Claude Chauchetière missionnaire jésuite en Iroquoisie est un des premiers peintres de la Nouvelle-France. Dans sa Narration annuelle de la Mission du Sault St-Louis depuis la fondation jusqu’à l’an 1686 dont le manuscrit est numérisé à la BANQ il a dessiné 10 scènes représentant des événements historiques de la nouvelle colonie, la rencontre de deux civilisations.
La prédication en images
François-Marc Gagnon dans Premiers peintres de la Nouvelle-France (BANQ) consacre un long chapitre au travail de Claude Chauchetière en commentant la Narration. Je n’ai fait que recopier de longs extraits de son texte en y ajoutant quelques commentaires.
Claude Chauchetière a été inspiré par les tableaux de mission utilisés par Michel Le Nobletz en Bretagne pour instruire les gens illétrés des campagnes bretones.
Ce qui me soulage cest que je désigne sur le papier les veritez de l’évangile et les pratiques de la vertu inventées par Mr de Nobletz. Un autre livre contient les cérémonies de la messe en peinture appliquées à la passion de Nostre Seigneur. Un autre contient les peynes de l’Enfer en images, un autre la création du monde. Les Sauvages y lisent avec plaisir et avec fruit, et ces livres sont leurs docteurs muets.
Il avait donc peint des images pour expliquer le catéchisme aux iroquois.
Il y avoit un an (donc en 1682) qu’on commença à instruire par les peintures ce qui pleut fort aux Sauvages; on a même fait venir toute la vie de nostre Seigneur dont on a fait de petits livres que les Sauvages portent avec eux à la chasse et s’instruisent eux-mêmes. On leur a mis ainsi par écrit les sacremens, les sept péchés capitaux, l’enfer, le jugement, la mort et quelques dévotions comme du rosaire, les cérémonies de la messe.
En 1669 une trève avait été déclarée après la dévastation de l’Iroquoisie par l’armée M. de Tracy en 1666. Quelques iroquois se sont alors rapprochés des français et se sont installés d’abord à La Prairie au bord du St-Laurent en face de Montréal.
Les seules peintures de C. Chauchetière qui nous soient parvenues se trouvent dans le manuscript de la Narration rédigée en 1686, voici ces 10 illustrations et leur explication par F.-M. Gagnon. La première se situe en 1667.
Les six premiers sauvages de la prairie viennent d’Onneiout sur les neiges et les glaces
La composition se divise en trois plans de profondeur. Au premier plan, trois personnages portent raquettes aux pieds ou charge et fusil sur le dos, selon les cas. Au deuxième plan, sur la gauche, une sorte de traîneau attelé à un boeuf transporte du bois sur la neige. Au troisième plan, sur une colline à droite, un village comporte cinq maisons et une église dont on voit la lanterne. Quelques arbres complètent l’ensemble.
Le texte de la Narration … permet d’identifier l’essentiel de la scène. Les deux personnages de droite sont respectivement Tonsahoten et sa femme, Gandeacteua. Tonsahoten était un Huron converti au christianisme qu’avaient adopté les Onneidas après la destruction de la Huronie. Son épouse avait été enlevée par les Mohawks lors du sac de son village natal, Gentaienton, sur la rive sud du Lac Érié; ce village relevait de la nation des Chats (Érié, également iroquoïen). Elle fut donnée aux Oneidas, leurs alliés, à Ganouaroharé, où on la maria à Tonsahoten. Blessé à la jambe, Tonsahoten décida de se rendre à Montréal pour s’y faire soigner à l’Hôtel-Dieu. Accompagné de sa femme, de sa belle-mère, de son père et de quelques connaissances, il partit en plein hiver avec Charles Boquet, l’interprète du père Bruyas, probablement le troisième personnage à gauche sur notre dessin.
Tonsahoten est représenté ici tenant un fusil, alors que sa femme porte une charge suspendue à son bandeau de tête, selon une division des tâches habituelle aux Indiens. Le père Chauchetière a figuré l’arrivée de «cette petite troupe (…) à Montréal sur les glaces». C’est probablement, en effet, Montréal, sur sa colline qui est représentée sur la droite. Chauchetière a noté l’étonnement de ces Indiens à la vue des établissements des colons: «… Ces pauvres barbares qui ne scavoient ce que cestoit que de prêtres, d’Eglise et de cérémonie estant entrés dans leglise de Montréal furent tellement ravis et surtout Gandeakteua qu’ils ne pensèrent plus aux Iroquois d’où ils venoient».
Les Sauvages vont s’établir à la prairie de la Magdeleine avec le François ils (…).
En 1668 «… au petit printemps de la fonte des neiges d’autres Onneiouts parents des six premiers se rendirent des environs ou ils chassoient Ihyver à la prairie ainsy de six sauvages qui avoient passé Ihyver a la prairie le nombre monta jusqua dix ou douse .. .» Chauchetière les a présentés arrivant en canoë, accueillis par les jésuites.
On travaille au champ
Le dessin montre au premier plan une Indienne maniant une faux, alors que derrière elle (en haut à gauche et en bas à droite), deux personnages dénichent des oiseaux. On aperçoit au fond deux long-houses caractéristiques. L’agriculture est une tâche traditionnellement dévolue à la femme iroquoise, comme la chasse l’était à l’homme. Aussi étrange qu’on jugera l’accoutrement de l’Indienne, il correspond bien à la description que le père Chauchetière en a lui-même donnée.
La robe était portée comme un manteau et des manches étaient attachées derrière avec une corde. (…). Sur leurs robes ils mettaient des bandes de piquants de porc épic teints en rouge (…) les femmes s’habillaient comme les hommes, sauf qu’elles attachaient toujours leurs robes, qui leur tombaient jusqu’aux genoux. Les «mitasses» comportant souvent plusieurs plis comme sur le dessin de Chauchetière, et les mocassins complétaient cet ensemble.
On en bannit les boissons
Un des dessins les plus curieux de la série est le no 10 intitulé: On en bannit les boissons. On y voit un groupe d’Indiens assis sur le sol, au pied d’une sorte de croix fichée dans le corps d’un démon femelle. Au-dessus, l’un d’entre eux vide une bouteille. Dans le fond se distinguent une chapelle avec sa croix et sa cloche et une cabane.
La Narration annuelle … (1671) permet de préciser ce dont il s’agit: «Ce fut alors qu’on mit à l’entrée du village deux arbres mémorables à l’un desquels on attacha livrognerie et a l’autre limpureté toutes deux subjuguées par la foy; on fit un proverbe aux Iroquois de ce mot je m’en vais a la prairie cest a dire je quitte la boisson et la pluralité des femmes parce que quand quelqu’un parloit de demeurer a la prairie on luy proposoit d’abord ces deux articles quil falloit passer sans restriction et sans limite — autrement on n’estoit pas receu. Le village de la prairie avec toutes ces qualités devient un argument de crédibilité a tous les Iroquois qui y passoient tous les printemps dont la pluspart ne croyoient pas ce que on leur en avoit dit au pais.».
On bannit les superstitions des enterrements
Colliers, wampums et autres décorations qu’on avait l’habitude de placer dans les tombes sont ici posés sur une table. La tombe est revêtue d’un drap mortuaire décoré d’une grande croix. Une Indienne à gauche dit le chapelet et l’autre semble expliquer à une troisième ce qui en est.
Une fois de plus, la Narration annuelle … fournit le meilleur commentaire de ce dessin. Chauchetière explique qu’en 1673, à l’occasion de la mort de Gandeacteua, son mari, Tonsahonten dont nous avons déjà parlé, introduisit un changement important dans les coutumes funéraires des Indiens de La Prairie: «La coutume des Sauvages est de donner tous les biens du deffunct à leurs parens et à leurs amis pour pleurer leur mort et denterrer avec eux une partie de ce qu’ils ont eu durant leur vie et de dresser des tombeaux et de peindre des bêtes et des oiseaux quils appellent génie ou maistres de la vie; mais le mary de nostre deffuncte en qualité du premier capitaine assembla le conseil des entiens et leur dit quil ne fallait plus garder leurs premières coutumes, qui ne profitoient de rien a leurs morts que pour lui sa pensée estait de parer le corps de la deffuncte de ce quelles avoit déplus pretieux, puis quelle devoit ressusciter un jour, et d’employer le reste de ce qui lui avoit appartenu a faire l’aumosne aux pauvres, cette pensée fut suivie d’un chacun et elle est devenue, comme une loy quils ont observée depuis exactement.
On donne la confirmation la 1ère fois
L’évêque représenté est «Monseigneur l’evesque de Québec», c’est-à- dire à cette date Mgr de Laval, qui «conféra la confirmation a plus de quatre ving sauvages», lors d’une visite à la Prairie. La crosse de l’évêque, que tient un prêtre en surplis derrière lui, est très ornée, de même que ses vêtements. L’accoutrement des Indiens, par contre, est très simple. La Narration annuelle … explique ensuite que cette même année 1676, la pauvreté fut si grande, comme l’année précédente, «qu’elle a obligé la mission a quitter la terre de la Prairie pour en aller chercher une a cinq quarts de lieue plus haut nommée le Sault Saint-Louis ou de St Xavier, c’est-à-dire à Kahnawake, deuxième établissement de la mission du Sault, sur la rivière Portage, cette fois.
On bâtit la première chapelle
On y voit sur la droite un groupe de personnages diversement engagés dans le travail de construction d’une charpente en bois, alors que les Indiens représentés sur la gauche y semblent indifférents. Les trois personnages occupant le coin inférieur de la composition sont probablement des jésuites. Celui de gauche, à genoux près d’une pièce de bois, tient une équerre. Le personnage central a dans la main droite une règle et dans la gauche un compas dont on peut distinguer les deux branches si on regarde attentivement. Perché sur le comble de la charpente enfin, un ouvrier perce la poutre faîtière à l’aide d’un maillet et d’un poinçon. Dans le groupe indien, on note une femme s’apprêtant à partir en canoë, une autre en train de pêcher sur un rocher; enfin un groupe, près d’un des «arbres mémorables» dont nous avons parlé, et d’une croix, regardent vers le lointain. Ils servent à dater l’événement, l’été étant la saison de la pêche.
L’institution de la virginité consacrée
L’année 1678, au dire de la Narration annuelle … voit l’institution de la virginité consacrée parmi quelques Indiennes du Saut: «Il y en a desia plusieurs qui ont portés leur virginité dans le ciel qui nestoint que de treise, quatorze, quinze ou ving ans. Plusieurs vivent encore qui ayant souvent refusé de bons partis pour le mariage passent l’aage nubile et donnent à Dieu leurs corps et leur ame dans une grande pauvreté et shabillent d’aumosne. Cet esprit a réuny cette année toutes ces personnes qui sont au nombre de treize, elles ont pour fin la plus haute perfection».
On y voit une Indienne se faire tailler les cheveux, «qui, note Chauchetière au même endroit, est le principal ornement des sauvagesses».
On fait la procession du St Sacrement
Ces processions avaient sans doute quelque chose de particulier, car Chauchetière note «qu’on vient (les) voir par rareté». Elles s’accompagnaient de chants qu’on jugeait fort beaux: «On s’estonne tous les jours et avec raisons que des sauvages ayent si tost appris tout cela: eux qu’on nentend hurler dans les bois quand ils chantent à leur manière et qui ont une éducation si contraire aux façons policées des autres nations».
La foudre tombe au pied de la chapelle
«Sur le milieu de leté (1680) nostre chapelle fut menacée du feu du ciel lequel après plusieurs eclairs effroyables en plein midy et plusieurs grands coups de tonnerres tomba à quelques pas de la grand’porte et tomba sur deux chesnes qu’il écorcha, un homme qui alloit entrer dans la chapelle vit toutes les pierres qui estoint à terre courir autour de luy sans qu’il eust receu de mal»
Sainte Kateri Tekakwitha
Claude Chauchetière est aussi connu pour avoir été le premier biographe de Catherine Tekakwitha avec Pierre Cholenec. Il a peint de nombreuses images pieuses édifiantes qui ont disparu. Le portrait de Catherine Tekakwitha peint par C. Chauchetière en 1690 qui se trouve dans le Sanctuaire de Sainte Kateri Tekakwitha serait une copie très ancienne plutôt qu’un original.
Le 12 octobre 2012, Kateri Tekakwitha est canonisée par le pape Benoît XVI. Il s’agit alors de la première personne autochtone d’Amérique du Nord à être élevée au rang de sainteté. Sur son tombeau, dans le transept droit de la mission Saint-François-Xavier, on peut lire Kaiatanoron Kateri Tekakwitha, « Précieuse Kateri Tekakwitha ».
Sanctuaire de Sainte Kateri Tekakwitha
C’est en lisant Catherine Tekakwitha et les jésuites, la rencontre de deux mondes d’Allan Greer que j’ai découvert C. Chauchetière. C’est une recherche particulièrement intéressante sur la rencontre des cultures pendant les guerres entre les français et les iroquois. En 1669 une trève avait été déclarée après la dévastation de l’Iroquoisie par M. de Tracy en 1666. Quelques iroquois se sont alors rapprochés des français et sont devenus catholiques. Ils se sont installés d’abord à La Prairie.
Catherine Tekakwitha faisait partie de ce groupe qui a compté jusqu’à 1.000 membres. A. Greer utilise les sources écrites des jésuites qui ont été conservées en les confrontant aux recherches historiques récentes.
Quand la guerre a repris les iroquois catholiques du Saut St-Louis se sont retrouvés dans une situation très inconfortable, ils ont dû choisir leur camp.
Les premiers miracles rapportés après la mort de Catherine Tekakwitha ont été des guérisons de colons canadiens de Lachine et Laprairie; puis elle a été un peu oubliée. Son culte a été ressuscité par une catholique américaine à la fin du XIXème siècle qui en a fait une sainte féministe libre de son corps qu’elle a réussi à préserver de toute tâche. Elle a alors été rebaptisée Kateri, nom qui sonnait mieux pour les anglophones. Selon A. Greer les iroquois de Kahnawake trouvent qu’elle a été trop récupérée par les colonialistes mais dans le reste de l’Amérique religieuse c’est une sainte amérindienne, la première, et elle est vénérée.
À lire: Compte-rendu du livre d’Allan Greer.
École de cartographie du Conquet
Ma famille maternelle est originaire du Conquet tout au bout de la Bretagne où une école de cartographie a été fondée au XVIème siècle qui a inspirée les travaux de C. Chauchetière. Wikipedia montre quelques cartes de cette époque: