu d’intérêt aux parures.
Le folklore pour ne pas dire l’histoire
Je trouve très intéressant que le journal L’Action nous parle de la communauté atikamekw de Manawan, c’est plutôt rare dans nos médias. Mais on voit que pour se faire entendre les peuples amérindiens doivent répondre à l’image qu’on leur a imposée, une image folklorique.
Depuis plus de 40 ans que je vis au Québec je suis intrigué par la relation des québécois et des amérindiens. Jean Morisset dans « Sur la piste du Canada errant » m’a aidé à comprendre. Une bonne politique coloniale consiste à diviser pour régner, l’Angleterre a su dans ses colonies favoriser un peuple contre un autre pour contrôler le territoire sans avoir besoin d’y garder trop de troupes d’occupation.
Les peuples amérindiens et les canadiens de l’Amérique Française avaient pourtant établi des liens très profonds mais à la conquête ils ont été divisés. Les métis ont disparus, les amérindiens ont été réduits dans leurs réserves et les québécois ont renié leurs métissage. Avec le temps les anglais sont devenus des canadiens, les canadiens des canadiens-français puis des québécois. C’est assez compliqué.
Histoire des amérindiens du Québec
Je n’ai pas la prétention de donner un cours d’histoire mais plutôt de signaler quelques publications qui m’ont permis de mieux démêler toute cette histoire. Comme je le disais dans l’article Histoire de l’histoire l’accès aux archives est de plus en plus facile et les historiens produisent maintenant des ouvrages très documentés permettant de nuancer les points de vue. L’ouverture des archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson a par exemple permis d’avoir des données précises sur les échanges aux postes de traite dans le temps.
L’empire français
Gilles Havard dans « Empire et métissages – Indiens et français dans le Pays d’en Haut 1660-1775 » raconte les débuts de la colonie française et le contact avec les amérindiens. Les quelques centaines de colons français étaient grandement dépendants des amérindiens et le commerce des fourrures ne pouvait se faire qu’avec leur collaboration. Attirant par la liberté qu’il offrait mais aussi sauvage et effrayant, le Pays d’en Haut était le poumon de la colonie permettant d’échapper aux travaux agricoles et aux administrateurs français.
Le premier contact avec les européens a déclenché un gigantesque bouleversement démographique, les maladies et les guerres ont amené les peuples amérindiens à migrer et à former de nouveaux groupements. La première traite des fourrures s’est faite à Tadoussac avec les montagnais au temps de Jacques Cartier. La vallée du St-Laurent étaient alors occupée par les peuples iroquoiens sédentaires.
100 ans plus tard Champlain constate qu’un conflit a ravagé le territoire, les montagnais auraient tenté de prendre le contrôle du chemin de la traite vers l’ouest en s’alliant aux hurons iroquoiens (Lire « Un pays neuf » de Gaston Gagnon pour l’histoire du Saguenay-Lac-St-Jean et du Domaine du Roi). La vallée du St-Laurent était devenue un champ de bataille presque vide et les colons français ont pu s’installer sur de bonnes terres en partie défrichées. Onontio, le gouverneur s’allie au nom du Roi de France avec les nations huronnes, algonquiennes et beaucoup d’autres contre les iroquois (et les anglais) pour contrôler la traite.
Au nord il semble que certaines bandes algonquiennes qui peuplaient les Laurentides soient remontées à l’abri de la colonisation et des raids iroquois. Ils avaient le choix de commercer aux comptoirs de la Baie d’Hudson ou à ceux du Domaine du Roi ou encore avec les coureurs des bois canadiens.
L’empire français était un système féodal, les nations amérindiennes étaient vassales du Roi mais dans le système féodal le vassal conservait tous ses droits sur le territoire. Il s’agit d’une alliance. Après la conquête la situation légale des amérindiens du Québec sera différente de celle du reste du Canada.
Après la conquête anglaise
Les anglais comme les français avant eux ne pouvaient pas contrôler un territoire aussi immense. Leur stratégie a été de se servir des iroquois comme des indiens privilégiés pour contrôler les autres nations (tant qu’ils ont eu besoin d’eux). Denis Delâge a écrit plusieurs livres sur cette période de la conquête puis de la révolution américaine.
Les nations iroquoises lors des guerres pour le contrôle de la traite ont été décimées mais elles ont fait de très nombreux prisonniers qui ont été adoptés pour devenir des guerriers iroquois. Une partie des iroquois s’était convertie au catholicisme pour rejoindre les nations domiciliées sous la protection du Roi de France. Leur histoire n’est donc pas simple. La crise d’Oka en 1990 avait fait remonter beaucoup d’agressivité ancestrale très surprenante, découlant de l’incompréhension mutuelle: deux peuples colonisés s’affrontaient au grand plaisir du colonisateur qui encore une fois instrumentalisait les uns contre les autres.
La Compagnie de la Baie d’Hudson était propriétaire de la Terre de Rupert située au nord de la ligne de partage des eaux nord-sud où elle avait le monopole de la traite. Elle avait aussi des postes de traite au sud de cette ligne mais pas l’exclusivité. Par exemple un immense territoire, l’ancien Domaine du Roi au Saguenay-Lac-St-Jean, était loué à des traiteurs. L’histoire de chaque nation nomade des territoires du nord est différente, la densité de population était très faible car il faut un grand territoire de chasse pour survivre. Le contact avec les européens s’est fait peu à peu, chacun y trouvant son avantage jusqu’à ce que la pression démographique des envahisseurs submerge les autochtones. Voici quelques lectures intéressantes:
- Feu, fourrures, fléaux et foi foudroyèrent les Montagnais : histoire et destin de ces tribus nomades d’après les archives de l’époque coloniale par Nelson-Martin Dawson
- Les autochtones et le Québec : des premiers contacts au Plan Nord par Alain Beaulieu, Stéphan Gervais, Martin Papillon
- Initiatives et adaptations algonquines au XIXe siècle par Leila Inksetter
Une histoire des atikamekw
Claude Gélinas a étudié en détail les archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson pour compiler les données des échanges effectués aux postes de traite de 1760 à 1940. Ça permet d’avoir un portrait nuancé de la situation à travers le temps et de mieux comprendre la vie d’un peuple nomade qui a du s’adapter à la modernité.
Avant l’arrivée des européens il y avait déjà une histoire que nous ne connaissons pas. Un jour quelques européens sont venus échanger des objets nouveaux et utiles, couteaux, haches, casseroles, tissu contre des fourrures. Chacun y trouvait son compte. Les atikamekw (quelques centaines de personnes) ont en partie modifié leur mode de vie pour tirer parti de ces ressources mais ils ont continué leur vie nomade se contentant d’échanger le strict nécessaire. Comme le prix de la fourrure et les ressources du territoire en gros gibier à la base de leur alimentation étaient très fluctuantes ils devaient continuellement s’adapter en remplaçant la chasse d’hiver par le piégeage ou en travaillant comme salariés pendant l’été.
Peu à peu leur territoire a été envahi: industrie du bois, barrages hydroélectriques (Réservoir Gouin), clubs de chasse et pêche. Le train a facilité les transports et ouvert le territoire à l’exploitation intensive. Les atikamekw ont malgré tout réussi à prospérer et accroître leur population. Ce n’est qu’à partir de la crise de 1929 que les vraies difficultés ont commencé.
Ceci est leur histoire vue par un québécois, il faudrait entendre leur version.
Le rejet du métissage
Au début de la colonie française il y avait environ 1 femme pour 7 hommes. Le métissage a donc été une réalité très présente au Canada jusqu’à la destruction de la nation métisse. Jean Morisset est très percutant quand il raconte l’histoire du Canada pays colonisé où le colonisateur s’approprie la culture des peuples colonisés comme un vampire qui absorbe leur culture pour s’en créer une totalement artificielle. Les québécois ne sont plus français, ils ne sont pas « canadiens » puisque que ça ne veut plus rien dire, ils rejettent leurs racines amérindiennes qu’on leur a appris à mépriser.
En fait ils sont créoles comme beaucoup d’autres peuples d’Amérique et c’est dans l’acceptation de leur métissage et de leur créolité qu’ils peuvent retrouver leur identité. Leur lutte est la même que celle des autres peuples d’Amérique qui ont eu un destin semblable.
Le Canada, territoire colonial
Alain Deneault décrit le Canada comme fonctionnant encore comme une colonie. C’est un paradis fiscal pour les compagnies minières (entre autres) qui continuent à exploiter le territoire comme elles le veulent sans vraiment rien retourner à la communauté, au contraire. Pour les amérindiens c’est une évidence mais les québécois et les canadiens ont du mal à percevoir cette réalité. Dans un système colonialiste la meilleure stratégie est d’avoir son indien privilégié et de dresser les autres peuples les uns contre les autres. Au Canada l’indien privilégié est le canadien assimilé « coast to coast », nos élites.
Malheureusement on dirait que le monde entier est en train de devenir territoire colonial.