Cassandre avait reçu d’Apollon le pouvoir de prédire l’avenir mais une malédiction faisait que personne ne croyait à ses prédictions. Dans la langue française, Cassandre est devenu un nom commun désignant une personne pessimiste annonçant des malheurs. L’expression «jouer les cassandre» est utilisée pour désigner quelqu’un qui fait des prophéties dramatiques et dont les propos peuvent paraître exagérés. Et quand Cassandre a raison on lui en veut encore plus; elle aurait pourtant préféré s’être trompé.
Pour Cassandre, la situation dramatique que nous vivons n’est pas une surprise, elle était prévisible. Cassandre n’avait peut-être pas imaginé le scénario que nous vivons mais Greta Thunberg, sa dernière personnification, nous a encore prévenus en 2019. Et il y en avait eu bien d’autres avant elle.
Depuis 50 ans on nous dit que l’économie doit diriger le monde, que l’intérêt à court terme doit être le seul moteur social. Donald Trump est l’aboutissement de cette logique et tout le monde commence à comprendre qu’elle est suicidaire. En détruisant la vie sociale on tue la poule aux œufs d’or.
L’économie s’est arrêtée à cause d’un virus et tout le monde va être affecté, les riches comme les pauvres, c’est au moins une consolation. Mais la facture va être gigantesque, elle s’ajoute aux autres sur la carte de crédit.
Pour l’instant il y a encore quelques jovialistes pour nous dire que « ça va bien aller » mais les gens ne sont pas fous; ils savent bien qui va devoir payer la facture au final.
Une autre Cassandre, Naomi Klein, dans « La stratégie du choc » (2007) explique à sa manière l’histoire de la mondialisation. Elle raconte par exemple comment, pendant que l’ouragan Katrina s’abattait sur la Nouvelle-Orléans, les spéculateurs se réjouissaient des destructions qui allaient libérer les espaces du centre-ville habités par les pauvres. « La stratégie du choc » consiste à exploiter les désastres pour imposer des coupures dans les services sociaux, la baisse des impôts des sociétés et l’ouverture totale des marchés. Beaucoup de pays y ont goûté mais la stratégie nous rejoint et arrive au bout de sa logique: si toute l’économie mondiale s’écroule il n’y a plus de gagnant (ou seulement à court terme).
L’Italie a dernièrement goûté à la stratégie du choc, les services dans les hôpitaux ont été coupés et le pays aura du mal à se remettre de la crise. On peut imaginer ce qui va se passer dans les pays pauvres où la solidarité sociale a été détruite.
Plusieurs pays vont faire faillite et des milliards de gens vont devoir manger demain et le jour d’après. Cassandre a un très mauvais pressentiment. Pour affronter la crise de la mondialisation il aurait mieux valu se préparer tous ensemble intelligemment dans le calme, pas dans la panique générale et l’effondrement soudain. Cassandre a vu passer beaucoup de crises et elle sait bien que les bouleversements ont toujours entraîné le pire, pas le meilleur de l’Humanité. « Ça va bien aller » à condition que soudainement la nature humaine se transforme et que chacun se mette à aimer son prochain comme lui-même.
Cassandre est pénible avec ses prédictions pessimistes mais elle ne peut pas échapper à son destin, c’est Apollon lui-même qui lui a jeté ce sortilège. De toute façon on ne croit pas à ses prédictions.
À lire: La stratégie du choc de Naomi Klein, texte intégral en format PDF