Quand l’arpenteur J.A. Martin a dessiné le plan du futur village de Nominingue en 1882 il a nommé ce village Jogueville, sans doute en souvenir d’Isaac Jogues martyr canadien. Le nom n’est pas resté, Nominingue est plus poétique. Les cartes dessinées pour ouvrir les cantons à la colonisation sont très précises, elles sont belles à regarder et on y trouve beaucoup d’informations.
Le village de Jogueville – 1882
Pour ouvrir les terres de colonisation, des arpenteurs du département des Terres de la Couronne établissaient des plans afin de répartir les lots et dessiner les rues des villages futurs. En 1882 J.A. Martin arpenteur a établi le plan du village de Jogueville situé dans le canton Loranger comté d’Ottawa; le village s’appelle aujourd’hui Nominingue. Ces plans n’ont pas toujours été suivis mais celui de Jogueville alias Nominingue l’a été en grande partie.
Le village de Nominingue en 2023 n’est pas très différent: le chemin Tour du Lac est la rue dessinée à droite, la rue Sacré-Coeur est l’axe central, seule la rue de gauche n’a jamais été respectée. L’église a d’abord été édifiée à l’emplacement prévu jusqu’à ce qu’elle soit déménagée à son emplacement actuel (au centre sur la place publique du plan). Les seuls bâtiments déjà existants en 1882 sont dessinés, une maison et une grange. C’était l’établissement des pères jésuites arrivés en 1881 à la demande du curé Labelle.
La BANQ a aussi numérisé les carnets d’arpentage de J.A. Martin. Ce sont des notes techniques mais l’introduction décrit le coteau rocheux où se trouve le village de Nominingue, avant qu’il n’y ait de maison.
La cartographie de la rivière Rouge
En 1831 Joseph Bouchette avait cartographié les terres colonisées du Canada. La vallée de la rivière Rouge n’était même pas esquissée à cette date:
En regardant le fichier original on peut agrandir l’image. L’embouchure de la rivière Rouge est bien dessinée à Grenville et des bûcherons avaient sûrement commencé à remonter la rivière pour exploiter le bois. Mais le territoire n’était pas cartographié précisément.
Les premières cartes précises du haut de la vallée de la rivière Rouge conservées par la BANQ datent de 1864; il y en a au moins 3 différentes qui ont été produites la même année. Voici une vue générale de la rivière Rouge depuis Mont-Tremblant à droite (Trembling lake) jusqu’au lac Maison de Pierre à gauche. Le lac Nominingue (Nomoning lake) est en-bas au centre. Depuis le Mont-Tremblant jusque loin au nord de Nominingue la forêt à l’est de la rivière est décrite comme extensive pinery.
Les 3 cartes donnent des détails différents, j’ai agrandi quelques secteurs. Celle-ci montre les 2 lacs Nominingue, le lac Macaza et le lac Labelle qui s’appelait Maskinongé. Un chemin longe la rivière.
Sur la troisième carte de 1864 on ne voit que le bout du lac Nomoning mais le chemin de portage entre la rivière Rouge et le lac est précisément dessiné.
La carte montre l’emplacement de la ferme du milieu (Middle Farm) des frères Hamilton, exploitants de bois. C’est l’emplacement du futur village de L’Annonciation, aujourd’hui Rivière Rouge.
Plus en amont la ferme d’en-haut (Upper Farm) appartenant aussi aux frères Hamilton est aujourd’hui l’emplacement du village de Ferme-Neuve.
Ces cartes étaient dessinées pour décrire le bois à exploiter dans les forêts des Laurentides et les rivières permettant de le faire flotter jusqu’au Saint-Laurent. Il n’y avait pas encore de colons ni de projet de colonisation, seulement des bûcherons et des squatters.
Le cadastrage du canton Marchand
Pour coloniser il faut que les lots soient arpentés. En 1880 la vallée de la Rouge était cadastrée jusqu’au canton Marchand (L’Annonciation). Sur cette carte de 1880 on voit qu’il y a les noms de quelques propriétaires à l’emplacement de la ferme des frères Hamilton. Le dernier lot alloué est celui de B. Chalifoux juste avant l’embranchement de la rivière Nominingue. Les essences forestières sont précisément décrites.
En aval le nom anglais du lac Macaza était Maaksee, comme la rivière; il n’y avait pas encore de fermiers installés dans ce secteur où les terres sont sans doute moins fertiles.
Le cadastrage du canton Loranger
En 1880 un premier plan de cadastrage des lots et du village St-Ignace a été publié. Les noms des lacs Ste-Marie et St-Joseph sont inversés par rapport à aujourd’hui. Des chemins ont été dessinés, certains sont juste des projets.
En 1881 J. Alcide Martin a arpenté le canton de Loranger. Sur cette carte on voit mieux les 2 anciens chemins de chantier menant de chaque côté de la pointe Manitou; le tracé d’un chemin pour relier la rivière Rouge à la rivière du Lièvre est dessiné.
En détaillant encore plus la carte on voit le défrichement que les pères jésuites ont fait en 1881, 20 arpents près du lac St-Joseph.
En 1882 J.A. Martin l’arpenteur a dessiné une carte plus précise. Sur celle-ci les noms des lacs St-Joseph et Ste-Marie sont encore inversés. Le village s’appelle St-Ignace alors que la même année il dessinait le plan de Jogueville. Un chemin arrivait de L’Annonciation et un autre longeait la rive nord du grand lac Nominingue; il y en avait d’autres vers le petit lac Nominingue et le lac des Îles (Lac des Grandes-Baies). Le chemin Chapleau arrivait du lac Noir au sud et au 7ème rang il se divisait. Il continuait vers le nord alors que le chemin Gouin allait vers l’est et le lac Sawgay (Lac Saguay).
Ce ne sont que des projets de chemins, des plans pour le futur.
La construction du P’tit Train du Nord
En 1885 la Carte du bassin de la Lièvre, de la Rouge, de la Nord, de l’Assomption et d’une partie de la Gatineau et de La Mattawin a été publiée par J.E. Fournier et Antoine Labelle, le curé. Elle a servi à promouvoir la colonisation des cantons du nord, il restait plein de bonnes terres à cultiver au nord de Nominingue.
Là encore il est difficile de faire la part entre les réalisations effectives et les projets. La ligne de train projetée par le curé Labelle est dessinée. Au nord de la Chute aux Iroquois (Labelle) une ligne aurait bifurqué vers l’ouest pour rejoindre Maniwaki en suivant le chemin Chapleau vers Kiamika. Une autre ligne aurait ouvert à la colonisation les territoires de la rivière Mattawin jusqu’au St-Maurice.
En 1897 la compagnie du P’tit Train du Nord a publié une carte touristique: Map Showing The Principal Lakes Of The Region North of Montreal Reached By The Canadian Pacific Railway.
À cette date la ligne se terminait à la Chute aux Iroquois renommée Labelle après la mort du curé. Au nord il y avait des églises à L’Ascension et Lac George, aujourd’hui lac Tibériade à Ste-Véronique. Il y avait même un ferry sur le granc lac Nominingue.
Plus au sud la ligne de chemin de fer et de nouveaux chemins avaient permis la création de nombreux villages: Ste-Adèle, St-Hypolite, Ste-Marguerite, Ste-Lucie, St-Adolphe, Ste-Agathe, etc.
Sur un autre plan détaillé (1898) du chemin Chapleau entre Nominingue et Kiamika on voit le moulin à scie des jésuites sur le lac St-Joseph et une beurrerie située à côté.
Pour dessiner la carte l’arpenteur-géographe Amédée-Ph. Landry avait d’abord pris des notes dans son carnet d’arpentage. À la page 42 on trouve un schéma plus précis du même secteur avec le tracé du chemin prévu.
Le P’tit Train du Nord est arrivé à Nominingue en 1904 et à Mont-Laurier en 1909. La colonisation de la vallée de la rivière Rouge a continué mais on était rendu à la limite des terres cultivables dans les Laurentides. Les cartes dessinées par les arpenteurs étaient précises et détaillées. Elles comportent des erreurs mais décrivent l’évolution de la colonisation des Hautes-Laurentides par la rivière Rouge. Elles montrent les lacs et les rivières permettant de circuler avant la construction des routes d’aujourd’hui.
Lire: L’Ami du Colon et la coopérative de Nominingue – 1906
Nominingue en 1952
Sur la carte officielle du canton de Loranger publiée en 1952 par le gouvernement les noms des lacs St-Joseph et Ste-Marie sont toujours inversés. Les citoyens de Nominingue ont peut-être décidé un jour d’inverser les noms après 1952. Ou alors l’erreur commise par le cartographe en 1880 a été reprise par tous ses successeurs qui ne sont jamais venu vérifier leurs informations sur le terrain.
Ces cartes sont très belles mais attention, elles peuvent contenir des erreurs.
Merci pour ton travail unique Guillaume.
Bonjour,
Pour débuter, sincères félicitations pour vos excellents travaux. Je suis âgé de 83 ans, je suis natif de Nominingue, mes parents y ont vécu, mes grands-parents y sont arrivés au début de la colonisation et plusieurs membres de ma famille y demeurent. La sœur de mon père, tante Agnès, était religieuse et elle a vécu une partie de sa vie au Provincialat des sœurs de Sainte-Croix où vous avez demeuré 15 ans. Est-il possible pour vous de communiquer avec moi, merci.
Cordialement,
Paul-Henri Ragot