Internet devait permettre aux artistes marginaux de rejoindre leur auditoire et d’ainsi enrichir la vie culturelle. Mais le constat que fait Alain Brunet chroniqueur musical à la Presse depuis 35 ans est tout autre: il y avait 175.000 musiciens professionnels aux États-Unis en 1991, il n’en restait plus que 76.000 en 2015. Les artistes marginaux ne peuvent plus vivre de leur art et la vie culturelle s’appauvrit.
Je me suis installé au Québec en 1975 parce que j’y ai trouvé une vie culturelle très riche et vivante. Les choses ont changé depuis et pas pour le mieux. Et pourtant la société des loisirs et internet promettaient une vie culturelle enrichie et florissante pour tous.
La vie d’artiste
À Nominingue j’ai personnellement connu Claude Gauthier, un poète qui a pu faire une carrière et créer de très belles chansons. La vente de ses albums et ses tournées lui suffisaient pour une vie simple. Beaucoup d’autres artistes enrichissaient alors la culture québécoise offrant une vraie diversité bénéfique à toute la société. Quelle belle époque!
Le coût du clic
Aujourd’hui les artistes ne vendent plus d’albums. Le producteur d’Angèle Dubeau explique que sur les plate-formes de streaming un clic rapporte ½ cent; ça en prend beaucoup pour faire un revenu. Pour Angèle Dubeau, une artiste renommée internationalement, il faudrait que le coût soit de 5 cents pour que ce soit rentable. Et pour un artiste marginal ça restera toujours une misère.
Pour faire de l’argent il faut maintenant proposer un produit standard qui plaira à la masse et produira des millions de clics. Aujourd’hui 1% des contenus représente 80% des revenus de l’industrie. 99% des artistes doivent se contenter de 20% des revenus.
La musique gratuite
Internet c’est la gratuité et l’industrie de la musique a été la première a en subir les conséquences. Elle a résisté sans succès et a dû s’adapter pour essayer de sauver les miettes. Aujourd’hui les majors du showbiz investissent dans les plate-formes de streaming comme Spotify.

D’après les chiffres d’Alain Brunet un CD rapportait à l’artiste $10.37, le même album téléchargé $6.00 et maintenant en streaming environ $0.05 par clic. Le streaming devient la norme et on atteint le fond du baril pour les artistes. L’argent payé par les consommateurs est à peu près constant mais il va maintenant aux intermédiaires: connexion internet, ordinateur, abonnement, publicité en ligne… au lieu de leur être remis comme avant.
Le pire c’est que comme Uber et autres, Spotify n’est pas rentable, qu’elle contourne toutes les lois, qu’elle tue le marché et les artistes pour enrichir des actionnaires spéculant en bourse.
Le référencement truqué
Il n’y a jamais eu autant d’artistes et de productions, tout le monde peut être artiste et il y a beaucoup de très bons artistes. Mais justement comme il y en a tellement c’est très difficile de se faire connaître, il faut être référencé. Les fichiers musicaux comme les pages web ou les photos contiennent des métadonnées qui sont inscrites au fur et à mesure de la vie du fichier. Le contrôle de ces métadonnées est essentiel mais les petits producteurs n’en ont pas les moyens.

Ce sont ces métadonnées qui permettent de proposer d’autre contenu et de diriger l’internaute dans un choix impossible à faire vu la multitude d’offres. L’algorithme nous guide dans notre découverte et il sait très bien où il veut nous emmener. On peut penser que l’algorithme de Google doit donner la meilleure réponse à une question (en principe), mais celui de Spotify c’est moins clair si il appartient aux majors de l’industrie.
Le sens critique évacué
Peu de gens écoutent encore un album en entier et souvent même pas un morceau. Lire une page un peu longue devient compliqué. Marie-Mai ou J.-S. Bach c’est au même niveau. Tout devient égal dans une multitude impossible à assimiler.
La critique professionnelle n’existe plus, la rubrique culturelle des médias nous rapporte plutôt en détail le costume et la vie privée des vedettes, le contenant; le contenu a de moins en moins d’importance. Ils se sont ajustés eux aussi à la tyrannie du clic et doivent investir dans des produits standardisés touchant le plus grand auditoire possible, comme dans la téléréalité.
Des solutions qui tardent
Le nouveau protocole internet blockchain pourrait être une solution. Il permet de suivre un fichier en y inscrivant toutes les transactions sans pouvoir être modifié. Il pourrait permettre de tracer les fichiers numériques pour que tous les ayant droits soient justement rétribués. Au Québec le RAM (Regroupement des Artistes de la Musique) permet aux artistes de se faire entendre et de se regrouper pour se protéger. Le mouvement est mondial.
Les derniers accords internationaux sur la propriété intellectuelle datent de 1996 au tout début d’internet et n’ont pas été adaptés depuis. Les intermédiaires sont dégagés de toute responsabilité ce qui a permis aux géants des médias de faire leurs lois.
Chaque année qui passe sans que les lois soient modifiées est une année de profit supplémentaire pour ces géants. AirBnB tue les BnB, Uber tue les taxis et quand tout le monde est mort on commence à penser à faire des lois. Un peu partout dans le monde on commence à légiférer mais au Canada on s’interroge encore. Il faudrait surtout que les États-Unis montrent le chemin mais c’est mal parti.
Il s’agit de la survie de la culture.
Les journalistes
Alain Brunet dit aussi que la 2ème victime d’internet après la musique est le journalisme. Le nombre de journalistes chute dramatiquement, ils sont remplacés par les blogs et les réseaux sociaux. On voit le résultat aux États-Unis où la situation devient dramatique. Tout le monde peut dire n’importe quoi et plus personne n’est crédible.

Super intéressant comme article. C’est très bien écrit et le propos est clair, malheureusement… Malheureusement car la réalité que l’article décrit si bien est déprimante. Toutefois il est nécessaire de la dénoncer et de se battre ensemble pour la liberté de créer et la richesse culturelle.
C’est pas facile! La Belle Église de Chertsey qui devait être un centre culturel pour les artistes d’ici devient une salle de spectacles qu’il faut rentabiliser avec des vedettes qui se vendent facilement. On a un bon service des Loisirs mais pour la Culture c’est trop compliqué et pas rentable à court terme. Et comme personne ne se plaint…