Catégorie: Histoire
Site indépendant sans témoin espion

Nominingue: Onamaning pays de l’ocre rouge

Quand les européens ont commencé à explorer la forêt des Laurentides pour exploiter son bois ils ont rencontré des habitants. Nominingue était alors le pays de l’ocre rouge, Onamaning. En 2022 Richard Lagrange a publié Le pays rêvé du curé Labelle qui raconte l’histoire de la colonisation de la vallée de la rivière Rouge en donnant des détails sur l’histoire de ces premiers occupants chassés de leur territoire.

Signification du nom Nominingue

Dans les livres d’histoire régionale l’histoire des premiers occupants est toujours mal documentée, leur présence au moment de l’arrivée des premiers exploitants européens de la forêt est plus ou moins légendaire. Par exemple cette explication du nom de Nominingue est un peu confuse: iroquois ou algonquin, peinture rouge ou pays où l’on revient?

La Laurentie : bulletin de la Société historique de la région de Mont-Laurier

Nominingue fête ses 125 ans, mais son nom existait déjà depuis bien longtemps. En langue iroquoise, Nominingue voudrait dire «peinture rouge»; les Algonquins disent Nominintc «celui qui est oint, graissé». Ces dénominations tiennent au fait que les Amérindiens venaient se pommader, se peindre le visage et le torse avec l’ocre rouge qu’on trouve ici. Selon le Père Lemoine, philologue, Nominingue pourrait être un mot algonquin qui voudrait dire: «Pays où l’on revient». Vraisemblablement, les lacs Nominingue étaient un lieu de passage et de célébration pour les Amérindiens. On ne possède pas de preuve d’une présence sédentaire avant 1897, année où est indiquée au registre paroissial l’inhumation de Simon Bernard, fils de Jean-Baptiste Bernard, amérindien, et d’Angélique Simon, métisse. Il y aura aussi des Martin et combien d’autres?

La Laurentie: bulletin de la Société historique de la région de Mont-Laurier (septembre 2008)

La municipalité de Nominingue donne à peu près la même explication sur son site internet, elle préfère raconter toutes les versions possibles sans prendre la responsabilité de choisir:

Municipalité de Nominingue

… lieu de passage des Amérindiens vers leurs lieux de chasse et pêche. Algonquins, Iroquois et autres sillonnaient, alors, les rivières tributaires de l’Outaouais: La Nord, La Rouge, La Petite-Nation, La Lièvre et La Gatineau. Ils avaient l’habitude de nommer les endroits familiers de leur parcours. Nominingue est-il de langue iroquoise ou algonquine? Qui pourrait le dire? Selon monsieur B.A. de Montigny, Nominingue voudrait dire, en iroquois: « Peinture rouge ». Pour l’algonquin « Onamani Sakaigan » se traduirait par: « Lac Vermillon » faisant référence à une terre rouge avec laquelle l’un et l’autre se tatouaient. Mais d’après P. Lemoine philologue, Nominingue est un mot algonquin voulant dire: « Le pays où l’on revient » … pourquoi pas?

Histoire de Nominingue

Le Musée de Pointe-à-Callière qui a publié une série de volumes consacrés à l’archéologie du Québec me semble une référence plus sérieuse. Dans Terre, l’empreinte humaine, on trouve cette explication du nom de Nominingue, Onamaning. Il n’est pas question d’origine iroquoise ni de pays où l’on revient mais d’algonquins et d’ocre rouge:

Archéologie du Québec - Terre

Au Québec, l’oxyde de fer se trouve ici et là en petite quantité sous différentes formes. L’abondance et la concentration d’ocre rouge dans certains lieux en font même des sources intéressantes d’approvisionnement. C’est le cas d’Onamaning, le pays de l’ocre rouge, une région des Laurentides comprenant les Petit et Grand lacs Nominingue et un tronçon de la rivière Rouge jusqu’aux alentours de L’Ascension. Onamaning, en algonquin, c’est l’endroit où on se farde de rouge, d’où le toponyme actuel de Nominingue et, sans doute, celui de rivière rouge.

Depuis plusieurs années un regroupement de citoyens, Les Gardiens du Patrimoine, fait des recherches archéologiques à Nominingue, leur site internet s’appelle Au pays de l’ocre rouge… Nominingue (Onamani Sakaïgan) et on y trouve d’autres informations sur les premiers occupants du territoire de Nominingue. Dans le dernier rapport d’activités publié en 2021 j’ai trouvé cette carte qui montre les voies de circulation par les rivières dans les Hautes-Laurentides. On pouvait aller de Trois-Rivières à Ottawa par le St-Laurent et l’Outaouais ou par le St-Maurice, la Matawin et les rivières du nord. On pouvait aussi rejoindre les rivières coulant vers la baie d’Hudson.

Réseaux hydrographiques des Hautes-Laurentides

J’ai aussi trouvé ce plan de George Griffin en 1832, Map of the River Rouge from Lower Race to Upper as also Lake Nomining, c’est le plus ancien plan de Nominingue que je connaisse. Sur le fichier original des archives du Canada on ne voit presque rien, un travail d’édition très délicat a été fait pour rendre le plan lisible. En 1832 le territoire était déjà cartographié.

Détail de la carte de
George Griffin de 1832, Map of the
River Rouge from Lower Race to
Upper as also Lake Nomining

En 1886 Jean André Cuoq a publié un lexique de la langue algonquine numérisé par la BANQ. Comme il a aussi publié un lexique de la langue iroquoise, si ce nom était d’origine iroquoise il l’aurait mis dans le lexique iroquois.

Onoman - Lexique algonquin

Mais c’est dans le livre de Richard Lagrange, Le pays rêvé du curé Labelle, que j’ai trouvé le plus d’informations précises sur l’éviction forcée des anciens habitants d’Onamaning.

Pour Labelle, Nominingue était la future capitale du Nord. Il était littéralement conquis par le site. Il ne s’y trompait pas, car le potentiel de cet endroit était connu des Anishinaabe depuis plus de six mille ans. C’était un carrefour de plusieurs réseaux hydrographiques qui permettaient d’atteindre les bassins de l’Outaouais et de la Saint-Maurice, ou encore la baie James par les lacs et les rivières. Des archéologues ont mis à jour de nombreuses traces d’occupations préhistoriques au Grand lac Nominingue. Parmi celles-ci figurent à la fois des artefacts et écofacts, notamment des tessons de céramique datant de la période sylvicole d’environ trois millénaires. Même s’ils occupaient ce territoire depuis un temps immémorial, les Autochtones présents furent délogés ou dispersés par les colons.

R. Lagrange

L’arrivée des bûcherons dans les Hautes-Laurentides

Nation algonquine-anishinabeg

Avec le déclin de la traite des fourrures qui s’enclenche à compter de 1820, de nouvelles activités économiques bouleversent le mode de vie des Algonquins établis à proximité de la rivière des Outaouais et de ses affluents. La traite des fourrures laisse peu à peu la place à l’exploitation forestière, ce qui modifie considérablement les relations établies avec les Algonquins. De partenaires commerciaux, ceux-ci deviennent peu à peu des obstacles au développement économique du Canada. C’est dans ce contexte que le processus d’assimilation des autochtones commença vers 1850, alors quatre réserves furent créées pour y loger les autochtones, dont la réserve de Maniwaki.

Kitigan Zibi – Wikipedia

Carte de Maniwaki datée de 1800 par la BANQ mais qui doit plutôt dater de 1850 au plus tôt:

Maniwaki (détail) - 18??
Maniwaki (détail) – 18??

Les rivières étaient les voies de circulation des autochtones, pour exploiter le bois des forêts elles ont été complètement modifiées. Sur le site Weskarinis, peuple qui vivait sur la rivière de la Petite-Nation au sud de Nominingue, on trouve quelques photos de ceux qui ont dû se réfugier à Maniwaki.

Waskarinis

Le pays rêvé du curé Labelle

J’ai sélectionné quelques extraits du livre de Richard Lagrange disponible en prêt numérique à la BANQ pour raconter l’histoire de ces personnes.

Richard Lagrange - Le pays rêvé du curé Labelle

Après avoir reconquis les cantons des comtés d’Argenteuil et d’Ottawa, Labelle cibla les cantons Clyde, Joly, Marchand, Mousseau, Lynch et Loranger de la vallée de la Rouge. Dans cette contrée, il n’existait aucune colonie. Mais, le territoire était loin d’être inoccupé. Les chemins de chantier foisonnaient et les Autochtones étaient nombreux.

Dès 1874, Labelle s’informa auprès des frères Hamilton si les fermes agricoles qui leur appartenaient sur la rivière Rouge étaient en vente, car il souhaitait que de bons cultivateurs mettent la main sur l’une ou l’autre des fermes d’en-Bas (La Conception), du Milieu (L’Annonciation), et d’en-Haut (L’Ascension). Pour lui, ces fermes, probablement d’anciennes terres cultivées par les Anishinaabe, étaient des noyaux de peuplement en devenir. La Ferme d’en-Bas fut acquise par un dénommé Haynes, et en 1881, par Joseph Valiquette de Saint-Jérôme. Elle comprenait environ 1 500 acres de terre, des maisons, des granges, des écuries et des étables. Un chaland permettait que l’on traversât la rivière de chaque côté.

Après Clyde, Labelle monta toujours plus au nord. Le 26 septembre 1878, il écrit à Duhamel: J’ai placé quatre églises en haut de Clyde. La première à la Chute aux Iroquois, près d’un magnifique pouvoir d’eau. Les terrains sont pris jusqu’à trois milles de là en remontant. Le gouvernement va donner le nom de Joly à ce canton qui n’est pas arpenté, mais qui va l’être. J’ai placé la seconde près de la ferme du Milieu, la troisième près de la ferme d’en Haut et la quatrième à la tête du grand lac Maskinongé (Labelle) entre les lacs aux Sables et des îles sur la Nation.

Weskarinis
Weskarinis

Situé au nord de Joly, le canton Marchand, déjà habité par une centaine d’Anishinaabe, recevait les premiers colons en 1880, la Ferme du Milieu en constituant le noyau. Rachetée par l’exploitant forestier Alex Baptist de Trois-Rivières, cette ferme comptait six granges et avait une étendue de près de 2 000 acres de terre et de bois, dont un tiers était en culture ou en prairie. Emery Chartrand de Saint-Vincent de Paul se porta acquéreur d’une partie de la ferme des Hamilton. Suivirent les familles Dosithée Boileau, Herménégilde Desjardins et Pierre Latour de Saint-Jérôme, Jean-Baptiste Groulx de Sainte-Adèle et Thomas Brunet de Thurso.

Labelle répéta la même stratégie. Il recruta des colons ayant du leadership, comme Dosithée Boileau de Saint-Jérôme qu’il dirigea vers Marchand. De temps à autre, il se rendit chez ce dernier et là, jusqu’à une heure avancée de la nuit, il parlait avec les colons, causait de la colonisation, et chacun contait son histoire. Le lendemain, c’était la messe où Labelle donnait non seulement des félicitations, mais des avertissements et des observations très pratiques. En 1882, tous les lots étaient arpentés et étaient habités par vingt-six familles. Plus au nord, à la Ferme d’en-Haut, les cantons Lynch et Mousseau recevaient ses premiers défricheurs. D’autres colons furent attirés par la terre neuve du canton Loranger où un chemin construit par Boileau entre L’Annonciation et Nominingue permettait d’y accéder.

Avec l’aménagement des routes terrestres et le déboisement des fermes agricoles et les coups de hache des bûcherons au XIXe siècle, les animaux de la forêt fuirent et disparurent. D’après l’anthropologue Roland Viau, cette exploitation du territoire entraîna l’écocide et l’ethnocide de l’Algonquinie en sapant la culture autochtone, la faune et la flore. Jean-Guy Paquin, dans son livre Au pays des Weskarinis, note que le 31 janvier 1881, plusieurs familles des Anishinaabe de la Rouge et de la Petite-Nation s’étaient réunies à la Ferme d’en-Bas des frères Hamilton pour signer une pétition dans le but de réclamer au gouvernement fédéral des terres dans le canton Labelle. Il n’y eut jamais de suite.

À l’Honorable Intendant général des Affaires indiennes, Ottawa.

Monsieur,

Nous, Indiens des rivières Rouge et Petite-Nation soussignés, soumettons que le territoire avoisinant les dites rivières a été arpenté, que la population s’est densifiée et qu’elle pourchasse et abat le gibier. En conséquence, les animaux qui assurent notre subsistance disparaissent de la forêt. Nous, les pétitionnaires, sommes forcés d’abandonner nos activités traditionnelles de trappe et de subvenir aux besoins de nos familles par d’autres moyens. Nous sommes misérables, sans ressources pour acheter des terres du gouvernement. Nous demandons humblement qu’il vous plaira de nous accorder, à nous et à nos familles, 2 000 acres de terre dans le canton Labelle du comté d’Ottawa ou, comme il vous plaira d’agir, un emplacement situé à proximité s’il s’avérait impossible de les avoir. Nous l’avons exprimé plus haut, nous sommes très pauvres, beaucoup de nos gens ont de grosses familles. Des outils de ferme, des semences, des provi-sions nous seraient d’un grand secours et fort appréciés. Nous vous prions de croire que nous serons à tout jamais reconnaissants.

Ferme rouge à Kiamika
Ferme rouge (1) Kiamika (détail) – 1846

Avant l’arrivée des colons, le sort des Premières Nations avait déjà été scellé par le gouvernement canadien. Ce dernier avait regroupé les Anishinaabe dans des réserves, dont celle de Maniwaki en 1853. Mais plusieurs continuèrent à habiter leurs terres ancestrales respectives hors réserve. Ainsi, lors de leurs explorations, les arpenteurs George Allbright en 1856 et Duncan Sinclair en 1864-1865 rencontrèrent de nombreuses familles. Vers 1860, l’inspecteur Stanislas Drapeau constatait qu’à Kiamika plus de 65 % de la population, soit 142 des 218 personnes recensées, étaient des Autochtones. Plusieurs d’entre eux servirent de guides auprès des forestiers, des explorateurs et des colonisateurs. En 1876, le gouvernement de Macdonald adopta la Loi sur les Indiens instituant leur statut de mineur et d’être inférieur, non civilisé et sans droit de vote. Comme tous les mouvements colonisateurs occidentaux du XIXe siècle, ce gouvernement ignorait et aliénait les peuples autochtones.

Weskarinis
Weskarinis
Les lacs Nominingue
Les lacs Nominingue (détail) – 18??
Carte du Québec

3 réflexions au sujet de “Nominingue: Onamaning pays de l’ocre rouge”

  1. Pour moi, je trouve toujours très intéressant de connaitre le vécu de ceux qui nous ont précédés. Mais c’est décevant de constater que ce n’est pas d’aujourd’hui que l’homme ne porte pas respect à ses semblables. Souhaitant un monde meilleur, c’est nécessaire que l’homme sache. Très beaux travaux!

    Répondre
  2. Désolant de voir le sort réservé aux premières nations et le tort causés par la loi sur les indiens… Sacré Macdonald si tu pouvait m’entendre…j’aurais deux ou quatre mots à te dire….

    Répondre

Laisser un commentaire