Dans la collection Géographie historique des éditions PUL cet ouvrage de Cole Harris présente une vision originale de l’histoire de la formation du Canada: Société, espace et environnement au Canada avant la Confédération
Le nord du continent américain est un espace inhospitalier offrant de maigres ressources dans sa plus grande partie. À l’arrivée des européens la population autochtone est très éparpillée sauf le long de l’Atlantique, autour des grands lacs et surtout sur la côte Pacifique. La plupart sont des chasseurs-cueilleurs qui se déplacent sur un grand territoire ancestral. L’arrivée des européens va bouleverser leur univers.
L’Europe connaît alors une révolution, la Renaissance qui va l’amener à explorer le monde et exploiter ces terres « inoccupées ». La mondialisation commençait.
La découverte
Comme ils vivent des ressources de la nature, les autochtones doivent adapter la densité de leur population aux ressources du milieu. Comme partout ailleurs la lutte pour la survie est rude, faite d’entraide et d’affrontements. Le territoire doit être défendu pour la survie du groupe mais en cas de pénurie il ne peut nourrir que les plus forts.

À l’arrivée des premiers européens vers 1500 il semble que la côte atlantique était relativement densément peuplée avec des villages tout le long du rivage. Tout de suite de terribles épidémies ont décimées ces populations et la côte devient presque déserte en quelques années. Par un simple contact physique l’Europe venait de bouleverser un continent.
La morue
On l’oublie trop souvent mais le Canada doit sa découverte à l’industrie de la pêche qui prend forme à partir de 1500. Comme la pêche côtière s’épuise et que la demande augmente les européens doivent aller plus loin et donc s’organiser. Des investisseurs organisent des flottes de pêche qui se rendent d’abord au sud de l’Irlande puis jusqu’à Terre-Neuve.

La morue salée ou séchée est une denrée exportable dont la valeur équivaut à celle de l’or et de l’argent ramenés d’Amérique du Sud à la même époque. Les français, les anglais, les basques, les portugais, les espagnols, chacun veut sa part de cette denrée stratégique qui peut se vendre partout en Europe et en Amérique.
Pour exploiter la morue les pêcheurs s’installaient pendant la bonne saison dans des cabanes sur le bord de la côte. Peu à peu certains pêcheurs sont restés pour protéger les installations en hiver et la colonisation a commencé. La pêche côtière s’est vite épuisée, les côtes ont été déboisées pour faire sécher la morue et les derniers autochtones de Terre-Neuve qui vivaient de la pêche sont morts de famine au centre de l’île. La pêche à la morue (au large) restera une industrie très active et aura une grande importance géostratégique entre la France, l’Angleterre (puis le Canada) et les États-Unis jusqu’à aujourd’hui.
La traite des fourrures
En découvrant le Saint-Laurent les français se sont avancé à l’intérieur du continent et ils ont pris contact avec les occupants. Cartier avait vu de nombreux villages en remontant le fleuve mais quand Champlain revient le pays semble presque désert, les épidémies sans doute. Il réussit à s’allier avec les hurons qui l’aident à pénétrer le continent et devient l’ennemi des iroquois.

La fourrure est la deuxième ressource qui dessinera la carte du futur Canada. Pour les indiens ce n’était qu’une ressource parmi d’autres, la demande européenne va en faire LA monnaie d’échange. Toutes les relations entre les tribus vont être modifiées, des peuples déplacés, utilisés les uns contre les autres pour organiser ce commerce. Les français avancent par les Grands-Lacs, la rivière Rouge, le Mississipi. Les anglais les contournent et prennent possession de la baie d’Hudson. Il faut aller toujours plus loin pour trouver les fourrures et on ne peut se passer des autochtones que l’on côtoie et apprend à connaître.
C’est sur le Pacifique que se déroulera la fin de cet âge d’or. Les russes avaient découvert les loutres de mer en Alaska, des fourrures très précieuses. Les américains et les canadiens s’en sont aussitôt préoccupé et la loutre de mer a vite disparu chassée par tout le monde.
Formation du pays

Ce serait trop long de commenter tout ce livre qui est très intéressant et original. La géographie apporte un éclairage très instructif sur l’histoire de la création d’un pays aussi grand et peu peuplé que le Canada. La terre est bon marché et la main-d’œuvre rare est relativement bien payée. La vie est dure mais on peut se faire un capital et acheter sa terre. Les plus aventureux progressent avec le front de colonisation et sont libres. J’ai été frappé par la mobilité des populations, les immigrants qui arrivent bien sûr mais aussi les loyalistes, les acadiens, l’émigration continue vers les États-Unis, le mouvement et le brassage des populations sont constants. Quand la terre devient rare, des familles et des villages entiers déménagent pour une vie meilleure plus loin. Le bois devient la nouvelle ressource d’exportation mondialisée permettant l’avancée de la colonisation.
L’auteur détaille la formation des différentes parties du pays jusqu’à la Confédération en 1867. Les provinces atlantiques centrées sur l’océan, la pêche et le commerce, le Bas-Canada français dépossédé de son empire, agricole et conservateur, le Haut-Canada tourné vers les lacs et les États-Unis, les plaines peuplées d’autochtones et de métis dont la ressource principale, le bison, est en train d’être exterminée. La Compagnie de la Baie d’Hudson était propriétaire de tout le nord-ouest du Canada et pour créer la Colombie-Britannique il faut racheter le territoire aux actionnaires.
Malgré tout la vie de colon est partout semblable, les différences culturelles sont estompées par la coopération qu’elle exige pour survivre.
Drôle de pays

Un territoire immense, une population massée le long de sa frontière sud, des provinces à la géographie et à l’histoire tellement différentes, le Canada n’est pas un pays comme les autres. Il n’y avait pratiquement rien ni personne à Vancouver ou dans les Rocheuses en 1870, c’est une volonté politique pragmatique qui a décidé le chemin de fer qui allait unir le pays d’est en ouest pour revendiquer le territoire.
En 1867 toutes les provinces connaissent une émigration massive vers les États-Unis, elles doivent réagir et elles décident de s’unir face à leur voisin qui, à la suite de la guerre de sécession, a des vues expansionnistes. Des populations isolées très diversifiées et mélangées, français, anglais, irlandais, écossais, des religions ennemies, mais une urgence commune. Longtemps avant la communauté européenne la confédération canadienne est un pays basé sur un pacte de coopération, un compromis.

Le Québec par sa position stratégique centrale a été le maillon essentiel à la création du pays. L’ouest et l’Ontario seraient sans doute devenus américains alors que les provinces atlantiques auraient pu continuer à se tourner vers l’Angleterre. Les autochtones étaient encore les occupants de la plus grande part du pays qu’ils avaient soit-disant cédé à la Compagnie de la Baie d’Hudson.
Le pacte fondant le Canada aurait sans doute besoin d’être revu, l’Histoire évolue. Les canadiens devraient se rendre compte que sans le Québec le pays n’existerait pas et qu’ils ont donc besoin d’un Québec français fort pour ne pas être que des sous-américains. Et puis tous les canadiens devraient voir la survivance des communautés autochtones comme une grande richesse plutôt que comme une nuisance.
La géographie inhospitalière du Canada a préservé sa nature sauvage et c’est une grande rareté dans le monde surpeuplé d’aujourd’hui. Le pacte confédéral aura permis au Canada de prospérer et de vivre en paix. Que serait devenu le Québec seul entre les États-Unis et le reste du Canada ? Que sera le Canada de demain ? Son territoire immense va sans doute faire beaucoup d’envieux, les grandes migrations ont commencé. Comment une aussi petite population pourra-t-elle les accueillir sans se transformer ? Ce ne sera qu’un nouveau bouleversement pour ce territoire revêche.