Catégorie: Histoire de Lanaudière
Site indépendant sans témoin espion

Les chaufourniers de Saint-Thomas

Jacqueline Plante Harnois a publié Histoire de Saint-Thomas 1837-1987 pour le 150ème anniversaire de la paroisse. Elle y raconte, entre autres, l’histoire de ses chaufourniers. Les fabricants de chaux de St-Thomas étaient connus dans toute la région pour la qualité de leur produit fait à partir des pierres calcaires affleurant au nord de son territoire, là où se trouve aujourd’hui une grosse usine de ciment.

Four à chaux et chaufourniers

Histoire des fours à chaux de St-Thomas

J’ai numérisé cette photo dans son livre, elle montre un petit fourneau à chaux comme on en trouvait près de la carrière où est extraite la pierre servant maintenant à fabriquer le ciment.

Four à chaux de St-Thomas

À cette époque, la chaux était indispensable à la fabrication du mortier dont on se servait en maçonnerie… le ciment était alors à peu près inconnu ou trop coûteux. On blanchissait beaucoup les bâtiments, les étables, les écuries.

J. Plante Harnois

La chaux avait un effet désinfectant qui permettait d’assainir les bâtiments de ferme.

Pendant longtemps les fours à chaux ont fait partie du paysage rural puisqu’ils étaient indispensables mais quand j’ai fait une recherche sur internet pour illustrer cet article je n’ai pas trouvé grand chose. La Société d’Histoire de Joliette a dans ses archives une belle photo du four à chaux qui se trouvait près du pont des Dalles à Joliette.

Carrière et four à chaux, pont des Dalles
Carrière et four à chaux, pont des Dalles – SHJL

Une carte postale numérisée par le musée McCord permet de voir ce même four à chaux agrandi mais pas très net.

Four à chaux de Joliette

Vers 1920 il y aurait eu 12 fours à chaux en opération à St-Thomas et J. Plante Harnois donne une liste des chaufourniers. Le dernier four en opération a été celui de Théophile Harnois et Rémi Corriveau, il a fermé en 1936 quand l’industrie a remplacé le travail artisanal.

Four à chaux et chaufourniers

Dans le recensement de 1871 des tableaux font la liste des établissements industriels avec le nom de leurs propriétaires et leur valeur. Voici la liste des fours à chaux recensés à St-Thomas:

  • Ephrem Lavallée ($25) fonctionne 4 mois par mois et emploie 1 personne
  • Hilaire Lavallée ($20) 2 mois 1 personne
  • Louis Brunelle ($20) 10 mois 2 personnes
  • Joseph Lavallée ($16) 10 mois 2 personnes
  • Olivier Desnommé ($12) 1 mois 2 personnes
  • Stanislas Plouffe ($36) 2 mois 2 personnes
  • Narcisse et François Robitaille ($20) 2 mois 2 personnes
  • Onésime Robitaille ($8) 1 mois 1 personne
  • Pierre Ducharme ($10) 3 mois 1 personne

Par comparaison les seuls moulins de St-Thomas appartenant à Hercule Lebeau étaient évalués à $600 pour le moulin à farine et $300 pour le moulin à scie. Dans ce recensement il y avait un four à chaux à Joliette appartenant à Théophile Richard, 3 à St-Paul, 2 à St-Ambroise, 0 à Ste-Élisabeth et St-Charles-Borromée. Je n’ai pas regardé tous les villages mais leur présence dépendait d’affleurements exploitables de pierre calcaire. À St-Félix-de-Valois il y avait 5 moulins à farine, 6 moulins à scie et 2 moulins à carder mais pas de four à chaux.

Voici une illustration d’un four à chaux un peu plus imposant:

Four à chaux du parc Lafontaine
Four à chaux du parc Lafontaine à Montréal (BANQ)

La fabrication de la chaux

L’Histoire de St-Thomas est très bien documentée et explique en détail la méthode de fabrication de la chaux à partir des pierres calcaires qui affleurent dans la région. Il y en a des 2 côtés de la rivière L’Assomption et il y a encore de nombreuses usines qui exploitent ce calcaire.

Dès que la pierre extraite était suffisamment cassée en morceaux, prête à être manipulée à bras d’homme, il fallait charger le fourneau. Le fourneau était une construction dont les trois-quarts étaient souterrains. On creusait un trou de huit à dix pieds de diamètre que l’on murait avec des cailloux solides et résistants à la chaleur… Quand la construction atteignait de dix à douze pieds de hauteur, on commençait à charger le four avec de la pierre de carrière…

Lorsque le chargement était terminé, on plaçait à bras d’homme une grosse pierre plate sur le dessus pour fermer le chapeau… La durée de la cuisson pouvait durer sept à huit jours…

Le refroidissement prenait une semaine… La chaux était ensuite écrasée en petits morceaux et mise dans des vieux sacs à patate ou à moulée pour être transportée. Il fallait absolument éviter la pluie ou empêcher l’eau de s’introduire dans le fourneau, car la chaux au contact de l’eau dégage une grande quantité de chaleur qui peut aller jusqu’à mettre le feu. C’est pourquoi les fourneaux à chaux étaient souvent construits près d’un cours d’eau par précaution, car si on avait besoin d’éteindre un feu, l’eau était à portée de la main.

J. Plante Harnois
Four à chaux de Joliette

Les cendres donnèrent alors naissance à une autre industrie locale. Tadius Jubinville achetait les cendres venant des fourneaux à chaux et des fours des sucreries pour en faire de la potasse. Cette potasse servait industriellement à fabriquer une sorte de lessive qu’on appelait lessie avec lequel on tannait la peau des animaux.

J. Plante Harnois

La potasse a représenté une part importante de l’économie du temps de la colonisation, en 1861 il y avait 10 potasseries recensées à Chertsey où les cendres de bois abondaient. En 1861 la découverte de gisements naturels de potasse en Allemagne a ruiné ce commerce qui n’était plus rentable.

1861 - 10 potasseries à Chertsey

Les carrières de pierre calcaire

Lire: Histoire des fourneaux à chaux de Joliette

Joliette 1881
Carrière à Joliette en 1881

Dans le rapport géologique du Ministère des Richesses Naturelles sur la région de Joliette publié en 1976 on lit:

Avant 1920, à peu près chaque rang comptait un ou plusieurs fours à chaux, dont les vestiges sont visibles le long des routes et dans le voisinage des carrières abandonnées…

Plus au nord-est, le long de la crête de Joliette, un grand nombre de petites ouvertures et une douzaine de carrières de moyenne dimension, aujourd’hui inactives ou abandonnées, témoignent de l’attention qu’on apportait dans le temps au calcaire Deschambault en raison de sa teneur élevée en calcium.

 La cimenterie Ash Grove de Joliette

Cet été j’ai observé un endroit où la falaise est toute blanche le long de la rivière L’Assomption en aval de Joliette. Un peu plus bas il y a une plateforme dénudée qui ressemble à une ancienne carrière.

En allant voir de l’autre côté j’ai bien trouvé une ancienne carrière avec un magnifique escalier en dalles d’au moins 4 pieds de large. Mais on ne voit pas grand chose dans la carrière, la végétation est revenue.

C’est en allant voir en-bas au bord de la rivière qu’on comprend sa raison d’être. La falaise est blanche comme les falaises d’Étretat en Normandie ou de Douvres en Angleterre. C’est de la craie, il suffit de creuser au bon endroit.

Falaise en craie
La falaise au bord de la rivière

On dirait que des blocs étaient extraits pour être concassés et transportés mais c’est peut-être l’érosion naturelle. C’était plus simple de creuser que de remonter la pierre du bord de la rivière.

En regardant la carte satellite je me suis rendu compte qu’en face de la petite carrière abandonnée il y a encore une carrière en exploitation sur le même filon.

Carrières de Joliette

Images de four à chaux dans les archives

Les images que l’on trouve montrent des fours à chaux importants dont les vestiges ont subsisté. Les photos des petits fours à chaux ruraux comme celle du livre Histoire de St-Thomas sont rares et de mauvaise qualité.

Four à chaux de Baie-Sainte-Claire
Four à chaux de Baie-Sainte-Claire (Patrimoine Culturel du Québec)
Clarence Gagnon: four à chaux, Baie St-Paul - MNBAQ
Clarence Gagnon: four à chaux, Baie St-Paul – MNBAQ

Le métier de chaufournier

Le métier de chaufournier fait maintenant partie de l’histoire au Québec, mais il est encore pratiqué dans certains pays.

L’art primaire de la chaufournerie est l’un des rares à se préserver, sur l’île, pour un si long souffle. Présent dès l’origine, installé sur de nombreuses habitations coloniales, le savoir-faire s’est transmis sans altérations, dans une inhabituelle survivance de technique et d’usage.

En Martinique la chaux, matière miracle, est vitale pour l’économie balbutiante de la colonie. Intrant efficace, elle est utilisée sur les premières parcelles exploitées. Pour le bâti, elle permet de créer des mortiers et enduits, majeur pour la sédentarisation de la future société. Plus loin tard, elle devient incontournable dans la fabrication du sucre, activité primordiale de ce nouveau joyau de l’outre-mer royal. Directement construits sur les habitations, les fours à chaux en accompagnent le développement initial. À partir du XVIIIe siècle, la production se concentre sur des implantations dédiées, les chauteries ou, par la suite, les, chaufourneries. Dans ce temps, le maître de la chaux passe du statut d’esclave à celui d’ouvrier spécialisé. La technique, elle, efficace, n’évolue que très peu.

Maisons Créoles Magazine
Rue des Chaufourniers, Paris
Carte du Québec

Laisser un commentaire