Catégorie: Histoire
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L’écomusée de la Vallée de la Rouge

En 1986 des citoyens ont déposé un projet pour créer l’Écomusée de la Vallée de la Rouge; plusieurs autres écomusées avaient déjà vu le jour à travers le Québec à cette époque. Le Provincialat de Nominingue avait été choisi comme chef-lieu de l’écomusée mais le projet n’a pas été réalisé. En 1988 quand nous avons acheté le Provincialat les sœurs de Ste-Croix nous avaient remis un rapport: Étude de faisabilité d’un centre d’interprétation du patrimoine de la vallée de la Rouge.

Écomusée de la vallée de la Rouge

J’ai retrouvé ce rapport en classant des papiers, c’était un projet très élaboré qui s’est retrouvé sur une tablette. Vers 1978 plusieurs projets de mise en valeur du patrimoine populaire ont vu le jour dans les régions du Québec, certains existent toujours.

Coup sur coup naissent, à partir de 1978, les écomusées de la Haute-Beauce (région de Québec), de la Maison du Fier Monde, de l’Insulaire, de Saint-Constant, des Deux-Rives (Région de Montréal), de la Vallée de La Rouge (Laurentides). Ils se regrouperont au sein d’une association, l’Association des écomusées du Québec (1983)…

L’écomusée Pierre Mayrand

Cette étude de faisabilité avait été commandé par la Société du Patrimoine de la Vallée de la Rouge, un regroupement de citoyens qui se sont réunis pour étudier les forces et faiblesses de leur région et déposer un projet concret et chiffré de mise en valeur de leur patrimoine pour le bien de leur communauté. L’étude a été réalisée par Le Groupe Conseil Coopers & Lybrand et Design+ Communication Inc. Le Provincialat des sœurs de Ste-Croix à Nominingue avait été choisi pour comme chef-lieu de l’écomusée qui devait comporter plusieurs autres antennes.

Les composantes de l’Écomusée de la vallée de la Rouge

  • Le chef-lieu situé à Nominingue
  • Dix antennes, propriété collective de la population
  • Les sites patrimoniaux et écologiques répartis sur l’ensemble du territoire
  • Le guide permettant d’informer, d’orienter les visiteurs et de promouvoir l’écomusée

Le chef-lieu: le Provincialat des sœurs de Ste-Croix

Le Provincialat autrefois – Photo: Société du Patrimoine de Nominingue

Il s’agit plutôt du premier couvent des sœurs des Cinq-Plaies construit en 1900.

Le chef-lieu de l’écomusée devait servir d’antenne principale avec une exposition permanente développant la thématique choisie et des expositions temporaires; le directeur et un directeur adjoint (6 mois) y auraient eu leurs bureaux.

Le prix d’achat du bâtiment était de $65.000 et le coût total de la mise en place de l’écomusée était estimé à $245.730. Les 2 premiers étages devaient être transformés en salles d’exposition et le troisième en salle de conférence. Un plan très précis a été dessiné, voici celui du rez-de-chaussée.

La thématique du chef-lieu était développée en 3 parties: un territoire à découvrir (10%), le carrefour de la colonisation (80%) et la vallée de la Rouge aujourd’hui (10%), complétée par des expositions temporaires.

Les antennes de l’écomusée

L’écomusée ne devait pas être un musée centralisé, il devait aider les villages de la vallée de la Rouge à mettre leur patrimoine en valeur dans une vision globale, en s’aidant et se complétant les uns les autres.

  • La Conception – École (bureaux municipaux)
  • Labelle – Gare
  • La Minerve – Chapelle
  • L’Annonciation – Gare
  • Canton Marchand – Maison Desjardins
  • La Macaza – École
  • Nominingue – Maison Ragot
  • L’Ascension – École
  • Lac Saguay – École
  • Ste- Véronique – (À déterminer)
Gare de L’Annonciation – Route du Lièvre Rouge

La mise en place des antennes de l’écomusée devait se faire de façon progressive. Celles de la gare de L’Annonciation et de la chapelle de La Minerve devaient être activées dans une première phase.

La distinction entre les antennes, les sites et les biens culturels n’est pas évidente. L’antenne de la maison Ragot de Nominingue se serait trouvée juste à côté du Provincialat, c’est un curieux choix. Le monastère des CRIC situé lui aussi à côté aurait été plus approprié, ce bâtiment raconte une grande partie de l’histoire de Nominingue à lui seul.

Selon les photos du rapport la chapelle de La Minerve est la belle église du village.

Les gares de Labelle, L’Annonciation, Nominingue et autres ont été préservées et font toujours partie du patrimoine vivant grâce à la création de la piste cyclable du P’tit Train du Nord en 1995-1996.

Gare de Labelle – Route des Belles-Histoires

Les sites de l’écomusée

Les photos du rapport ne sont pas de bonne qualité mais il y en a de tous les sites et biens culturels de l’écomusée. Le choix de ceux qui avaient été mis en valeur dans la vallée de la Rouge reste actuel, le patrimoine ne change pas. Je connais la plupart d’entre eux, au moins de nom, mais certains comme l’aqueduc de L’Annonciation sont intrigants.

  • La Conception – Mines de graphite (cavernes), « Pain de sucre »
  • Labelle – Mines de grenat, Croix de chemin, Chute aux Iroquois
  • La Minerve – Croix de chemin
  • L’Annonciation – Ferme du milieu, Mine de marbre, Aqueduc
  • Canton Marchand – Filature de soie
  • La Macaza – Fours à charbon de bois
  • Nominingue – Industries Lacaille, Baron d’Halevyn
  • L’Ascension – Mine d’ocre (Paint Product of Canada), Croix de chemin
  • Lac Saguay – Barrages, Industrie du bois
  • Ste-Véronique – (à déterminer)

Les biens culturels

Maison Péclet, L’Annonciation – Route du Lièvre Rouge
  • La Conception – Maison Bérard, Maison Loranger, Ferme active le long de la Rouge
  • Labelle – Ferme Raymond Cloutier, Couvent, Maison Boyer, Écoles de rang, Maison Maurice Alain
  • La Minerve – Église, Ferme Vézina
  • L’Annonciation – Maison Péclet, Magasin Noël, Magasin Borduas, Maison Pagé, Maison du notaire Morissette, Boulangerie Gauvreau
  • Canton Marchand – Ferme du lac Jaune
  • La Macaza – Pont couvert, Église
  • Nominingue – Monastère, Boulangerie, Magasin général Généreux, Église
  • L’Ascension – Église, Maison Carrière, Magasin Sarazin, Ferme d’en-haut
  • Ste-Véronique – Maison Lavoie
  • Lac Saguay – Maison Painchaud

La liste des biens culturels de 1986 s’est sans doute raccourcie, ce serait intéressant de savoir exactement quels bâtiments ont disparu, lesquels sont en bon ou en mauvais état. En 2023 on pourrait peut-être y ajouter quelques biens qu’ils avaient oublié en 1986.

Maison Georges-Painchaud – Répertoire du Patrimoine

Le monastère est cité dans la liste des biens culturels de Nominingue, en 2023 c’est facile de constater qu’il aurait besoin de quelques travaux très coûteux vu sa taille. En 1986 les protecteurs du patrimoine auraient pu ajouter plusieurs bâtiments prestigieux comme la maison des Jésuites à la Pointe Manitou ou la maison des Pères de Ste-Croix au grand lac Nominingue qui ont aujourd’hui disparu. Dans chaque village je suis certain que la liste des biens du patrimoine bâti rétrécit même si un nouveau patrimoine se crée constament.

Le coût du projet et son seuil de rentabilité

La Villa St-Joseph (Provincialat) – Photo: Société du Patrimoine de Nominingue

Les coûts de mise en place du chef-lieu de l’écomusée, achat du terrain, travaux au bâtiment, mise en place des expositions, était estimé à $245.730 et les coûts d’opération pour la première année à $60.280, le salaire du directeur ($25.000) et de son adjoint ($9.00 pour 6 mois) inclus.

De nombreuses hypothèses de fréquentation ont été faites (16.000 à 60.000 visiteurs par année). Si les coûts de la mise en place initiale avaient été subventionnés les coûts d’opération auraient dégagé un bénéfice la première année à partir de 28.236 visiteurs; les coûts auraient été de $60.280 et les revenus de $71.423 pour un prix d’entrée de $3 par adulte. Non subventionné l’écomusée aurait fait un déficit de $27.500 la première année et aurait accumulé les déficits par la suite.

28.236 par année c’est une moyenne de 77 visiteurs par jour. Ça aurait pu être réaliste si toute la population de la Vallée de la Rouge avait adopté le projet avec enthousiasme pour le faire connaître et le faire vivre.

Le rapport n’a pas convaincu les responsables culturels de la Vallée de la Rouge en 1986. Ils n’ont pas voulu subventionner le projet estimant qu’il ne serait pas rentable à long terme et qu’ils devraient toujours le subventionner. Aujourd’hui les gares situées le long du P’tit Train du Nord sont certainement toutes subventionnées, on ne peut pas y échapper.

Les entrevues avec les gens de la vallée de la rouge

Pour faire une étude de marché sérieuse il faut interroger des citoyens ordinaires afin de connaître leur opinion: résidents, villégiateurs, écoles, clubs de l’âge d’or, de chasse et de pêche… Voici quelques notes que j’ai prises dans les conclusions du rapport.

  • les résidents locaux ont très peu d’activités de loisirs en famille, ils sortent peu
  • un déplacement hors de la région est requis pour accéder à des activités artistiques et culturelles
  • ils expriment leur ennui de résider dans la vallée de la Rouge
  • la journée du dimanche est d’ailleurs une journée particulièrement triste et pénible
  • les villégiateurs approuvent, ils craignent que leurs taxes soient augmentées pour distraire les résidents
  • tout le monde est intéressé par le concept, certains veulent participer et beaucoup donnent des idées
  • la thématique présente une vision d’hommes, il faudrait parler des femmes (exemple les sages femmes)
  • Parler plus de la vallée de la Rouge aujourd’hui (20% de la thématique plutôt que 10%)

Le rapport lui-même n’est pas très long mais avec toutes les annexes et les tableaux il fait près de 200 pages, il pèse lourd sur une tablette…

Photos: Société du Patrimoine de Nominingue

Le Provincialat – Gîte, Musée, Salon de thé enr.

Après quelques années d’études de faisabilité les sœurs de Ste-Croix nous avaient finalement vendu leur Provincialat en 1988 et nous l’avons transformé en Auberge du Passant. Personne n’était intéressé à acheter cet éléphant blanc et nous l’avons sauvé de la démolition. Les premières années du gîte ont été difficiles sans soutien de personne.

En 1995 l’ouverture annoncée de la piste cyclable du P’tit Train du Nord a fait que soudain il devenait urgent de développer des sites d’hébergement et l’Association Touristique des Laurentides s’est soudain intéressée à notre cas. Nous avons fait faire un plan d’affaires pour agrandir notre gîte et y adjoindre un petit musée et un salon de thé, l’ATL nous avait aidé à obtenir une subvention.

Le plan d’affaires prévoyait 4.459 visiteurs à $3 chaque pour le musée la première année. En réalité nous en avons peut-être eu une centaine au maximum. C’est amusant de relire les plans d’affaires. Heureusement le gîte a enfin commencé à fonctionner un peu et nous avons pu continuer.

Claude Gauthier au Provincialat
Carte du Québec

1 réflexion au sujet de “L’écomusée de la Vallée de la Rouge”

  1. L’histoire des régions n’intéresse peu de Canadiens français, c’est trop intéressant Facebook, ils vivent seulement du présent! Ainsi ils n’auront pas d’histoire.

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