L’histoire est une science humaine qui évolue dans le temps. Longtemps sous le contrôle des élites elle a servi à donner une interprétation idéologique du passé. Au Québec c’est le clergé qui a écrit ou influencé l’écriture de l’Histoire et quand la société a changé l’histoire a été mise de côté par beaucoup car elle était devenue « plate », des histoires de curé. Mais il y a un renouveau en histoire.
Le passé

Je ne veux pas dénigrer le travail des anciens qui nous ont transmis le fruit de leurs recherches au mieux de leurs connaissances mais chaque nouvelle génération d’historiens doit tenter de renouveler sa discipline pour qu’elle soit utile à ses contemporains.
Ainsi la vision du monde qu’avaient les anciens n’est plus la notre. Ils vivaient dans un monde simple, hiérarchisé, l’histoire était linéaire, marquée par quelques événements et personnages. La science moderne nous a permis de comprendre que c’était très simplificateur. Pour décrire un objet il faut tenir compte de la relativité d’échelle: avec un microscope on voit d’abord un objet lisse puis des cellules, des molécules, des atomes, des particules… À chaque niveau de l’échelle la dynamique et ses lois sont différentes, pour comprendre l’histoire il faut donc multiplier les observations en tenant compte des particularités de chaque niveau.
La microhistoire
La microhistoire est une démarche historique consistant à grossir avec un microscope la vie d’un village, d’une famille, d’un lieu en recueillant toutes les archives disponibles afin d’analyser une société dans son quotidien le plus terre à terre. Théorisée dans les années 70 en Italie elle a permis de renouveler de nombreuses recherches et produit des ouvrages variés et passionnants. Nécessitant le traitement d’une grande quantité d’archives elle a pu se développer grâce à l’informatique et aux réseaux car de plus en plus de documents sont numérisés et disponibles en ligne facilitant le travail des chercheurs.
Au Québec
Les historiens du Québec ont bien compris l’intérêt de cette démarche et de nombreux ouvrages récents viennent heureusement renouveler certaines recherches.
Par exemple l’histoire des peuples amérindiens qui était très obscure se précise en recoupant et analysant plus systématiquement les documents disponibles. Denis Delâge a montré la complexité de l’histoire des peuples iroquois instrumentalisés par les européens. Nelson-Martin Dawson dans «Feu, fourrures, fléaux et foi foudroyèrent les montagnais» a étudié les peuples de la côte nord du Saint-Laurent et lui aussi décrit une situation très complexe, des peuples déménagés, mélangés, décimés par les maladies.
Dans «Initiatives et adaptations algonquines au XIXème siècle» paru en 2017 Leila Inksetter a systématiquement étudié toutes les archives disponibles concernant les algonquins vivant au nord de l’Outaouais: Témiscamingue, Abitibi jusqu’à la limite du bassin du St-Maurice. Ils occupaient toutes les Hautes-Laurentides avant la colonisation. Étrangement son constat est que leur vie avait été peu perturbée avant 1800 et que le cycle de leur vie de nomades chasseur-cueilleur ne s’est modifié que progressivement au cours du siècle. Ils ont profité d’une vie plus facile et plus longue en se libérant de leur dépendance totale au cycle de reproduction du lièvre qui ramènait la famine régulièrement. Ce n’est qu’au 20ème siècle que leur situation s’est dégradée à cause de la pression démographique inexorable.
Je pourrais donner de nombreux exemples de ces nouvelles publications. Une histoire du Témiscouata publiée en 2017 par Jean-Claude Massé raconte l’histoire d’un portage hautement stratégique entre le Québec et l’Acadie et au cœur de nombreuses disputes frontalières. Une découverte vraiment surprenante quand on pense connaître l’histoire du Québec. On comprend mieux l’importance du lien entre les 2 colonies pendant la Nouvelle-France puis face aux américains et donc l’histoire de l’Acadie.
L’histoire régionale

Chaque village a son histoire et la plupart tentent de conserver leurs archives pour les générations futures. Ce sont donc les meilleures sources d’information pour les microhistoriens en quête de témoignages de première main. Pour les sociétés d’histoire régionales il serait donc important de s’adapter aux moyens de communication aujourd’hui disponibles afin de donner une description précise de leurs archives pour faciliter la recherche à distance.

On dit que les gens ne s’intéressent plus à l’histoire mais il faut bien avouer que ça peut aussi être très « plate » l’histoire, tout dépend de la présentation. On voit bien avec Facebook que les gens sont prêts à participer à des projets communautaires en ligne. Les sociétés d’histoire régionales pourraient inviter leurs communautés à participer à la collecte et la classification de leurs documents importants sur un site participatif leur appartenant. Les réseaux sont des outils très puissants de récolte de données. La mise en réseau de ces informations permettrait d’avoir une vision plus générale de l’histoire régionale. Les colons de Chertsey venaient de Rawdon et St-Jacques, toutes nos histoires sont reliées et se complètent.

Les sociétés d’histoire auraient en effet tout intérêt à travailler ensemble à un projet régional. Si je fais une recherche sur Magloire Granger fondateur de Chertsey je vais trouver une partie de sa vie mais il était marchand à Saint-Jacques auparavant et sa famille a fondé plusieurs villages dans la région. Je dois donc refaire des recherches qui ont sans doute déjà été faites par d’autres pour reconstituer son histoire. La mission des sociétés historiques reste la même mais les moyens de communication devraient évoluer avec les moyens disponibles aujourd’hui.
L’historien doit aussi être un peu informaticien aujourd’hui, il y a un effort à faire si on veut que l’histoire soit intéressante et que les jeunes participent. Il ne faudrait pas que les sociétés d’histoire deviennent comme les églises du Québec qui ferment toutes une fois que les anciens du village sont morts.