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La vie des colons

Dans les « Notes historiques sur Mont-Laurier, Nominingue et Kiamika » de Maurice Lalonde, publié en 1936, j’ai trouvé le récit d’un des premiers colons de Kiamika qui semble beaucoup plus crédible que le roman utopique de la colonisation, « Jean Rivard, le défricheur » d’Antoine Gérin-Lajoie.



Maurice Lalonde a recueilli le récit de Joseph Guérin né à Chambly et décédé à Montréal en 1922 à 80 ans.

Âgé de 44 ans en 1883, instituteur marié et père de 6 enfants, Guérin n’a aucune expérience de l’agriculture. Sensible à l’idéologie de l’époque, il rêve de pouvoir établir ses enfants sur des bonnes terres agricoles, ce qu’il ne peut pas se permettre à Chambly.

La société de colonisation

En 1883 le député de Chambly au Parlement, P. B. Benoît, qui comme beaucoup ne pouvait pas établir ses enfants dans le comté faute de terres disponibles, fonda la Société de colonisation de Montarville et choisit le canton de Kiamika sur la rivière du Lièvre pour fonder St Gérard-de-Montarville. J’ai retrouvé le rapport que fit Benoît le 10 janvier 1884 à la société de colonisation après plusieurs voyages exploratoires et des démarches auprès du gouvernement, ce document explique très bien le fonctionnement de ces sociétés. Le gouvernement s’engage à ouvrir le chemin Chapleau de Nominingue à Ferme-Rouge et réserve les lots aux membres de la société.

Depuis 50 ans une ferme de ravitaillement appartenant à la compagnie MacLaren est établie à Ferme-Rouge sur la Lièvre, la région est habitée par quelques « jobbers ». En 1884 un premier voyage est organisé par la société qui compte 84 membres. 4 membres font le voyage avec P. B. Benoît dont Joseph Guérin.

Le 24 septembre 1884 ils partent donc de Montréal accompagnés du curé Labelle et de son « inséparable serviteur Isidore Martin (Frédor Gauthier) » qui doivent les guider. Direction Buckingham et la Lièvre où ils embarquent sur un tout petit bateau à vapeur. C’est ensuite la pénible montée en canot, les portages, ils arrivent à destination le 29. La nouvelle de l’arrivée du curé Labelle se répand et une trentaine de colons arrivent de la forêt en canot pour assister à la première messe célébrée dans le canton, tout le monde connait le curé Labelle. Le lendemain chacun choisit ses lots et ils repartent. Guérin choisit 300 acres sur le bord de la rivière Kiamika qu’il paie 30 centins l’acre.

L’établissement

À peine de retour Guérin se prépare, mais il est le seul. En octobre il se rend à St-Jérôme voir le curé Labelle qui lui conseille d’attendre la neige pour monter avec son chargement par Nominingue. Le 10 décembre il part donc de Chambly accompagné de son fils de 16 ans, d’un guide et de 2 hommes engagés. Ils arrivent à Nominingue le 16. Il reste 27 miles à faire par le chemin Chapleau qui vient d’être tracé par le gouvernement à travers la forêt inhabitée. Partis tôt le matin ils marchent toute la journée dans la neige épaisse, abandonnent peu à peu leurs paquets au bord du chemin et finissent par trouver une habitation de « jobber » à 4h du matin le lendemain par hasard après avoir pensé mourir gelés.

Après s’être remis de leurs émotions et avoir récupéré leurs affaires il leur reste 2 miles à parcourir, une journée de marche dans la forêt, pour rejoindre leur lot où ils ont la chance de trouver une cabane de bûcheron abandonnée. Ils s’installent et commencent à défricher. Sam le fils fait la cuisine, Guérin et les 2 engagés bûchent; à la fin février ils ont fait 15 arpents et Guérin  doit congédier ses hommes faute d’argent. Il les raccompagne par le chemin de glace sur la Lièvre jusqu’à Buckingham et va à Chambly. Sam reste seul 3 semaines au milieu de la forêt. Guérin revient avec 2 de ses filles âgées de 8 et 10 ans qui s’occuperont de la cuisine. Au printemps ils sèment 8 arpents en avoine, navets et légumes. Ils continuent à dessoucher et à brûler les abatis.

Au mois de juillet il va finalement chercher le reste de la famille à Chambly. Le logement est rustique et sa femme un peu « choquée » à l’arrivée. Sam et ses 2 sœurs sont couverts de plaies d’insectes et pas très propres.

Un chantier de 14 pieds par 17 en bois rond, couvert en auges, mes 6 enfants, leur mère et moi nous étions un peu à l’étroit. Un poêle de 3 pieds, une table, des bancs, 4 lits dont 2 superposés nous laissaient peu d’espace. Lorsqu’en 1886 nous avions le bureau de poste j’ai compté jusqu’à 17 colons couchés dans notre chantier.

Comme il n’y a pas de moulin à scie à proximité il faut tout faire à la main sans aucune expérience pratique. Il faut en priorité construire des bâtiments agricoles, toutes les planches sont sciées et planées avec Sam, les voisins viennent aider à monter la charpente. Le cuir, la laine, la chasse, tout est utilisé, on vit en autarcie en s’adaptant à la nature sauvage, à l’isolement, aux chemins difficiles.

La prospérité

Dès la deuxième récolte il produit des surplus de foin et de légumes et peut les vendre aux compagnies forestières. Il faut aller livrer ce qui n’est pas toujours évident; les chemins sont rudimentaires, le territoire inconnu. Il faut se battre contre les animaux sauvages, chevreuils, ours, loups qui grugent les profits. 24 moutons égorgés par les loups une nuit. Malgré tout la prospérité vient peu à peu.

Joseph Guérin le reconnaît, il a été chanceux. Arrivé le premier il a pu choisir 300 acres de bonne terre alluviale sur le bord de la rivière Kiamika. Il nous parle fièrement de ses pieds de blé d’Inde de 15 pieds ¾ de haut et de ses patates énormes. Instruit, il a été instituteur, il a su se débrouiller. Sa chance a été d’être le premier à pouvoir ravitailler les compagnies forestières en foin et légumes dans le secteur. Il explique que sans les compagnies la colonisation ne se serait pas faite, les agriculteurs avaient besoin de débouchés pour leurs produits avant qu’il y ait des routes et des trains. Il a pu avoir de très bons prix les premières années avant que l’offre ne se multiplie et que les prix baissent.

Village des Laurentides: L'Annonciation
Village au temps de la colonisation (Musée McCord)

Tous les ans la famille agrandit le domaine cultivable d’une quinzaine d’arpents et produit plus. Les nouveaux arrivants viennent demander aide et conseil et l’influence de Guérin augmente, il s’occupe du bureau de poste, obtient des « jobs » pour arpenter ou mesurer du bois. Ça n’est pas la richesse mais l’aisance. À la fin de sa vie il est satisfait de voir ses enfants bien établis et heureux.

Dans l’espace de 15 ans avec l’aide de mes enfants, nous fîmes 150 arpents de terre neuve. Nous nous sommes construit une bonne maison avec cuisine, trois bonnes granges, une de 36 X 90 pied avec une étable moderne de 48 pieds, une deuxième grange de 56 X 36, une troisième de 42 X 32, une écurie de 36 X 70, une porcherie, une bergerie, un grand hangar, une remise, une laiterie et glacière, une remise à bois, une remise pour voitures et instruments agricoles. J’ai tout équarri le grand bois entré dans la construction de ces bâtisses et fait le bardeau à la main.

Nous avons fait au-delà de 100 tonnes de foin, récolté 1500 à 1600 minots de grain, arraché 500 à 600 poches de patates, 15 à 20 tonnes de blé d’Inde; coupé l’hiver le fourrage nécessaire pour hiverner 45 à 50 têtes de bétail et 10 à 15 cochons. Les femmes trouvaient encore le temps de filer la laine de 20 à 25 moutons.

La prospérité mais il a fallu travailler fort. Tout était fait maison à la main, pour le reste il fallait descendre 1 ou 2 fois par année à Buckingham faire les courses.

Carte du Québec

4 réflexions au sujet de “La vie des colons”

    • J’ai juste recopié le texte écrit par M. Lalonde, je ne pourrais pas dire pourquoi il a écrit ça et je n’ai trouvé aucune autre confirmation. J’ai ajouté dans l’article une prise d’écran de ce texte et le lien vers le livre qui a été numérisé par la BANQ depuis la parution de cet article.

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