La première confédération est celle des états confédérés d’Amérique fondée en 1861 lors de la guerre de sécession. La deuxième est la confédération canadienne négociée en 1867 dans l’urgence à cause de cette guerre de sécession. La création du Canada a dépendu de la politique internationale plus que de la volonté de ses citoyens, c’est un chapitre un peu oublié de son histoire.
J’ai toujours été étonné de constater que dans l’histoire du Québec on ne parle presque jamais de la guerre de sécession entre les états de l’Union qui a ébranlé le continent de 1861 à 1865. Ce n’est pourtant pas un hasard si les pères de la Confédération Canadienne ont réussi à s’entendre en 1867 malgré leurs désaccords profonds, ils n’avaient pas le choix et ça urgeait.
Les états confédérés d’Amérique
John Boyko dans Voisins et ennemis, la guerre de sécession et l’invention du Canada raconte cette histoire. Lorsque la guerre de sécession a éclaté elle a eu un impact international immédiat. L’Angleterre avait aboli l’esclavage mais l’industrie anglaise dépendait du coton produit par les esclaves des États-Unis, sa position n’était pas claire et pendant toute la guerre les nordistes ont accusé l’Angleterre et ses provinces d’Amérique du Nord de favoriser les sudistes.
Beaucoup de canadiens se sont enrôlés dans l’armée nordiste par idéal ou pour les gages. Mais il y avait aussi des partisans du sud. En principe le Canada était neutre et les canadiens n’avaient pas le droit de s’enrôler dans aucune des 2 armées.
Des espions et des complices sudistes ont organisé des raids à partir des provinces canadiennes pour déstabiliser les armées nordistes tout le long de la frontière. Leur quartier général à Montréal était le St-Lawrence Hall sur la rue St-Jacques. Plusieurs fois le Canada a failli être envahi par représailles. L’Angleterre a dû envoyer de gros renforts de troupes et les milices canadiennes ont été mobilisées pour renforcer la frontière.
Les assaillants de St. Albans pris en photo à la porte de la prison de Montréal en 1864 étaient des confédérés qui avaient organisé un raid au Vermont depuis Montréal. Faits prisonniers à leur retour au Québec, leur remise en liberté par un juge québécois mit en rage l’opinion publique américaine.
Le commerce avec les États-Unis a évidemment été perturbé par la guerre. Le traité de réciprocité signé en 1854 avait établi une sorte de libre-échange profitable. Il a été aboli en 1866 par les américains estimant que les provinces canadiennes s’étaient enrichies sur leur dos pendant la guerre. Et comme ils voulaient se venger contre l’Angleterre de leurs pertes, le Canada était une proie tentante. Tout l’ouest du continent était vide; il suffisait de le saisir avec leur immense armée tout jute démobilisée!
La guerre des fenians et des hibernians
La guerre de sécession venait de finir quand la politique internationale a de nouveau rejoint les provinces canadiennes, en provenance d’Irlande cette fois. À cette époque il y avait 1.6 millions d’immigrants irlandais vivant aux États-Unis et 1 million au Canada. Parmi eux des nationalistes voulaient faire la guerre à l’Angleterre au Canada pour qu’elle y envoie ses troupes au lieu de les cantonner en Irlande. Ils s’appelaient fenians aux État-Unis et hibernians au Canada.
Et comme les américains en voulaient beaucoup à l’Angleterre le président Grant n’a rien fait pour les arrêter, au contraire. Il y a eu des affrontements, des morts et des prisonniers. Cet Extra du Pays du 4 juin 1866 montre la gravité de la situation:
La confédération canadienne
La sécession de plusieurs états de l’Union et la guerre qu’elle a occasionnée ont montré les défauts de la constitution américaine. Les états avaient le droit de sécession, c’étaient des associés qui pouvaient se retirer. D’un autre côté le système républicain présidentiel venait contredire ce droit en établissant une sorte de despote pendant 4 ans. Ces contradictions les ont plongé dans la guerre civile.
John A. Macdonald représentant du Haut-Canada a été l’artisan de la confédération canadienne selon les historiens canadiens. Il aurait voulu un pouvoir central fort mais il a dû tenir compte du fait français incontournable dans la politique canadienne. Georges-Étienne Cartier a obtenu la protection de la langue, de la religion, de l’éducation et du droit distincts pour le Québec.
À cette époque on ne pouvait pas faire le Canada sans le Québec.
Depuis 1838 et le rapport Durham qui recommandait l’union des 2 Canadas pour assimiler les francophones plus rapidement, les québéquois s’étaient unis dans le Parti bleu et avaient réussi à préserver leur pouvoir politique.
En Angleterre les little englanders trouvaient que les colonies canadiennes avaient coûté très cher à défendre et que leurs habitants ne voulaient pas payer leur part. Un gouvernement responsable pourrait lever des taxes mais il fallait commencer par lui accorder une certaine autonomie.
J. Boyko fervent admirateur de John A. Macdonald raconte qu’en août 1866 en préparation des négociations avec les autres provinces et Londres il a été saoul pendant 10 jours au point d’aller vomir sur les fauteuils du gouverneur Monck à Spencer Wood. Il semble que c’était la coutume à l’époque et que ça lui arrivait de temps en temps; les travaux du Parlement étaient suspendus temporairement.
Les négociations se sont quand même bien passées et la confédération canadienne est née.
En fait, nous devons la nature actuelle de la Confédération aux revendications inébranlables de Cartier en faveur d’un renforcement des pouvoirs provinciaux.
Cartier, pivot de la Confédération
Le traité de Washington
Les provinces canadiennes s’étaient mis d’accord mais ça n’impressionnait pas beaucoup les américains. Ils réclamaient des dommages à l’Angleterre et pour une grande partie de l’opinion publique le prix à payer devait être le Canada, au moins une partie.
L’Acte de l’Amérique du Nord Britannique a été signé le 8 mars 1867. Le 29 mars les États-Unis achetaient l’Alaska à la Russie; entre l’Alaska et les États-Unis des terres inhabitées. Selon la théorie de leur Destinée manifeste les États-Unis devaient tôt ou tard dominer le continent américain.
Devant la menace sérieuse d’invasion Londres a décidé de vendre la Terre de Rupert appartenant à la Compagnie de la Baie d’Hudson au Canada pour une somme dérisoire (300.000£) en 1868. En 1871 G.-E. Cartier a aussi convaincu la Colombie Britannique d’adhérer à la Confédération.
C’est dans ce contexte que s’est tenue en 1871 la conférence de Washington pour régler tous les litiges de la guerre. Pour la première fois la Confédération Canadienne était à la table des négociations comme gouvernement responsable avec l’Angleterre et les États-Unis. J. Boyko comme d’autres historiens a souligné l’habileté politique de John A. Macdonald à cette occasion. L’Angleterre a payé 15 millions de dollars aux États-Unis en dédommagement; elle a aussi remboursé le Canada pour les dommages occasionnés par les invasions fenians.
Voilà comment est né le Canada, dans l’urgence pour ne pas se faire annexer par les américains.
Il est tentant d’affirmer que Macdonald a gaspillé l’héritage laissé par Cartier, et rouvert des blessures qui n’étaient pas encore guéries. La vieille coalition libérale‑conservatrice a commencé à se disloquer en 1885, année où on a enfoncé le dernier crampon du Canadien Pacifique, et année où on a pendu Riel. En 1896, un nouveau Libéral, Wilfrid Laurier, a rempli sans heurt le vide laissé par Cartier.
Cartier, pivot de la Confédération