Belle-Île-en-Mer est une petite île du sud de la Bretagne. En 1765 dix ans après le Grand Dérangement 78 familles acadiennes y ont été transportées pour mener une expérience originale, l’afféagement des terres du domaine royal de Belle-Île. Ils ont pu devenir propriétaires de terres allouées plutôt que censitaires mais il a fallu vivre sur une petite île avec des bretons malcommodes.
Belle-Île-en-Mer
Mon grand-père avait une maison au bord de la mer dans la presqu’île de Quiberon. Belle-Île se trouve à quelques kilomètres au large et j’y ai été quelques fois pour admirer sa côte sauvage. J’avais pris quelques photos en 2007.




Je viens de découvrir que des acadiens ont trouvé refuge dans cette île en 1765 et s’y sont installés. Après 10 années d’errance et d’attente dans les ports d’Angleterre et de France on les a envoyés sur une petite île bretonne où ils ont dû apprendre à cohabiter avec des bretons parlant le breton.
L’afféagement de la tenure des terres
Au Québec jusqu’à la réforme de 1855 la tenure des terres dans les anciennes seigneuries était inféodée par le Roi aux seigneurs qui l’allouaient à des censitaires. La révolution de 1789 a aboli ce régime en France.
Après la Conquête de la Nouvelle-France il a continué dans les anciennes seigneuries mais les anglophones ont réussi à ce que les nouveaux cantons ouverts à la colonisation soient alloués en pleine propriété, la tenure en franc et commun soccage. La loi n’était pas la même à Rawdon et à St-Liguori jusqu’en 1855.
La pleine propriété des terres a permis aux capitalistes anglais et américains de devancer les autres dans la révolution industrielle.
En France la première expérience d’afféagement, comme disaient les philosophes du XVIIIème siècle, a été faite à Belle-Île en 1765. Depuis 1719 l’île faisait partie du domaine royal et les bellilois étaient exemptés de nombreuses taxes. L’île était un bastion militaire avec une forte garnison à cause de son importance stratégique: c’était un réservoir d’eau potable convoité.


La guerre de Sept-Ans
Pendant la guerre de Sept-Ans il y a eu une grande bataille navale dans la baie de Quiberon en 1759 où la flotte française chargée de secourir la Nouvelle-France a été anéantie. Après la conquête de la Nouvelle-France les anglais ont attaqué et occupé Belle-Île de 1761 à 1763. Voici une carte de l’attaque de Belle-Île par les anglais en 1761 où les noms de tous les villages de l’île sont inscrits.
Une fois la paix revenue il a fallu repeupler l’île en partie désertée et rebâtir les maisons détruites. L’occasion pour le Roi de tenter une réforme tardive de la tenure des terres pour éviter une révolution qu’il ne pourrait contrôler. En afféageant l’île le Roi faisait perdre leurs privilèges aux bellilois mais les rendaient propriétaires de leurs terres, encourageant chacun à de meilleurs rendements, donc à de nouvelles dîmes.
Le repeuplement de l’île par les acadiens
Pour repeupler l’île on a fait appel à des familles acadiennes qui attendaient depuis des années dans les ports de France. Le Roi s’était engagé à les secourir, il leur accordait des subsides depuis des années mais ça coûtait cher à l’État.

Pour la première fois en France des cultivateurs sont devenus propriétaires des terrains qu’ils vont ensemencer, 23 ans avant la Révolution Française.

L’installation des acadiens à Belle-Île
Le premier groupe d’arrivants était formé de 78 familles, 363 personnes dont 211 enfants. Il y avait 57 Leblanc, 46 Granger, 49 Trahan, 27 Terriot et 21 Daigre. Errantes depuis 1755 les familles acadiennes restaient regroupées en 1765.

L’île fait 85 kilomètres carrés, la moitié de l’île d’Orléans. Elle a été cadastrée et des fonctionnaires ont divisé des parcelles théoriquement égales qui ont été réparties entre les anciens habitants de l’île et les nouveaux arrivants. Les anciens devaient céder des parcelles ou déménager pour pouvoir répartir les acadiens sur toute l’île et faciliter leur assimilation. Ça n’a pas été facile bien sûr, les bretons n’aiment pas le changement. Menés par leurs curés ils ont créé beaucoup de difficultés.

Malgré tout de nombreux acadiens sont restés à Belle-Île et sont devenus des bretons. Plus tard ils sont redevenus des français quand les bretons ont perdu leur langue dans les années 1900.
Une affaire d’état
L’abbé Le Loutre était vicaire-général de l’évêque de Québec en Acadie pendant la Conquête. Il avait suivi ses acadiens en exil et il a pu organiser leur installation à Belle-Île grâce à ses relations à la Cour de Versailles. Il lui faut acheter 78 vaches, 78 chevaux, 234 faucilles, 78 brouettes, 78 civières, 156 seaux... Il distribue les 6 sols par jour que sa Majesté a bien voulu leur accorder pour la subsistance et entretien de leur famille.
Il a aussi fallu construire 78 maisons. Les plans de construction étaient réglementés par les états de Bretagne avec une très grande précision. C’étaient de petites maisons de 27 mètres carrés toutes pareilles, les plafonds avaient 1,81 m et les portes 1,75 m de haut. La plupart abritaient des familles nombreuses.
La répartition des terres aurait été à peu près juste grâce à la vigilance de l’abbé Le Loutre mais le beau projet théorique des fonctionnaires a dû être adapté à la réalité des gens et du terrain. Le projet a été un succès puisque c’était une affaire d’état menée par le Roi. Les autres projets de réforme de la tenure des terres ou d’installation des acadiens en France n’ont pas abouti et la Révolution de 1789 a éclaté.
Ceux qui sont restés
Beaucoup d’acadiens ont choisi de retourner en Acadie ou de se réfugier en Louisiane. L’Espagne en a pris possession en 1764 après les traités de paix. En 1784 le roi d’Espagne comprenant la valeur de ces colons potentiels a offert au roi de France qui ne savait plus quoi en faire de transporter gratuitement les volontaires pour peupler sa nouvelle colonie. Certains ont quitté Belle-Île pour retourner en Amérique fonder la Nouvelle Acadie mais la plupart de ceux qui s’étaient établis sont restés et sont devenus des bellilois comme les autres.
Aujourd’hui on visite l’île pour ses paysages sauvages mais il semble qu’elle soit fertile. Le sous-sol est fait de schiste alors que le granit domine dans la région. Le climat est doux et humide. La côte sauvage à l’ouest est exposée au vent et aux tempêtes du large. C’est là que j’ai pris mes photos, je n’ai pas photographié les champs de l’intérieur de l’île pour pouvoir illustrer la fertilité de l’île. J’avais remarqué des signes de la présence acadienne sans y accorder l’attention méritée, il va falloir y retourner.
En plus la lumière n’était pas très bonne pour la photo cette journée là.
Références
On peut regarder le documentaire de Phil Comeau Belle-Île-en-Mer île bretonne et acadienne en ligne.
J’ai lu cette histoire dans le livre Les Acadiens citoyens de l’Atlantique écrit par Jean-Marie Fonteneau et publié par les éditions Ouest-France. On en trouve un résumé en format PDF sur internet: Les acadiens de Belle-Île
Très intéressant,
Merci pour tes recherches.
Merci Guillaume pour les recherches sur l’afféagement. Moi aussi, je suis née à Paris, et moi aussi j’ai des attaches à Belle-Île : une grand-mère belliloise issue de la rencontre des Acadiens et des Iliens. Et moi aussi, je suis intéressée par l’Histoire, la grande, quand elle rencontre les petites histoires de la famille.