Au printemps 1885 la débâcle de la rivière L’Assomption a détruit presque toutes les installations situées sur ses rives en passant à Joliette. Les dommages ont été considérables, 5 ponts ont été emportés et tous les moulins ont été endommagés, une partie de la ville a été inondée. Le récit des journaux permet de documenter les moulins en activité à Joliette en 1885.
Catastrophe épouvantable – Inondations sans précédent
5 ponts emportés, 4 digues rompues, un moulin entièrement détruit
Pertes de $100.000
Gazette de Joliette mardi 28 avril 1885
Vendredi les eaux de la rivière L’Assomption étaient déjà très élevées et tout faisait présager quelque catastrophe. Dans le cours de cette journée la digue de la compagnie de papier Crilly fut partiellement rompue…
La digue de la compagnie Crilly se trouvait devant l’école actuelle des Mélèzes, la compagnie s’est plus tard appelée McArthur. La digue servait à actionner un moulin à papier.
Les moulins Bordeleau
La chaussées des moulins Bordeleau à 5 miles plus haut que Joliette était aussi brisée et emportée ce jour-là et Mr. Eugène Bordeleau et ses employés étaient obligés de fuir leur résidence bâtie sur une île pour ne pas mettre leur vie en danger. En effet pendant la nuit la débâcle s’opérant emportait les maisons et les dépendances en causant des dommages considérables.

Un article de la Gazette de Joliette du 13 mai donne des précisions sur les dommages occasionnés par la débâcle. Le tiers de l’île sur sa longueur a été emporté. On apprend aussi qu’il y avait un moulin à farine en 1885 sur cette île qui s’appelle toujours Bordeleau en 2022.
Sur un plan de la rivière L’Assomption daté de 1853 les îles ont été dessinées en détail et colorées en jaune. La légende dit que les îles colorées en jaune ont été accordées par le Département des Terres de la Couronne il y a quelques années à feu Joseph Lefebre.
On peut supposer que le moulin Bordeleau date de cette époque puisque l’arpenteur a pris soin de bien représenter ces îles situées à la limite du canton de Kildare et de la seigneurie de Lanoraie.
La ferme de Pierre Majeau
Dans la même nuit Mr. Pierre Majeau était forcé de quitter sa résidence menacée par les glaces que la crue des eaux charriait sur la presqu’île.
Le pont des moulins des sœurs
Dans le même temps le pont des moulins des sœurs de la Providence et de Mr. Copping était emporté et une partie de la digue rompue.
Le pont des sœurs était situé à l’emplacement de la passerelle des Clercs près de la Maison Antoine Lacombe.
Sur la carte de 1853 on lit dans la légende que M. Edward Scallon occupe les îles colorées en rouge désignées par les lettres A et B. Elles sont elles aussi situées à la limite du canton de Kildare.
M. Scallon avait acheté de B. Joliette un terrain où il fit bâtir sur la rive sud-ouest de la rivière L’Assomption à quelques arpents du rang double, un moulin à scie et à farine.
Edward Scallon et le Village d’Entreprise
E. Scallon aurait voulu fonder son village d’Entreprise à cet endroit comme B. Joliette venait de la faire avec le village d’Industrie.
La débâcle du samedi
Samedi matin les eaux montaient toujours et les appréhensions devenaient toujours plus grandes. Les propriétaires des moulins de Joliette redoutaient la débâcle et prenaient toutes les mesures possibles pour protéger leurs propriétés. La glace couvrait la rivière sur une étendue de 7 à 8 miles.
Vers trois heures de l’après-midi de grands glaçons se détachèrent un peu plus haut que la chaussée des trois premiers moulins emportant des radeaux, booms, sur une étendue de plusieurs arpents.
Enfin vers 7 heures et demie du soir, la débâcle commença à s’opérer. D’immenses banquises descendirent rapidement. Tout à coup les empellements du grand moulin se brisent et l’eau couvrant une étendue de 4 à 5 arpents de largeur, se précipite comme un torrent, emportant tout sur son passage.
L’image de Joliette vue à vol d’oiseau en 1881 permet de visualiser les bâtiments qui ont été détruits. Les empellements sont les vannes permettant de régler le débit d’eau situées à l’entrée du canal. Le dessinateur a oublié de dessiner la chaussée des 3 premiers moulins qui barrait la rivière juste en amont du bâtiment 12. Elle est toujours à cet emplacement.

La glace continuant de descendre, brise le pont conduisant à la gare. Un instant après le moulin à carder de M. Gilmour est renversé puis emporté par les flots.
Le pont couvert qui venait d’être construit a été emporté. Le moulin à carder de M. Gilmour est le bâtiment 12 en amont du pont. En 1871 George Gilmour avait un moulin à fouler et à carder la laine dans le village de St-Liguori. Il a déménagé son commerce à Joliette ou alors il avait plusieurs moulins.
Et tous ces débris volant sur le torrent, vont briser le pont des Dalles que les flots emportent à leur tour, Les grands moulins à scie, à farine de MM. Fontaine, Kelly et Cie de la compagnie à bois sont menacés. Heureusement de grandes quantités de bois carré se massant dans le canal des divers moulins, semblent les protéger. La débâcle continue pendant deux heures et de grandes quantités de bois de toutes sortes couvrent constamment la rivière. Un instant, on craint que le torrent mette en péril la bâtisse de l’aqueduc. Cependant, après deux heures de vives inquiétudes pour la population de Joliette, l’eau baissa considérablement et rentra dans le lit de la rivière.
Un article de L’Étoile du Nord du 5 juin 1884 peu avant l’inondation décrit les industries de l’époque. La manufacture de papier appartenant à Mr. Crilly, les moulins à scie de la Compagnie à bois de Joliette et de Mr. W. Copping des 2 côtés de la rivière…
Le constat des dommages
Dimanche matin tous les habitants de la Ville purent constater l’étendue des dommages qui ne sont pas moins de $100.000.
Les personnes qui ont souffert les plus grandes pertes, outre celles déjà nommées, sont M. Gilmour, M. Fontaine, la Compagnie à Bois, MM. Kelly et Copping, la fonderie de Joliette et M. Crilly.
L’inondation du 25 avril courant est sans précédent dans les annales de Joliette. Jamais des dommages aussi considérables n’avaient été causés ici par la débâcle ni par aucune autre cause.
Le journal L’Étoile du Nord a fait un compte-rendu complet des dommages dans son édition du 2 mai.
Histoire des moulins Bordeleau
Dans cet article le journaliste parle des scieries de MM. Bordeleau alors que dans l’article plus haut le journaliste parlait d’un moulin à farine. Curieusement les moulins Bordeleau ne sont absolument pas documentés dans l’histoire régionale.
J’ai trouvé ces articles sur la débâcle de la rivière L’Assomption en 1885 en faisant une recherche sur le moulin Bordeleau. Un lecteur du site m’a envoyé cette photo des vestiges qu’on aperçoit sur l’île en me demandant si j’avais des informations.
D’après la carte de 1853 il semble que l’île ait été occupée avant l’île d’E. Scallon. Le premier propriétaire aurait été Joseph Lefebre et on peut supposer qu’il s’était installé sur l’île pour exploiter le pouvoir d’eau de la rivière. On lit dans la Gazette de Joliette du 4 février 1867 que les superbes moulins de Mr. H. Cornellier connus sous le nom de moulin Lefebvre ont brûlé.

Dans le recensement de Saint-Charles-Borromée les seuls moulins recensés sont ceux de Cornellier et Baby au même emplacement, un moulin à farine d’avoine et de blé ($4.800) et un moulin à scie ($600).
En 1890, après l’inondation, Eugène Bordeleau avait reconstruit des moulins sur l’île dont un moulin à scie. Il avait aussi découvert du minerai de fer dans les alentours.



Le succès n’a pas dû être au rendez-vous et en 1901 le moulin Bordeleau a été vendu à la famille Carswell:

L’Étoile du Nord du 9 mai 1902 annonçait que Napoléon Flamand prenait la direction du moulin à scie de M. W. W. Carswell, ancien moulin Bordeleau.


En 1912 le moulin Bordeleau de M. Copping était toujours propriétaire du pouvoir d’eau mais ça ne signifie pas que le moulin fonctionnait encore: Les pouvoirs d’eau de la rivière L’Assomption.
Les moulins de Joliette, patrimoine culturel
Joliette a inscrit de nombreux bâtiments de la ville au Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec mais aucun moulin. Ce sont pourtant ses moulins qui ont fait la ville de Joliette, sans moulin pas de ville de Joliette.
La photo des vestiges sur l’île Bordeleau montre un bâtiment de pierre imposant. Dans son livre sur l’histoire de St-Ambroise-de-Kildare J.-C. Lapierre raconte l’histoire du moulin des sœurs et il y a une belle photo des vestiges d’un bâtiment de pierre très semblable.
Des ruines assez importantes existent toujours de ce vieux moulin, elles nous permettent de constater la grandeur de cet ouvrage, 70 pieds par 40 pieds. Nous pouvons voir l’emplacement exact qu’il occupait en bordure de la rivière L’Assomption. Dans ces ruines existent encore les arches en pierre où passait l’eau pour faire tourner les cinq roues motrices du moulin. Ces vestiges sont situés à l’arrière de l’Hôtel des Gouverneurs…
Des tiges d’acier plantées dans le roc au fond de la rivière confirment l’existence de ce barrage.
J.-C. Lapierre
Dans la ville de Joliette il y a de nombreux vestiges des anciens moulins, ne serait-ce que les 2 barrages du centre-ville. Plus bas il y a encore de magnifiques vestiges de bâtiments de pierre à l’emplacement des moulins de Samuel Vessot.


En descendant vers Saint-Paul il y a encore l’emplacement du Vieux Moulin que beaucoup de gens fréquentent sans se rendre compte qu’en observant les marques du travail qui a été fait dans le rocher par les constructeurs de ces anciens moulins on peut facilement comprendre le fonctionnement d’un moulin à eau.
Joliette est riche en patrimoine culturel, il faut le mettre en valeur et le faire connaître.