Si je peux rédiger ces chroniques c’est grâce aux bibliothèques publiques où je trouve la plupart de mes informations. J’ai appris à faire mon site internet en lisant des manuels trouvés à la bibliothèque de Montréal. Éva Circé-Côté a participé à la fondation de la première bibliothèque publique francophone de Montréal et en a été la première bibliothécaire en 1903; elle a pris sa retraite en 1932. Elle mérite donc bien cet hommage de ma part.
Les anglophones avaient leurs bibliothèques publiques et pouvaient apprendre. Les francophones n’avaient pas encore cette chance, le clergé catholique bloquait systématiquement toutes les tentatives. Il ne tolérait que les petites bibliothèques paroissiales proposant quelques livres approuvés. Les journalistes libéraux ont fait campagne, en particulier les chroniqueuses. En 1900 le féminisme revendiquait aussi le droit à l’instruction égale et l’accès à la culture pour tous.
Éva Circé-Côté libre-penseuse féministe
En 1903 la première bibliothèque publique a ouvert au Monument National de Montréal sous la direction d’Éva Circé bibliothécaire. Comme Gaëtane de Montreuil et Madeleine et d’autres femmes de cette époque Colombine était déjà une journaliste connue, écrivant sous de nombreux pseudonymes. Elle n’était pas confinée à la rubrique féminine. Dans les salles de rédaction des journaux libéraux de l’époque elle avait collaboré avec Arthur Buies, Olivar Asselin, Charles Gill, Arthur de Bussières, Louis Dantin, Émile Nelligan et beaucoup d’autres intellectuels.
La vie d’Éva Circé-Côté a été racontée par Marcel Lajeunesse dans la revue de la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec. Andrée Lévesque a sous-titré sa biographie très documentée Éva Circé-Côté, libre-penseuse; je m’en suis inspiré pour écrire cette chronique. La revue de la Société d’histoire du protestantisme franco-québécois lui a aussi consacré un long article dont voici la première page:
Les premières bibliothèques de Montréal
Le Mechanic’s Institute a été la première bibliothèque publique de Montréal en 1828; elle s’appelle aujourd’hui Bibliothèque Atwater. Mais c’était une bibliothèque technique seulement. Il y avait quelques bibliothèques privées accessibles par abonnement réservées à l’élite montréalaise. Pour les protestants l’accès à l’éducation est primordial, ils ont pris les moyens pour rendre les livres plus accessibles; en 1828 ils étaient encore rares et précieux.
Les francophones ont essayé de les imiter en créant l’Institut Canadien en 1844. Mais Mgr. Bourget veillait. Les membres de l’Institut ont été ostracisés et en 1869 les livres de sa bibliothèque ont été mis à l’index.
Quand l’Institut a fermé en 1880 la ville de Montréal aurait pu récupérer les 10.000 livres de sa bibliothèque, elle n’a pas osé affronter la censure de l’Église. C’est l’Institut Fraser, fondé en 1885, qui les a repris. La bibliothèque de Westmount a ouvert en 1899, c’était la première bibliothèque publique de Montréal mais elle était anglophone. Le débat est donc revenu dans l’actualité, surtout en 1901 quand la ville a refusé l’offre de subvention de $150.000 du mécène Andrew Carnegie, un protestant américain.
C’est finalement la Chambre de Commerce de Montréal qui a proposé de fonder une bibliothèque technique et scientifique pour améliorer la qualité de la main-d’oeuvre, une façon de contourner la censure de l’Église. Le projet a été adopté par le conseil municipal en mai 1903 et la bibliothèque a été ouverte dans une pièce du Monument National propriété de l’Association Saint-Jean-Baptiste.
Il y a eu 3 candidates pour le poste de bibliothécaire alors considéré comme un poste féminin: Mme Tremblay, Idola St-Jean et Éva Circé qui a été choisie. Elle était encore célibataire, c’est en 1905 qu’elle a épousé Pierre-Salomon Côté, médecin des pauvres et franc-maçon. Elle se définissait comme autodidacte ayant tout appris dans les livres. La bibliothèque municipale va être le projet de sa vie.
La bibliothèque municipale de Montréal
Éva Circé avait le soutien des femmes de l’Association St-Jean-Baptiste propriétaire du Monument National. La commission nommée par la ville allouait un petit budget et la bibliothécaire achetait des livres. Le choix était délicat, les autorités religieuses étaient à l’affût. Elle avait été nommée bibliothécaire provisoirement en attendant de trouver un homme pour occuper ce poste. Elle avait étudié pour avoir les qualifications requises, un homme n’avait pas besoin de le faire et gagnait deux fois plus. Ce n’est qu’en 1916 qu’elle a obtenu un poste d’assistante-bibliothécaire, une femme ne pouvant pas être bibliothécaire-chef.
Le local était malcommode et la bibliothèque a déménagé en 1911 à l’École Technique, 70 rue Sherbrooke ouest. En 1914 la construction de l’édifice actuel en face du parc Lafontaine a été décidée, l’inauguration a été faite en 1917 par le maréchal Joffre.
La ville de Montréal a publié un très long article pour raconter l’histoire de sa bibliothèque municipale. J’y ai cherché le nom d’Éva Circé-Côté sans le trouver: Les cent ans de la Bibliothèque de la Ville de Montréal. Elle y a pourtant consacré son énergie de 1903 à 1932 et ce n’était pas facile.
En 1909 l’enterrement de son mari Pierre-Salomon Côté a causé un scandale, il a refusé les derniers sacrements, c’était un franc-maçon et il s’est fait incinérer. Dans une petite ville comme Montréal sa veuve qui avait respecté ses volontés était marquée à jamais. Si Éva Circé-Côté a pu conserver son poste c’est qu’elle avait les compétences requises et le soutien des libéraux.
Sa situation était malgré tout précaire et elle a dû se perfectionner. En 1910 elle a étudié la bibliographie à l’université McGill pour pouvoir cataloguer les livres des collections. En 1933 l’institution ne comptait que 70.000 ouvrages sur les 400.000 qu’elle aurait pu accueillir, c’était une bibliothèque sans livres. Essayer de faire de la lumière au temps de la grande noirceur n’a pas dû être facile.
Le budget accordé et le choix des livres à acheter ont été ses principaux soucis. Dans cette liste d’achat de livres datant de 1917 on remarque The descent of man de Charles Darwin; on peut supposer que ce genre d’achat indisposait le clergé.
Éva Circé-Côté avait étudié la bibliographie pour cataloguer la collection Philéas Gagnon acquise par la ville en 1910. L’auteur de cet article aurait pu l’écrire.
Éva Circé-Côté a été l’âme de la bibliothèque de Montréal de 1903 jusqu’à sa retraite en 1932, elle a accompagné sa naissance. En 2017 pour son 100ème anniversaire la ville a raconté toute son histoire en détail sans mentionner son nom. Les bibliothécaires sont encore en majorité des femmes et les administrateurs des hommes mais il ne faudrait pas oublier l’action sociale des féministes des années 1900. L’éducation populaire était une de leur revendication, le Québec en avait bien besoin et en a toujours besoin.
Je n’ai raconté qu’une petite partie de la vie d’Éva Circé-Côté. En plus de travailler 40 heures par semaine à la bibliothèque elle a continué a publié des centaines de chroniques dans les journaux sous ses nombreux pseudonymes, des livres et des pièces de théâtre. Elle était en plus la mère d’une petite fille qu’elle a dû élever seule après le décès de son mari.
Hommage aux bibliothèques publiques
J’ai arrêté l’école à 16 ans mais j’ai pu continuer à apprendre tout au long de ma vie grâce aux bibliothèques publiques. En 1999 quand j’ai eu besoin de construire un site internet pour publiciser mon gîte touristique j’ai trouvé les premières informations à la bibliothèque de Nominingue. En 2003 j’ai déménagé à Montréal au moment où la Grande Bibliothèque a ouvert et j’y ai trouvé tous les manuels récents pour me perfectionner.
La bibliothèque donne accès à la littérature mondiale, à l’histoire locale des villages du Québec, aux sciences, aux techniques, à la musique, aux films… Quand on est curieux on trouve toujours quelque chose d’intéressant à la bibliothèque et j’en profite largement.
Bibliothèque et Archives Nationales du Québec est à la disposition de tous les québécois, accessible en ligne depuis notre fauteuil. C’est une chance inouïe de pouvoir appendre si facilement, l’idéal d’Éva Circé-Côté.
Informations complémentaires
- Le commerce du livre en région: Les premières librairies de Joliette
- Les francs-maçons au Québec: Alphonse Durand excommunié en 1912
Référence: Andrée Lévesque – Éva Circé-Côté libre-penseuse 1871-1949 (Éditions du Remue-ménage – 2010)