« Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes » par Pablo Servigne et Raphaël Stevens. Une nouvelle science est née, la collapsologie, la science de l’effondrement. Loin des prédictions de fin du monde et d’Apocalypse les auteurs nous expliquent dans cet ouvrage les causes menant inéluctablement à l’effondrement prochain de notre civilisation industrielle afin d’en atténuer les conséquences (si possible).
« Aujourd’hui l’utopie a changé de camp: est utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant. L’effondrement est l’horizon de notre génération, c’est le début de son avenir. Qu’y aura-t-il après ? Tout cela reste à penser, à imaginer, et à vivre… »
Des courbes exponentielles
Mettez un grain de riz sur la première case d’un échiquier, puis 2 sur la deuxième, puis 4, etc… La caractéristique d’une courbe exponentielle est que sa dynamique est contre-intuitive, lorsque les effets de la croissance apparaissent il est souvent trop tard pour réagir, on se retrouve rapidement avec des milliards de grains de riz sur l’échiquier. La population mondiale, le PIB, la consommation d’eau et d’énergie, la pollution, le changement climatique, les extinctions d’espèces, le recul des forêts, l’Anthropocène est un monde de courbes exponentielles. Notre vie sociale elle-même s’accélère.
Jusqu’où pouvons nous accélérer (car nous accélérons toujours plus) ? La collapsologie distingue 2 types de limites : les limites infranchissables (eau potable, terres arables, pétrole, charbon, métaux, etc…) et les frontières invisibles à ne pas franchir sous peine de non-retour (réchauffement, pollution).
Les limites infranchissables
Notre société industrielle a besoin d’énergie bon marché. Le pétrole a commencé à être extrait avec un rapport de 100:1 au début du XXème siècle. 1 unité d’énergie investie produisait 100 unités. En 1990 il était tombé à 35:1 et aujourd’hui ente 10 et 20. Les sables bitumineux sont entre 2 et 4. Tout le pétrole facile a déjà été extrait, il ne reste plus que le compliqué, le coûteux, le polluant. Il faudrait investir massivement et donc emprunter pour assurer l’avenir mais la dette n’est soutenable que si il y a de la croissance en perspective. Toutes les énergies renouvelables (sauf hydrauliques), éoliennes, panneaux solaires, ont des rapports très faibles entre 1.5 et 3:1, en plus il faut beaucoup de métaux et de matériaux précieux pour les fabriquer et les entretenir.
Le pic d’extraction ne concerne pas que le pétrole, de nombreux métaux, les engrais naturels (phosphate), le charbon atteignent ou ont dépassé leur pic. Il faut toujours plus d’énergie pour produire la même quantité. Les scientifiques estiment que le rapport moyen minimal pour soutenir notre mode de vie est entre 12 et 13:1 seuil vers lequel nous nous dirigeons allègrement.
Les problèmes d’eau potable et de terres arables sont plus évidents : une population qui croît exponentiellement, une disponibilité en eau et en terres arables qui diminue.
Les frontières invisibles
Il ne reste plus beaucoup de sceptiques à propos du réchauffement climatique puisque nous commençons tous à en ressentir les effets. Les climatologues étudient le passé pour essayer de prédire l’avenir mais la situation est tellement inédite qu’ils peuvent difficilement avoir des certitudes. Est-il déjà trop tard ? Peut-être pas mais chaque année qui passe amplifie le problème exponentiellement. Il y a des expériences qu’il vaut mieux éviter de faire, comme tester la limite ultime de notre écosystème puisque nous ne la connaissons pas. En chimie il y a des seuils réactifs. Certains prédisent une prolifération prochaine de bactéries dans les océans produisant de l’hydrogène sulfuré et détruisant la couche d’ozone.
La complexité est la même pour la biodiversité. Les entomologistes rapportent un effondrement brutal, deux tiers des espèces d’insectes étudiées sont en déclin dont les pollinisateurs. Les poissons, les oiseaux, les mammifères toutes les espèces sont menacées car dans la biodiversité tout est relié, la disparition d’une espèce a des conséquences imprévisibles sur l’ensemble de l’écosystème.
Quelques autres frontières invisibles (jusqu’où aller ?) : pollution chimique, acidification des océans, consommation d’eau douce, etc… Le cycle du phosphore et de l’azote serait quant à lui perturbé irréversiblement (frontière franchie), la quantité d’engrais chimique utilisée en agriculture industrielle ne peut plus être absorbée naturellement et pollue par eutrophisation des eaux avec de graves conséquences.
Changer de direction
Dans un monde en constante accélération il devient très difficile de ralentir ou de changer de direction sans perturber l’ensemble du système. Changer la filière automobile ou la production d’énergie demanderait des investissements et une énergie gigantesques que nous n’avons pas, il faut être réaliste. Nous sommes donc condamnés à entretenir des infrastructures de plus en plus coûteuses et fragiles alors même que les finances publiques se tarissent. Nous avons déjà tellement investi dans ces systèmes qu’il n’est plus possible de les changer, la direction est bloquée. Nous ne pouvons même pas ralentir, au contraire tout notre système repose sur une accélération constante, plus de croissance et tout s’écroule.
Nous pourrions peut-être régler un de nos problèmes mais pas tous en même temps. Pourtant chacun isolément peut provoquer l’effondrement.
Les systèmes complexes
Avec la mondialisation notre société est de plus en plus homogène et connectée ce qui la rend très vulnérable aux perturbations. La science des systèmes complexe a beaucoup progressé et nous permet d’expérimenter pour essayer d’anticiper. Un système complexe modulaire et hétérogène est beaucoup plus résistant car une perturbation n’aura que des conséquences locales et il s’adaptera, alors qu’un système homogène résistera un certain temps grâce à sa connectivité mais si les perturbations persistent des effets en cascade mèneront à des effets catastrophiques et soudains sur tout le système. Plus le système est complexe plus il devient difficile de le modifier sans le perturber.
La finance mondiale est aujourd’hui hors contrôle, trop grosse pour tomber. Les produits dérivés abstraits qu’elle a créés représentaient 710.000 milliards fin 2013, des produits si complexes que très peu comprennent de quoi il retourne. Dans un système complexe la complexité elle-même peut être source de perturbations. Toute crise financière a des conséquences mondiales immédiates aujourd’hui.
De la même façon les chaînes d’approvisionnement ont été optimisées et reposent sur un système fonctionnant sur le fil du rasoir. Les pièces proviennent du monde entier et sont assemblées à la demande. Le moindre retard a des conséquences en cascade sur l’ensemble du système. Tout repose sur le réseau internet qui semble très fragile.
Une pandémie comme la grippe espagnole de 1917 pourrait aussi perturber dangereusement le système, les cadres aujourd’hui sont très spécialisés et opèrent des systèmes très sophistiqués, ils ne peuvent pas être remplacés aussi facilement.
En fait une très petite perturbation peut déstabiliser un système trop complexe avec des effets imprévisibles.
Se préparer à l’effondrement
Un politicien qui proposerait de se préparer à l’effondrement provoquerait aussitôt la panique et déclencherait ce qu’il voulait justement éviter. Il ne peut que promettre des emplois et de la croissance, la solution ne viendra donc pas de lui. Il semble très difficile de se préparer à ce qui nous attend.
D’après les modèles informatiques un système égalitaire est plus résilient qu’un système inégalitaire. L’étude des extinctions de civilisation dans le passé prouve que dans un système inégalitaire les élites ressentent les effets des perturbations trop tard, après que le système se soit effondré, car ils sont les derniers à en profiter. Comme il semble que notre système devienne de plus en plus inégalitaire les décisions risquent de se prendre trop tard. Pourtant l’alarme sonne depuis au moins 40 ans pour qui veut bien s’informer.
Que va-t-il se passer ? Une simple rupture de la chaîne d’approvisionnement (électricité, eau, nourriture, internet) nous prendrait totalement au dépourvu et sèmerait le chaos. La complexité de notre mode de vie nous met à la merci du moindre « bug ». Il faut donc se préparer. L’effondrement va-t-il être progressif ou brutal, impossible de prévoir les réactions d’un système aussi complexe, la seule certitude est qu’il arrivera tôt ou tard.
Les rares solutions envisageables semblent locales, il faut d’urgence favoriser les systèmes autonomes résilients qui pourront mieux endurer les chocs à venir. Être conscient et informé des menaces est indispensable pour se préparer et s’adapter.