Le 30 septembre 1902 la ville de Joliette a honoré son fondateur Barthélémy Joliette en dévoilant un monument érigé à sa mémoire. Cette statue existe toujours au même emplacement de la rue de Lanaudière à Joliette, elle a été réalisée par un sculpteur très connu en 1902 dont le nom a été un peu oublié aujourd’hui, Joseph-Olindo Gratton. Le dévoilement du monument a été l’occasion d’une fête, 10.000 personnes se seraient déplacées selon les journaux.
Olindo Gratton, Monument Barthélémy Joliette, 1902; statue et bas-reliefs exécutés en cuivre repoussé par The Pedlar Metal Roofing Co. d’Oshawa (Ontario); socle de pierre et de marbre exécuté par Jean Dussault, Joliette.
L’inauguration du Monument Joliette en 1902
Je n’ai trouvé qu’une photographie de mauvaise qualité documentant le dévoilement de la statue.
Les journaux de la province avaient fait le compte-rendu de la fête qui a eu lieu à Joliette le 30 septembre 1902. 10.000 spectateurs étaient présents selon les journaux; de longs articles et plusieurs illustrations intéressantes montrant le déroulement des festivités avaient été publiés. Dans le journal La Patrie du 1er octobre 1902 on trouve cette illustration montrant le dévoilement du monument au moment où Mme Neilson née Alice de Lanaudière a fait tomber le voile. Un bouquet de fleurs est alors descendu jusque dans ses bras.
Le journal a publié un long article décrivant la messe, les discours et le feu d’artifice avec des illustrations des orateurs: le juge Baby, le maire de Joliette Joseph Adolphe Renaud et le député de Montcalm François Octave Dugas.

La Presse du 1er octobre a publié une illustration presque identique avec celles de 2 orateurs et une autre montrant la foule devant l’église.
Les journaux de Joliette n’avaient pas les moyens de publier des illustrations mais ils ont bien évidemment rendu compte de l’évennement.
Le 4 octobre La Patrie a encore publié une illustration de la foule sortant de l’église.

La messe solennelle fut chantée à l’église paroissiale par le R. P. C. Beaudry, c.s.v., et l’hon. juge Baby, président du comité, offrit le monument à la garde du maire de la ville de Joliette. Son discours très élaboré fut prononcé avec une chaleur et une émotion communicatives. Grand canadien, ami de l’éducation, bienfaiteur de l’humanité, homme de caractère, soutien de la religion, bras droit de son évêque dans Joliette, fondateur de ville, tel fut, au dire de M. Baby qui le connut bien l’hon. B. Joliette…
Gerbes de souvenirs
Dans la revue de la Société d’Histoire de Joliette Le Messager de novembre 2023 un article a été publié qui documente cette commémoration.
L’Étoile du Nord d’Albert Gervais ne pouvait que s’attribuer une certaine gloire pour avoir mené à terme une grande campagne d’information après qu’un certain Louis Bélair, typographe à Joliette puis imprimeur à Ottawa, ait mené la lutte, sans succès depuis plus de 10 ans, en vue d’ériger un monument à la gloire de Barthélemy Joliette…
Le monument fut l’œuvre d’un jeune sculpteur de Montréal, J.O. Gratton, élève du célèbre sculpteur P. Hébert qui émerveillait la galerie à Paris avec ses coups de couteaux. Il semble que les dessins et modèles furent réalisés par M. Gratton sans frais ou selon la chronique avec « sacrifices d’argent ». Cette statue était depuis longtemps dessinée puisqu’en 1893, en première page du Joliette Illustré de l’éditeur Albert Gervais, on voit déjà la statue semblable à celle de M. Gratton et intitulé « monument
Jean-Pierre Malo
projeté ».
Joseph-Olindo Gratton n’était pas si jeune que ça puisqu’il est né en 1855, il avait presque 50 ans en 1902 et il était l’assistant de Louis-Philippe Hébert plutôt que son élève selon ses biographes. Les archives de la collection Baby (voir plus bas) semblent démontrer qu’il n’a pas fait sacrifice d’argent. Cet article de journal mentionne des contrats de $1.700 pour J.O. Gratton et $970 pour John Dussault.
M. Louis Bélair consacrait sa vie depuis 25 ans à l’oeuvre de propagande du monument Joliette.
Dans Gerbes de souvenirs on lit qu’un poète avait écrit ces vers en 1901 pour demander l’érection d’un monument:
Pour honorer un nom si cher à la patrie,
Qu’on répète souvent par toute l’Industrie,
Il faut un monument où l’on fasse exposer
Les travaux que cet homme a voulu s’imposer
Qu’on y grave ces mots : Par son noble courage
Il a fondé, fait croître et fleurir ce village.
Le parc Renaud et le monument
Le 18 novembre 1897 Joseph Adolphe Renaud avocat de Joliette avait vendu à la Corporation de la Ville de Joliette le terrain 403 du cadastre sur la rue de Lanaudière connu comme le Jardin Voyer acquis de James Baxter exécuteur testamentaire de feue Marie Angélique de Lanaudière veuve Voyer en 1897. Il s’agit sans doute du parc Renaud où a été érigée la statue de Barthélémy Joliette en 1902. On trouve plusieurs photos du monument Joliette sur le site BANQ, la plus ancienne datant de 1902.
Un kiosque à musique avait été construit dans le parc, il n’existe plus car le site a été modifié lors de la construction du pont Chevallier dont le tablier a été rehaussé.
Le site Patrimoine Laurentides qui documente les cartes postales anciennes a aussi 2 belles photos datées de 1935-40.

Joseph-Olindo Gratton sculpteur
Le nom de Joseph-Olindo Gratton qui a réalisé la sculpture de Barthélémy Joliette a été oublié. En cherchant sur internet on trouve quand même beaucoup d’informations montrant qu’il a laissé une oeuvre importante et qu’il a travaillé à de nombreux monuments patrimoniaux du Québec comme la cathédrale de Montréal et l’église St-Jacques devenue l’université du Québec à Montréal.
Du 13 octobre au 19 novembre 1989, la Galerie de l’UQAM présentera une exposition d’art religieux du statuaire Olindo Gratton. Cet artiste décédé en 1941 est relativement méconnu du grand public, bien que nous côtoyons quotidiennement certaines de ses oeuvres. Ce sont les treize statues colossales qui ornent le fronton de la basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde de Montréal sur le boulevard René-Lévesque, et celle de Saint-Jacques-le-majeur au sommet de la façade sud du transept de l’ancienne église Saint-Jacques intégrée puis dans le pavillon Judith-Jasmin, rue Sainte-Catherine à Montréal.
La galerie de l’UQAM
Les oeuvres montrées seront surtout de petites ou moyennes dimensions bien que d’autres de taille imposante complèteront l’ensemble. Ce sont le Saint-Henri, ornant autrefois la façade de l’église Saint-Henri-des-Tanneries à Montréal qui a été restauré depuis peu par le Musée du Québec auquel il appartient. Le public pourra aussi voir l’Ecce Homo, de la chapelle Notre-Dame-du-Sacré-Coeur de la basilique Notre-Dame de Montréal qui fût restauré après l’incendie de 1978. La paroisse Sainte-Madeleine d’Outremont prêtera aussi son Christ en croix. Cette oeuvre imposante de plus de 3 mètres pourra aussi être admirée à l’exposition.
La galerie de l’UQAM
Le Musée National des Beaux-Arts du Québec possède dans ses collections 4 de ses sculptures.

Gratton a pour maîtres le sculpteur Charles Dauphin et l’architecte Napoléon Bourassa. Il enseigne le modelage et la sculpture à l’école du Conseil des arts et manufactures de la Province de Québec. Parmi ses élèves figurent Jules Leprohon, Elzéar Soucy, Cléophas Soucy et Alfred Laliberté. Gratton assiste Louis-Philippe Hébert depuis 1881. Associé à Philippe Laperle de 1888 à 1891, il devient sculpteur en son propre nom et fabrique deux anges de bois à la chapelle Notre-Dame du Sacré-Cœur. Son Ecce Homo guide l’entrée de la chapelle jusqu’en 1978 lorsqu’un feu cause des dommages. Gratton exécute plus de trois cents ouvrages entre 1877 et 1939.
Musée National des Beaux-Arts du Québec
Dans le dictionnaire historique de la sculpture québécoise on trouve encore cette illustration.
Durant les premières décennies du siècle, Gratton, devenu un aîné sur la scène artistique montréalaise, ressentit des changements qui s’opéraient en matière d’esthétique. En 1902, il put tout de même ériger un monument profane, avec statue en cuivre (le monument Barthélemy Joliette à Joliette), exploit qu’il ne répéta qu’en 1925, mais avec un bronze (le monument au curé Ducharme à Sainte-Thérèse).
Bernard Mulaire
En faisant cette recherche je suis tombé sur le site du Musée d’Orsay à Paris qui répertorie Olindo Gratton dans une fiche et donne la référence d’un livre publié en 1989 par Bernard Mulaire qui a été numérisé et raconte toute sa vie et son oeuvre.

La société d’histoire du Plateau Mont-Royal a aussi publié une biographie de Olindo Gratton illustrée d’une photo des sculptures de la cathédrale Marie-Reine-du-Monde à Montréal.
Le fonds Gérard Morisset et la collection Baby
Gérard Morisset est né à Cap-Santé, le 11 décembre 1898. Après des études au Collège de Lévis entre 1911 et 1918, puis à la Faculté de droit de l’Université Laval, il est reçu notaire en 1922. Davantage attiré par les arts et l’architecture, il part étudier en France en 1929, à Lyon d’abord, puis à Paris où il obtient, en 1934, son diplôme de l’École du Louvre avec une thèse intitulée LA PEINTURE AU CANADA-FRANÇAIS. De retour au Québec, il prend charge, en 1937, d’un projet d’inventaire des oeuvres d’art du Québec.
BANQ Advitam
Gérard Morisset avait trouvé dans le fonds Baby des archives de l’université de Montréal des documents à propos du monument Joliette. La statue avait été livrée le 22 septembre 1902 quelques jours avant la fête organisée pour son inauguration.

Johnny Dussault ou Dusseault sculpteur
Johnny Dussault avait fait enregistrer ses droits d’auteur de la statue de l’Honorable B. Joliette au ministère de l’Agriculture du Canada en 1897.
Cette photographie d’un buste de Barthélémy Joliette du fonds de la famille Bourassa de la BANQ représente peut-être la statue dont Johnny Dussault a enregistré les droits d’auteur; la BANQ ne précise pas son auteur.
Ces droits d’auteur semblent concerner une statuette en plâtre de Barthélémy Joliette que Johnny Dussault vendait $1.25 pièce en 1897.
Johnny Dusseault avait ouvert une industrie de tailleur de pierre et sculpteur en 1895 à Joliette.
Son nom est écrit Dusseault dans la publicité mais Dussault partout ailleurs. Il avait quitté Joliette pour l’Alberta en 1913 et il y est décédé en 1929.
En 1904 il y avait un autre tailleur de pierre sur la rue de Lanaudière voisin de Johnny, Theode Dussault, on peut supposer qu’ils étaient parents.
Archives de la collection Baby
Le fonds Morisset ne comprend que quelques documents mais il m’a incité à aller voir dans la collection Baby où j’ai trouvé les archives qu’il mentionne, il y a 96 pages numérisées.
Le contrat détaillé conclu avec Jean Dussault a été conservé mais pas celui avec Olindo Gratton. Une feuille de comptes semble démontrer que les artistes n’ont pas travaillé bénévolement ainsi que c’est mentionné dans la revue de la Société d’Histoire de Joliette. Dussault aurait reçu $970, Gratton $1.700 et le feu d’artifice avait coûté $137.60.
Il y a ensuite des échanges de lettres pour nommer le parc où devait être érigé le monument; la première proposition était Parc de Lanaudière mais c’est le Parc Renaud qui a été retenu en hommage au maire de Joliette. Ensuite il y a plusieurs brouillons pour la rédaction des inscriptions sur le monument.
The Pedlar Metal Roofing Co. avait réalisé la statue selon le modèle sculpté par Gratton et plusieurs lettres concernent sa livraison.
Il y a ensuite les détails du programme de la fête et plusieurs pages d’invitations à expédier.
La réalisation de la statue avait coûté $560 que la compagnie a retenu du montant versé à J. O. Gratton.
Le brouillon du discours du juge Baby a aussi été conservé; il récapitule sur de nombreuses pages la vie de Barthélémy Joliette et ses bienfaits.

En 1902 les faits et gestes de Barthélémy Joliette avaient déjà été amplifiés par la légende et les historiens de Joliette ont souvent répété cette légende sans la questionner.
Épuisé par ses continuels travaux, M. Joliette avait été forcé, vers 1825 ou 26, de passer quelques mois sous le climat salubre de Philadelphie. Son esprit d’observation le servit merveilleusement et, à son retour il installait au grand moulin une série d’industries nouvelles qui contribuèrent grandement à la prospérité générale.
Ce passage mentionne qu’il avait trouvé en 1825 ou 26 l’idée d’industries nouvelles pour améliorer son moulin et c’est ce qu’on lit dans les livres sur l’histoire de Joliette mais ce n’est qu’une légende. À partir du mois de juin 1824 les seigneurs de Lavaltrie ont publié dans les journaux cette annonce qui montre que les industries nouvelles avaient été installées dans le grand moulin au moment de sa construction en 1823-24, avant son voyage aux États-Unis.

On trouve encore dans les archives de la collection Baby des lettres d’invitation et des réponses des invités, il y a 96 pages de documents et je ne peux pas toutes les recopier.
Dans son numéro consacré à la ville de Joliette en 1911 le journal La Patrie a publié la photo du parc Renaud et du monument Joliette en première position.
Merci, excellent article. Très apprécié.