En 1908 pour le tricentenaire de Québec un gigantesque spectacle costumé a eu lieu dans la ville. H.V. Nelles a raconté cette histoire dans un livre intitulé L’Histoire spectacle en français; le titre anglais est plus explicite, The art of nation-building. La fête devait servir à bâtir une nouvelle nation, le Canada. Je me suis intéressé à la place réservée aux Premières Nations dans ce projet.
Le nouveau Gouverneur Général, Lord Grey, était un idéaliste de l’Empire Britannique. Très proche du Roi il avait le désir et le pouvoir d’organiser un grand spectacle commémoratif de la fondation de Québec pour enfin apaiser les tensions entre les peuples du Canada. La fête a été très réussie, tout le monde s’est beaucoup amusé mais le plan de Lord Grey n’a pas vraiment eu de suite, les tensions sont vite revenues.
Pour la fête il fallait absolument des indiens, mais ce n’était pas si simple. Le chapitre de L’Histoire spectacle qui leur est consacré est instructif de la place qui leur est réservée dans cette nouvelle nation.
Des indiens costumés
L.O. Armstrong un agent du Canadien Pacifique reçut $5.000 de la Commission des champs de bataille nationaux pour recruter, payer et transporter les autochtones: des iroquois de Kahnawake, des Ojibwas de Sault Ste. Marie et bien sûr d’autres Indiens de L’Ancienne-Lorette, à côté de Québec.
Tous les autres figurants du spectacle étaient bénévoles.
On avait cru que les Indiens apporteraient leurs propres costumes, qu’ils vivaient costumés. Mais ils arrivèrent tels qu’ils étaient, de sorte qu’il fallut acheter des costumes pour eux, des arcs, des flèches, des coiffures à plumes, exactement comme pour les autres acteurs.
Il y aurait eu assez d’Indiens à L’Ancienne-Lorette près de Québec mais les organisateurs trouvaient qu’ils avaient l’air trop européens: loin du cliché recherché leur proximité culturelle était même inquiétante.
Avant le cinéma les spectacles de reconstitution historique ont eu beaucoup de succès. Dans les expositions coloniales des villages de primitifs étaient reconstitués et les spectateurs pouvaient découvrir leur mode de vie comme dans la réalité, c’était éducatif. Les américains eux ont inventé les reconstitutions du Wild West. Buffalo Bill était déjà venu plusieurs fois à Montréal et Québec avec sa troupe. Mais cette fois il y avait une intention politique en plus: bâtir le Canada de demain.
Tehonikonraka
Frank Lascelles engagé comme metteur en scène du spectacle était plus ambitieux. Les « pageants« qu’il produisait en Angleterre étaient une sorte de jeu de rôle psychanalytique: en faisant participer tous les membres de la société à la production d’un spectacle un effet thérapeutique a lieu. Les riches, les pauvres, les français, les anglais, les indiens, tout le monde se parle et se comprend mieux.
C’est juste que les Indiens ne sont pas venus spontanément, c’étaient des acteurs payés.
Les Indiens s’étaient révélés de superbes acteurs. Leurs chants, leurs danses et leurs combats simulés avaient donné de l’ardeur à la production et passionné la foule.
Lascelles a tellement aimé et bien compris ses Indiens qu’ils ont organisé une fête où il a été fait chef. La cérémonie a eu lieu en privé à la fin des festivités sur les Plaines d’Abraham dans le camp indien. Ça a dû être très émouvant. 30 ans plus tard lors de son décès en Angleterre son titre de chef iroquois était fièrement précisé dans l’avis.
On alluma un feu. Le chef Scarface commença à taper sur son tambour. Le chef Sazy attacha ensuite un collier de wampun au cou de Lascelles… Prenant sa plume d’appartenance il se pencha pour être couronné d’une superbe coiffe de plumes d’aigle et recevoir le nom de Tehonikonraka, qui signifie homme aux ressources infinies.
William Price le plus gros industriel de Québec a aussi été fait chef lors de la cérémonie.
On s’accorda à dire que les Indiens avaient éclipsé les autres participants… Au bout du compte ils volèrent la vedette dans la plupart des scènes.
En fait plusieurs de ces Indiens étaient des professionnels des spectacles du wild west et ils n’ont pas eu de mal à éclipser les amateurs: leurs costumes étaient plus exotiques et leurs actions plus dramatiques. Ils ont été bien payés et ils en ont donné pour leur argent aux spectateurs et aux commanditaires.
Le livre Quebec ancient and modern : containing over 150 illustrations and a short history of the city founded by Champlain raconte l’histoire du Québec et documente les pageants; il est signé par Frank Lacelles. Il contient de nombreuses illustrations dont la numérisation n’est pas de très bonne qualité malheureusement.
The art of nation-building
Il y avait beaucoup de sceptiques avant la fête. Transformer les fêtes du trois-centième anniversaire de la ville de Québec en spectacle de l’impérialisme anglais triomphant et bienveillant, ça aurait pu envenimer les tensions au lieu de les apaiser.
Le Prince de Galles, le vice-président américain, la France, le Clergé, les bateaux de guerre avec 5.000 marins et 12.000 miliciens canadiens défilant dans les rues de Québec, c’était très impressionnant. L’apothéose qu’aurait souhaitée Lord Grey était la célébration de la victoire des Plaines d’Abraham, acte fondateur du Canada tel qu’il le concevait.
Les nationalistes ont réussi à ce qu’on amalgame la bataille des Plaines d’Abraham et celle de Ste-Foy, victoire française, et qu’on finisse le spectacle par celles contre les américains où les français et les anglais ont lutté ensemble. Mais ils n’ont pas beaucoup participé à la fête. La célébration était tellement grandiose que finalement personne n’a trop osé critiquer l’aspect pseudo-historique reconstitué du spectacle destiné à transmettre un message.
Wolfe et Montcalm sont réunis dans le même monument et le Parc Historique des Plaines d’Abraham créé à cette occasion inclut le Parc des Braves où sont enterrés les morts de la bataille de Ste-Foy.
C’était un spectacle grandiose et tout le monde s’est bien amusé. Mais ça ne semble pas avoir réglé les problèmes de la Nation canadienne, les tensions sont vite revenues. L’Angleterre était venu montrer sa puissance et ses bateaux de guerre pour que le Canada s’arme rapidement en préparation de la guerre prochaine. Il a fallu obéir et ça a amené la crise de la conscription entre les français et les anglais.
Quant aux Premières Nations elles n’étaient là que pour ajouter de l’exotisme au spectacle; les Indiens représentés n’avaient rien à voir avec les vraies Premières-Nations du Canada. Dans la réalité du Canada en construction leur simple existence était une gêne plutôt qu’un atout. Les Indiens mobilisés pour le spectacle ont quand même réussi à se faire remarquer mais ils ne se faisaient certainement pas d’illusion sur la place qui leur était réservée dans la Nation.
Aucun représentant des Premières Nations n’a jamais été invité à un dîner officiel lors de ces festivités.
Quelques photos de la fête
H.V. Nelles dit qu’il y a beaucoup de photos et de documents du tricentenaire qui ont été conservés dans les archives: des collections privées et publiques. Le souvenir de cette fête est resté longtemps dans les mémoires.
Convaincre les Canadiens d’origine française d’accepter, non de proposer plutôt de célébrer le Tricentenaire de Champlain par la consécration des Plaines d’Abraham ne fut pas une mince tâche, et vous pouvez aisément comprendre que, sur cette question, nous nous butons constamment à un sentiment racial un peu douloureux et sommes toujours sur nos gardes, de crainte qu’il se manifeste.
Lord Grey au ministre des Colonies
Lord Grey était un fin diplomate et au final Québec a été heureux d’accueillir le fils de son Roi et son spectacle total. Le monument érigé pour l’occasion aurait dû être conservé, on se croirait chez les Indiens d’Inde.
Références:
Les illustrations viennent des Archives Nationales du Québec et du Canada, du Musée des Beaux-Arts du Québec et de la Presse.