Né à Montréal Gabriel Cerré a quitté sa famille à 17 ans pour partir à l’aventure dans les pays d’en-haut. Il est revenu 19 ans plus tard saluer sa mère ayant fait fortune dans la traite des fourrures au Pays des Illinois. Les mariages de ses enfants lui a permis d’établir un réseau d’affaires avec les familles les plus influentes pour commercer entre Montréal et la Nouvelle-Orléans. Depuis la découverte du Mississipi par Louis Jolliet et le père Marquette des canadiens s’étaient installés sur ses rives et ses affluents, des français avaient aussi remonté le cours du fleuve. De nombreuses villes de la vallée du Mississipi ont été fondées par ces aventuriers dont Saint-Louis dans le Missouri.
Gabriel Cerré marchand au pays des Illinois
Né à Montréal en 1734 à Montréal dans une famille de cultivateurs Gabriel Cerré ne se sentait pas une vocation d’habitant et il est parti à l’âge de 17 ans comme engagé pour les pays d’en-haut. Devenu commerçant et traiteur de fourrures il a fait fortune aux pays des Illinois, à Kaskaskia d’abord puis à St-Louis du Missouri. À son décès en 1805 il était devenu l’un des marchands les plus prospères de la vallée du Mississippi.

Au milieu des années 1750, Jean-Gabriel Cerré était marchand dans le pays des Illinois. Il s’établit à Kaskaskia, tout en conservant, apparemment, des liens personnels et commerciaux étroits avec sa ville natale. Sa fille aînée épousa le notaire montréalais Pierre-Louis Panet, et Cerré se rendit périodiquement à Montréal au cours de sa carrière. Il expédia, de cette ville, des marchandises aux Illinois en 1767, 1775 et 1777; comme ces deux régions étaient étroitement liées sur le plan économique, il fit probablement de même en d’autres années. Il fournissait les marchandises habituelles de traite: fusils et munitions, étoffe, tabac et objets de métal. À ce qu’il semble, il n’était pas simplement propriétaire d’un magasin; par exemple, il passa l’hiver de 1776–1777 à faire la traite chez les Mascoutens et les Kicapous.
Jean-Gabriel Cerré
Cette carte du pays des Illinois à l’époque de son arrivée montre les villages de Cahokia et Tamaroas, le fort de Chartes et Caskakias sur le Mississipi. On y voit beaucoup de noms français, la rivière de la Saline, la mine de la Mote, la Grande Isle, le cap St-Antoine, etc. Les affluents du fleuve, la rivière des Illinois, le Missouri, l’Ohio ou Ouabache ou Belle rivière permettaient de parcourir le centre du continent pour la traite des fourrures.

Histoire de la famille Cerré au pays des Illinois
Amélie Panet-Berczy a rédigé des notes sur l’histoire de la famille de sa mère Marie Anne Cerré, fille de Gabriel, née au pays des Illinois. Née en 1789 Amélie avait connu son grand-père décédé en 1805. Marthe Faribault-Beauregard a hérité de ses notes et les a publiées. C’est un témoignage de la vie des habitants francophones de la vallée du Haut-Mississipi au moment de grands bouleversements dans cette région: la Conquête anglaise du Canada et la cession de la Louisiane à l’Espagne en 1763, l’indépendance des États-Unis en 1783, la rétrocession de la Louisiane à la France en 1800 puis sa vente en 1803 aux États-Unis.
Souvenirs inédits de Marie Anne Cerré – Édition critique de Marthe Faribault-Beauregard aux Éditions Archiv-Histo.

Daillebout le 15 novembre 1847
J’ai pensé que comme aînée de mon frère et de mes soeurs j’avais plusieurs choses dans la mémoire ou qu’ils ignoraient, ou auxquelles ils avaient fait peu d’attention. Je vais donc, mais sans soin, mettre dans les lignes suivantes, fidèle à mes souvenirs tels qu’ils sont, tout ce que j’en sais.
Ma mère Marianne Serré, Céré ou Cerré m’a dit en 1825 (elle est décédée à Ste-Mélanie en 1828) que son bisaïeul de Besançon en Franche-Comté était venu en Canada il y avait plus de cent ans avec un parti de cultivateurs, que plusieurs d’entre eux prirent des terres en concessions aux environs du Mont-Royal. Son bisaïeul avait pris une terre à la Côte St-Paul à une lieue de Montréal en vue des bords du lac St-Pierre desséché depuis. Cette terre était restée dans la famille Cerré et vers 1798 ou 99 Pierre-Louis Panet père d’Amélie l’avait rachetée de son neveu Gabriel Cerré. Son bisaïeul dont elle ignorait le prénom avait épousé Madeleine Picard.
Marthe Faribault-Beauregard a ajouté des notes à ces mémoires, l’ancêtre se nommait Jean Cerré né vers 1654 et il est arrivé en Nouvelle-France entre 1681 et 1690. Il a épousé le 9 février 1694 Jeanne Pion. Le greffe du notaire Antoine Adhémar dit Saint-Martin a été numérisé, leur contrat de mariage a été signé le 7 février.
Leur fils Joseph né le 28 novembre 1695 avait épousé d’abord Madeleine Aubuchon en 1718 puis Marie-Madeleine Picard en 1730.
Mon grand-père maternel Gabriel Cerré était son fils aîné, né en août 1734. Son caractère était tout particulier et bien différent de celui du reste de sa famille, il n’était sans doute pas fait pour se trouver heureux dans la vie stable et terre à terre d’un simple habitant… Il songeait que la terre s’étendait largement devant lui, que les rivières étaient longues et menaient loin et que dans cette étendue spacieuse il pourrait peut-être se faire une fortune…
Dans cette époque il se formait des partis de guerre qui allaient comme on disait frapper un coup sur les colons anglais. À cette fin un bon nombre de Savages se mit sous le commandement de Mr. de Belêtre, un des premiers citoyens de Montréal pour faire une expédition guerrière qui se rendit ultimement sur la Belle Rivière. Gabriel Cerré saisit cette occasion de se jeter au milieu de sa destinée et s’y joignit comme volontaire.
À l’automne de 1751, le nouveau gouverneur La Jonquière recourut aux services de Picoté de Belestre, devenu lieutenant depuis avril, pour rendre compte en France, au ministre de la Marine, de la grave détérioration de la situation dans cette partie de l’Ouest. Jusqu’à la veille de la Conquête, Picoté de Belestre connut, parallèlement à son activité militaire, des occupations commerciales assez florissantes. De 1749 à 1759, il signa près de 90 contrats d’engagement, en grande majorité pour Détroit, parfois pour Michillimakinac et pour le fort des Miamis.
L’expédition accomplie qui s’était faite en deux semaines, deux mois ou deux ans suivant l’éloignement des lieux, après avoir vu du pays, mis sa vie continuellement en péril par les mille accidents de la route et de la guerre pratiquée à la façon des barbares, on en revenait chez soi non plus riche mais plus homme et plus consldéré. Mais Cerré n’avait pas envie du retour prochain, il avait annoncé à sa mère qu’il ne comptait pas revenir.
Il avait lors de son départ dix neuf ans et fut le témoin de tant de massacres cruels, même de celui d’enfants à la mamelle, il vit tant de chair sanglante qu’ayant l’imagination vive et le coeur sensible il demeura presque une année sans pouvoir mettre un morceau de viande dans sa bouche, du blé d’Inde bouilli fut presque sa seule nouriture.
L’expédition finie il se trouva à Michilimakina et il y passa un hiver. Un père jésuite qui l’avait pris en affection le recommanda à un marchand gros traiteur de fourrures qui au printemps lui fournit une pacotille pour aller faire la traite avec les sauvages. Il le détermina d’aller commercer avec les nations fréquentant les environs du Mississipi (par la suite il a beaucoup trafiqué dans le Missouri et autres pays sauvages) et il se rendit aux contrées qu’on appelait Les Illinois.
Son commerce dès l’abord eut du succès et ce qui contribua beaucoup c’est qu’il sut se faire aimer des sauvages ce qui contribua considérablement à sa réussite et il ne leur vendait pourtant pas de liqueurs, ce qui était défendu par des lois que la conscience approuvait.
Les Illinois étaient un beau pays mais très peu peuplé au milieu du siècle dernier. Les habitants étaient rassemblés dans de fort chétifs villages ou villes et dans leurs alentours sur des fermes qu’on appelait là des habitations. Ils possédaient des esclaves nègres, vivaient toujours avec facilité, plusieurs jouissaient de l’aisance et quelques d’entre eux étaient déjà riches. Le plus grand nombre de ces familles avait été fourni par le Canada, mais la douceur du climat, l’avoisinement avec les nations sauvages, quelque fois même le mélange avec leur sang, l’institution de l’esclavage qui avait atteint son libre jeu, joint à ce qu’un certain nombre de créoles des îles fréquentaient la Nouvelle-Orléans métropole naturelle de tout le cours du Mississipi, reflétant leurs moeurs sur les colons, avait déjà modifié remarquablement cette masse originaire du bord du Saint-Laurent.
Les femmes ne faisaient jamais de durs travaux, nonchalantes et mélancoliques elles usaient promptement leur fraîcheur… Les hommes moins aimables étaient bien plantés, souples, adroits à faire les exercices du corps, bons danseurs, chasseurs, cavaliers. Leur temps, cette chose si précieuse, se passait à ne rien faire. Mis à part un certain nombre d’individus qui par la force des circonstances ou par une meilleure organisation intellectuelle ont prospéré.
Dans un des villages des Illinois situé sur la rivière des Kaskaskias tombant dans le Mississipi vivait une jeune fille; elle se nommait La Fontaine (Marianne de Lafontaine), son père était né dans la Canada. Elle se maria en seconde noces à un nommé Giard. En 1748 naquit une fille unique Marie Catherine Giard qui devint mon aïeule maternelle.

Ses parents avaient des propriétés au fort de Chartres situé près de Kaskaskia mais son père mourrut alors qu’elle était encore enfant. Sa mère s’était remariée en troisième noce avec un gentilhomme français de Québec, monsieur de Renom, en 1752.
Mon grand-père Gabriel Cerré trafiquant dans toutes les parties des Illinois fit plusieurs séjours au village des Kaskaskias. Il logeait chez madame de Renom qui avait du bien venant principalement de son second mariage. Il se prit d’inclination pour Melle Giard qui l’aima en retour. Mme de Renom appréciait M. Cerré et l’accepta avec plaisir, elle lui accorda sa fille avec joie et le mariage eut lieu en 1764, l’époux âgé de 30 ans et l’épouse de 16 et demi. Elle était grande, bien faite. Sa peau était fort blanche, légèrement moins au visage, trait que j’ai remarqué chez plusieurs individus nés aux Illinois; elle n’était pas une beauté mais ce qu’on appelle une belle personne. Elle avait du jugement, de l’esprit et elle avait autant d’éducation qu’il avait été possible de lui en donner dans ces pays perdus où elle avait reçu le jour; c’est-à-dire qu’elle savait lire et écrire mais je dois dire que j’ai lu plusieurs lettres d’elle écrites en différents temps à ma mère infiniment mieux dictées que celles de la plupart de nos canadiennes de ce temps là.
Elle s’exprimait en fort bons termes et son français comme celui des hommes créoles des Illinois sonnait agréablement à entendre. Elle parlait presque toujours à ses esclaves en français nègre. Elle aimait sa religion mais dans cette faible colonie elle était si peu surchargée de pratique qu’on marchait lestement vers le Ciel, les coeurs bien disposés se contentant d’aimer Dieu et de le servir sans faute. Enfin Catherine Giard fille bien élevée pour son pays et son temps fut une épouse vertueuse, une bonne mère et un membre respectable de la société où elle vivait.
Elle avait de la roideur dans le caractère pour ne pas dire trop de hauteur; l’habitude d’avoir des esclaves rend d’ailleurs ceux qui sont portés à l’orgueil. Elle détestait les sauvages qui avaient fait la fortune de son mari et la faisaient encore.
Je n’en suis pas surpris car je sais par mon expérience qu’alentour d’une maison ce sont les gens les plus incommodes et les plus indiscrets du monde. Et puis les hommes sont enclins à aller trop loin avec les sauvages qui par l’appât du gain font tous leurs efforts pour les tenter. Je suppose bien qu’une femme élevée comme ma grand-mère ne pouvait avoir que du dégoût du campement des vrais enfants du sol.
Le premier fruit de l’union de Gabriel Cerré avec Catherine Giard fut une fille qui naquit dans le mois de novembre de l’année de leur mariage 1764, on la nomma Marie Anne mais elle fut toujours appelée Manon. On prit l’eau pour le baptême dans une grande coquille venue des bords de la mer où se jette le Mississipi qu’elle apporta avec elle en Canada. Ma grand-mère la nourrit de son propre sein au lieu de lui faire sucer le lait d’une négresse, coutume presque générale dans le pays. Dès qu’elle put parler on lui donna un petit nègre et une petite négresse pour l’amuser et faire toutes ses volontés.
Mon grand-père continuait son commerce, l’augmentant. Il apportait loin dans ce chemin accompagné de plusieurs commis qui faisaient la traite pour lui avec les différentes nations sauvages nombreuses alors qui habitaient ces grands pays. Puis il envoyait les pelleteries diverses qu’il avait obtenues en retour de ses marchandises soit à Montréal soit à la Nouvelle Orléans pour être de là transportées en Europe où dans ces années elles obtinrent de hauts prix. Il descendait lui-même à la Nouvelle Orléans dans des voitures d’eau qu’on appelait des pirogues et conduites par ses nègres. Sa fortune s’accroissait rapidement par l’état favorable du commerce, son activité, son intégrité, l’affection des nations sauvages pour lui et de plus sa bonne chance.
Il survint aussi la troisième année de son mariage (1767), je crois, une immense inondation du Mississipi et de ses affluents, le village de Kaskaskias fut entièrement inondé et presque détruit de manière que la plupart de ses habitants qui purent le faire l’abandonnèrent et furent s’établir plus haut sur le Mississipi au petit village dite par emphase la ville de St-Louis formé d’un très petit nombre de maisons qu’augmentèrent les nouveaux venus et qui, maintenant capitale du Missouri a une population de 3.000 habitants soit créoles descendants américains des États-Unis ou allemands.
Le second enfant de ma grand-mère fut ma tante Thérèse depuis Mme Chouteau, il lui naquit ensuite une fille qui mourrut dans les huit premiers jours de sa vie du tetanos. La petite Manon était fort jolie et fut l’enfant chéri de son père, sa mère et Mme de Renom… Mon grand-père voyait avec chagrin qu’il lui faudrait se séparer de sa fille pour lui procurer l’éducation que sa fortune lui commandait de lui donner. Il avait deux villes en vue pour cet objet, la Nouvelle Orléans au bas du Mississipi ou Montréal au Canada son propre pays. Il fit choix de ce dernier et prenant sa fille aînée accompagné de son épouse il descendit par Chicagou les lacs Michigan et Huron et la rivière des Outaouais jusqu’à Montréal, traite d’au moins six cents lieues, à la fin d’août 1772 pour placer sa fille de 7 ans pensionnaire au couvent des Soeurs de la Congrégation pour l’espace de 2 ou 3 ans.
Il y avait alors dix neuf ans accomplis que mon grand-père adolescent avait laissé la Côte St-Paul n’emportant avec lui pour tout bien que les habits qui le couvraient, un petit équipement pesant quelques livres et un fusil, et depuis une évaluation modérée il revenait se montrer aux siens restés dans leur état primitif de petits propriétaires respectables riche de 40.000 louis, fortune énorme et pourtant bien acquérie. Mons. Cerré eut le plaisir de revoir encore sa mère et de lui montrer sa femme respectable et son enfant. Il fut comme on peut le croire bien reçu des siens et de plus de plusieurs commerçants de Montréal tels que Mrs. Fortier, Orillat et d’autres avec lesquels il était en relation de commerce. Madame Cerré ne put remonter avec son mari la même saison, un état de grossesse assez avancé l’en empêchant, elle passa donc l’hiver à Montréal, y fit heureusement ses couches et mon grand-père étant venu la chercher au printemps elle laisse son enfant en nourrice à L’Assomption chez un nommé Gervais.
Ma grand-mère avait voulu avant son départ lui faire donner la picotte ainsi qu’à ma mère mais on l’en détourna absolument et ainsi l’enfant la prit naturellement et pensa en mourir. Personne jusqu’alors n’avait eu la petite vérole aux Illinois et ce n’est qu’en 1798 qu’elle s’y montra et mes parents furent des premiers à s’y faire inoculer.
Les notes rédigées par Louise-Amélie Panet se terminent là. Après son décès le 24 mars 1862 William Berczy son époux les a reprises et complétées.
Marie Anne Cerré avait épousé le notaire Pierre-Louis Panet de Montréal en 1781 et Louise-Amélie est née en 1789. P.-L. Panet a eu une importante carrière politique. En 1781 il avait acheté la seigneurie d’Argenteuil; il l’a revendue en 1800 pour acheter les seigneuries de Daillebout et Ramzay et vers 1812 peu avant son décès il y a fait construire un manoir seigneurial à Ste-Mélanie.
Notices sur Dame Louise-Amélie Panet, épouse de William Berczy Ecr et de sa famille (écrites en 1863 par son mari)
W. Berczy a continué le récit de son épouse. Il a d’abord rappelé ses antécédents paternels; Pierre Meru Panet son grand-père était venu en nouvelle-France en 1746 et Pierre-Louis son père avait fait une brillante carrière comme juge, conseiller exécutif et député à la Chambre d’Assemblée.
William Berczy a ensuite repris presque mot pour mot l’histoire de la famille Cerré au pays des Illinois.
Il a poursuivi ce récit à partir du mariage de mademoiselle Marie Anne Cerré avec Pierre-Louis Panet en 1781. Mademoiselle Cerré continua de demeurer à Montréal où elle fit la connaissance de Monsieur Panet chez une de ses parentes où elle logeait parfois et chez qui il était en relation d’intimité, et elle s’y maria en 1781. Elle n’avait que 16 ans.
Monsieur Cerré continua de poursuivre son commerce avec des succès divers, venant de temps à autre au Canada et enfin mourut à St-Louis, Missouri, en mars 1805... Durant un séjour qu’il fit à Montréal, madame Panet accompagna son père, monsieur Cerré, jusqu’à St-Louis, pour y aller voir ses parents, laissant sa fille Amélie avec son père qui dès lors, quoique seulement âgée d’un peu plus de deux ans, donnait déjà des indices de l’amabilité de son caractère…
W. Berczy raconte ensuite la vie de sa femme éduquée au couvent des Ursulines de Québec, leur mariage et leur vie dans l’ouest canadien puis à Ste-Mélanie.
Le Répertoire du Patrimoine Culturel du Québec a documenté quelques lettres écrites par Marie-Catherine Giard-Cerré à sa fille Marie Anne mariée et mère de famille. En 1795 elle lui donne des nouvelles de St-Louis, alors en territoire espagnol; les habitants craignaient une attaque des américains menés par M. Clark mais les américains avaient finalement décidé de faire la paix avec l’Espagne.
Gabriel Cerré commerçant et traiteur
Dans les livres sur l’histoire de la colonisation du Mississipi le nom de la famille Cerré revient très souvent. Pontiac le chef qui avait mené la révolte des nations indiennes contre les anglais après la Conquête connaissait bien Gabriel Cerré. Il a été assassiné en 1769 près du fort de Chartres par des indiens de Kaskaskia.
La traite des fourrures était un métier risqué qui dépendait des relations entretenues avec les nations indiennes et de la politique des gouvernements. La guerre de Pontiac contre l’armée anglaise avait certainement perturbé la traite des fourrures et il valait mieux être en bons termes avec lui. Pondiac a fait soulever plusieurs nations de sauvages, qui doivent s’assembler ici au premier du mois prochain, pour faire tous les efforts qu’ils pourront contre les Anglois… six Anglois, un François, un Sauvage Huron et un Delaware, sont arrivés depuis peu à l’Illinois du Fort Pitt, qu’ils ont été arrêtés par ordre de Pondiac, et qu’ils ont été amenés prisonniers à Owellanon, où ils ont été brûlés, à l’exception de deux que Pondiac amene avec lui pour les donner aux Manes.

Les commerçants du Canada se plaignaient en 1768 que le commerce des fourrures à Michillimackinac était languissant à cause de la concurrence des français et des espagnols venant de la Nouvelle-Orléans par le Mississipi qui vendaient meilleur marché qu’eux ce qui occasionnait des violences contre les négociants. Les tensions étaient très vives entre les colons anglais et les indiens sur la rivière Ohio qui avait été déterminée comme frontière de leur territoire mais n’était pas respectée.
Gabriel Cerré est arrivé à Kiaskiaskia alors que c’était un territoire français; il a vu sa terre d’accueil être bouleversée durant sa vie. En 1763 le pays des Illinois est devenu un territoire anglais alors que la Louisiane sur l’autre rive du Mississipi avait été cédée à l’Espagne. Ensuite le pays des Illinois est devenu américain en 1783 lors de la création des États-Unis mais G. Cerré avait déménagé à St-Louis, situé de l’autre côté du Mississipi en territoire espagnol. La Louisiane a été restituée à la France en 1800 par l’Espagne avant d’être vendue aux États-Unis en 1803 par Napoléon. Gabriel Cerré est décédé citoyen américain en 1805.
La guerre d’indépendance a été le plus grand bouleversement. Les américains ont occupé Kaskaskia, Cohokia et le fort de Vincennes et ont interdit le commerce vers le Canada. Le lendemain de son arrivée à Kaskaskia, Clark posta des soldats à la résidence de l’influent marchand Gabriel Cerré. La raison était claire: cette démonstration de force devait convaincre les marchands du village d’approvisionner le régiment virginien.
Les habitants français du pays des Illinois avaient espéré que la création de tribunaux les protégerait contre le laisser-aller qui prenait de l’ampleur sous l’occupation de la région par les pionniers américains. Dès que les juges de paix reçurent leurs commissions, ils présentèrent une pétition dans laquelle ils se plaignaient des déprédations dont les troupes s’étaient rendues responsables, de l’accaparement des terres par les spéculateurs et de la vente libre des boissons alcooliques aux Indiens et aux esclaves noirs. Le gouvernement fut toutefois incapable de rétablir l’ordre, et les habitants devinrent moins enclins à consentir des sacrifices pour l’appuyer. À l’automne de 1779, les Américains recouraient à la force pour se procurer des vivres. Il en résulta une émigration, en particulier des résidents les plus prospères, vers le territoire espagnol, au delà du Mississippi. Durant les années 1770, Cerré avait acquis des biens considérables sur la rive ouest, autour de Saint-Louis (St Louis) et de Sainte-Geneviève (Missouri); à la fin de 1779 ou au début de 1780, il alla habiter Saint-Louis.
Sous le gouvernement espagnol, les affaires de Jean-Gabriel Cerré prospérèrent; il devint bientôt l’homme le plus riche des environs. Sa fille Marie-Thérèse épousa Auguste Chouteau en 1786, et ce mariage rapprocha les deux principales familles commerçantes de la région. Son fils Paschal travailla plus tard pour les Américains comme secrétaire et interprète des commissions chargées des traités avec les Indiens. Cerré obtint plusieurs concessions de terre des autorités espagnoles. Il avait une maison de ville, une propriété rurale et une ferme spécialisée dans l’élevage; en 1791, il possédait 43 esclaves – beaucoup plus que quiconque à Saint-Louis. Une concession de 1800 le mentionne comme «l’un des plus anciens habitants de ce pays, recommandable par sa conduite et son mérite personnel bien connus». Les changements, auxquels il s’était habitué, n’étaient pas finis, cependant: au cours des quelques années qui suivirent, la Louisiane espagnole fut cédée à la France, puis achetée par les États-Unis. Et c’est ainsi qu’au moment de sa mort, en 1805, Jean-Gabriel Cerré avait connu pas moins de six régimes politiques différents. En dépit de ces bouleversements, il était devenu l’un des marchands les plus prospères de la vallée du Mississippi.
Jean-Gabriel Cerré
Gabriel Cerré et ses employés ont découvert le territoire et fondé des postes de traite. Godfrey et François Lesieur venus de Trois-Rivières avaient été employés par Gabriel Cerré à classer et emballer des fourrures. Au bout d’un an Cerré les avait envoyés en canot sur le Mississipi pour établir un poste de traite; ils s’était installés dans un village Delaware qui est devenu New Madrid, Missouri.
Les premiers chasseurs dans le pays Missouri, ceux de Cerré, partaient de Kaskaskia, traversaient la Mississipi à Ste-Geneviève et faisaient ensuite un portage vers les rivières Bonne Homme, Gasconade et Osage. Les commerçants de St-Louis contrôlaient la traite sur les rivières Missouri et Arkansas.
Catherine Giard
Robert Englebert dans une histoire du St-Louis français met en évidence l’importance de la famille de la femme de Gabriel Cerré. Son père Antoine Giard était un fermier prospère.
C’est la fortune de Catherine Giard qui a permis à Gabriel Cerré de connaître autant de succès. Après le déménagement de la famille de Kaskaskia à St-Louis, entre 1779 et 1781 selon les versions, le commerce de la fourrure s’était transporté dans cette ville et les liens de G. Cerré avec Montréal lui ont permis de pleinement profiter de ce commerce.
Le mariage de Marie Anne âgée de 16 ans avec Pierre-Louis Panet avait permis à Gabriel Cerré de renforcer ses liens d’affaires à Montréal, notamment avec le négociant Jean Orillat. Le mariage de Julie avec Antoine Soulard en 1785 aurait aussi été influencé par des considérations commerciales.
Le mariage de Marie-Thérèse avec Auguste Chouteau leur a ouvert le marché des fourrures du pays Osage dont le clan Laclède-Chouteau avait l’exclusivité. Avec l’alliance Panet ils avaient accès au capital et aux marchandises de Montréal. Plus tard l’alliance Soulard, arpenteur du gouvernement espagnol, leur a ouvert l’accès aux concessions de terres.
Profitant des contacts de Cerré à Montréal, ce baron de la fourrure ayant 12 pourvoyeurs différents en 1798, Chouteau pouvait importer des marchandises précieuses à St-Louis en passant par Michilimakinac le long des routes de la traite des fourrures.
Catherine Giard est décédée en 1800 en étant la matriarche des familles les plus riches de St-Louis. La famille Cerré-Giard possédait 43 esclaves noirs et mulâtres en 1791. Gabriel Cerré en employait certains pour la traite des fourrures comme canotiers et sa fille Marie Anne en avait ramené une avec elle à Montréal en 1791.
Gabriel Cerré était presque toujours parti en expédition pour la traite des fourrures et sa femme Cathrine Giard devait gérer la ferme et les propriétés. Les fermes très prospères de la famille produisaient 300 minots de blé et 500 de maïs en 1791 alors que la région des Illinois nourissait la colonie de la Nouvelle-Orléans.
Catherine Giard a correspondu pendant plusieurs années avec sa fille Marie Anne Panet à Montréal par l’intermédiaire de Andrew Todd associé de son mari dans la traite et de James McGill à Montréal. Elle était aussi en correspondance avec plusieurs marchands en affaires avec son mari, Mr. Quesnel, Mr. Orillat, Jean-Philippe Leprohon, Myer Michaels ou John Lyle.
La descendance de Gabriel Cerré
Marthe Faribault-Beauregard a ajouté quelques documents d’archives à sa publication. D’abord un arbre généalogique des autres enfants de Gabriel Cerré et Catherine Giard demeurés aux Illinois. Les parents s’étaient mariés à Kaskaskia, leurs 3 enfants se sont mariés à St-Louis.
Marie-Thérèse et Auguste Chouteau
Marie-Thérèse née en 1769 a épousé Auguste Chouteau un des fondateurs de la ville de St-Louis en 1786.
René-Auguste Chouteau, né le 7 septembre 1749 à La Nouvelle-Orléans et mort le 24 février 1829 à Saint-Louis, est un Franco-Louisianais, riche négociant en fourrure et cofondateur de la ville de Saint-Louis, dans le futur État du Missouri, à l’époque de la Louisiane française… René-Auguste Chouteau épouse Marie Thérèse, la fille de Jean-Gabriel Cerré, le 21 septembre 1786, à la basilique Saint-Louis, roi de France (alors une église en rondins verticaux, pas l’église actuelle sur le site). Ce mariage apparemment heureux unit les membres des deux principales familles de Saint-Louis.
René-Auguste Chouteau
Pascal et Thérèse Lamy
Né en 1773 Pascal Cerré avait épousé en 1797 Marie-Thérèse Lamy qui venait d’une famille de marchands. Il a été actif dans le commerce des fourrures jusqu’en 1849. Michel Lamy le père de Thérèse était venu de Montréal à St-Louis en 1765. Le couple a eu 3 enfants, Pascal Léon junior, Michel Lamy et Catherine.
Dans la documentation de la Cour Suprême des États-Unis on trouve le cas de Pascal Léon Cerré qui avait déposé une pétition pour une concession de 7.056 arpents de terres en 1790, soit à l’âge de 17 ans.

Les terres demandées avaient été accordées en 1798, elles étaient situées dans un désert où il n’y avait pas d’établissement à une grande distance de St-Louis dans ce territoire encore espagnol. Pascal avait obtenu la recommandation de son père Gabriel pour ses services au gouvernement espagnol; déjà âgé le père a demandé que les terres soient accordées à son fils plutôt qu’à lui.

Dans un autre cas de la Cour Suprême opposant Francis Lagrange alias Isidore, homme de couleur, à Pierre Chouteau, Pascal avait refusé de vendre un esclave à son neveu Pierre Chouteau qui avait alors utilisé un prête-nom.
Pascal avait écrit des mémoires où il racontait l’attaque de St-Louis par un parti anglais venu de Michillimakinac alors qu’il n’avait que 7 ans.
Dans un autre récit de l’attaque on lit que parmi les 7 esclaves capturés par les indiens lors de l’attaque, 5 appartenaient à Gabriel Cerré. Les américains menés par George Rogers Clark avaient occupé Kaskaskia et Cahokia; les anglais les ont attaqué sans succès.
En 1772, alors qu’il commerce avec les Amérindiens de la Nation Osages entre la baie des Puants (Green bay) et le fleuve Missouri en Louisiane espagnole, (le négociant de fourrures Jean-Marie Ducharme) manque de se faire arrêter par les troupes espagnoles et a le temps de s’échapper vers Montréal; mais son stock de fourrures est confisqué. En 1779-1780, il aide à mener une expédition militaire britannique contre les Espagnols, alliés des États-Unis, à Saint-Louis. Ce serait par vengeance que Ducharme aurait guidé l’attaque contre la ville espagnole.
Julie et Antoine Soulard
Antoine Soulard avait fui la terreur pendant la révolution française et était arrivé aux Illinois en 1794. Il avait été employé par le gouvernement espagnol à la construction d’un fort à Ste-Geneviève puis il s’était installé à St-Louis où il a été employé comme arpenteur par le gouvernement. Julie née en 1775 a épousé Antoine Soulard en 1795.
Un quartier de St-Louis est nommé Soulard en leur honneur; on y retrouve le marché Soulard. Le terrain de 76 arpents avait d’abord été concédé à Gabriel Cerré vers 1780 et il y avait construit une maison. Après la mort de sa femme en 1800 le terrain était revenu à Julie Soulard lors du partage de ses biens.
Dans une lettre à sa belle-soeur Marie Anne de 1797, Antoine Soulard raconte l’épidémie de fièvre putride qui a touché le pays des Illinois et fait de nombreuses victimes. Tous les français immigrés y ont succombé, beaucoup d’anglais et amériquains et plusieurs jeunes demoiselles. Les créoles du pays et les espagnols domiciliés n’ont point souffert de cette épidémie. La guerre entre la Grande-Bretagne, la France et l’Espagne était encore confuse et en 1797 les habitants de St-Louis s’attendaient à redevenir français après avoir été espagnols.




Correspondance de la famille Cerré
Gabriel Cerré et son gendre Pierre-Louis Panet, époux de Marie Anne, entretenaient une correspondance. Le 24 juin 1785 Gabriel Cerré a écrit à monsieur Panet à Québec. Il lui fait part de son chagrin d’avoir appris le décès des 2 premiers enfants du couple, Pierre-Louis (3 juillet 1782 – 9 août 1783) et Pierre-Gabriel (8 septembre 1783 – 28 février 1784). Il le remercie ensuite de prendre soin de son fils Paschal qu’il avait envoyé à Montréal pour son éducation dans la famille de sa soeur aînée: soyez à son égard frère et père.

Le canot de Mr. Durocher qui doit partir incessament Thérèse, Manon (Marie-Anne) et Julie vous assurent de leurs civilités et moy qui (???) en attendant le plaisir de vous voir. La lettre est datée du 24 juin 1785 à St-Louis des Illinois et il semble que madame Panet, Marie-Anne ou Manon, était en visite chez ses parents.
Dans cette lettre du 19 juin 1800 retranscrite Gabriel Cerré annonce qu’il part de St-Louis pour McKinac (Michilimakinac) et qu’il est obligé de remonter le Mississipi par le manque d’eau dans chicagoue (Chicago).
Les riches commerçants de St-Louis envoyaient leurs enfants étudier à Montréal, Pascal frère de Marie Anne était venu en 1785. En 1800 Auguste Chouteau dans une lettre à son beau-frère le juge Pierre-Louis Panet lui confie lui aussi l’éducation de son fils car il ne pouvait pas l’assurer à St-Louis. Il lui demande d’en prendre soin à Montréal en l’assurant de sa pleine confiance.
Il demande à P.-L. Panet de faire inoculer son fils contre la picotte, maladie inconnue aux Illinois. Il voudrait aussi que son fils soit éduqué dans une école anglaise pour apprendre la langue du commerce. Ses manières ne sont pas celles que l’on acquiert chez un peuple policé, peut-être est-il trop vif trop étourdi mais je l’ai déjà observé c’est le malheur de nos endroits, il y est aucun moyen de se procurer l’éducation.
Dans le brouillon d’une lettre de Marie-Anne à sa soeur Julie épouse de Antoine Soulard datant de 1812, on trouve quelques informations sur la succession de Gabriel Cerré décédé le 4 avril 1805. Marie Anne s’était brouillée avec sa famille à cette occasion. Dans la note de bas de page on lit que Gabriel Cerré avait laissé une grosse fortune et 2 bateaux chargés de marchandises ramenées de Montréal peu avant sa mort.
Communique ce que je te dis en ce moment soit à ton mari, soit à ma soeur Chouteau ou à son mari ou à notre frère Paschal selon que la prudence et l’amitié et la confiance que nous nous devons tous te le suggèrera, garde en toi même ce que je te dis si tu as quelques raisons de croire que cela pourrait occasionner la plus petite altercation entre nous…
Mon mari depuis son accident n’a plus la même force qu’il avait accoutumée de jouir, cela lui donne des soucis et de l’inquiétude pour sa propre famille… Pierre-Louis Panet est décédé peu après le 2 décembre 1812.
Quand leur mère Catherine Cerré est décédée en 1800 la fortune de la famille était estimée à 26.000 dollars et des milliers d’acres de terre. Selon la loi espagnole (et française) la moitié est revenue à son mari Gabriel et l’autre moitié aux 4 enfants. Gabriel a continué ses voyages annuels à Montréal jusqu’à sa mort en 1805.
Les liens familiaux entre la famille Panet et leurs cousins de St-Louis se sont prolongés dans le temps. En 1847 Pierre-Louis fils du juge Panet et de Marie-Anne Cerré a fait un voyage à St-Louis qu’il raconte dans une lettre à son neveu Guillaume Lévesque. Parti de Baltimore le 7 décembre 1847 il avait traversé les Alleghanies jusqu’à Pittsburgh puis il avait pris un steamboat jusqu’à Cincinati et il était arrivé à St-Louis le 20.
À mon arrivée à St-Louis mon oncle Pascal Cerré témoigna une vive joie de me voir et me fit beaucoup d’amitié. Je restai une couple de jours à l’hôtel après quoi mon cousin Gaston Soulard m’ammena chez lui et eut, ainsi que sa dame, toutes espèces d’attentions et de bonté pour moi pendant les huit jours que je suis demeuré avec eux. Je n’ai vu aucun des Chouteau; Henri qui est ici à présent était alors absent de St-Louis, mais ni son frère Cerré ni les enfants d’Auguste leur frère aîné mort depuis quelques années ne vinrent me voir. Pour moi je fus enchanté de voir mon vieil oncle Cerré; c’est un petit homme de la taille de ce pauvre oncle Bonaventure mais beaucoup plus fortement constitué et qui à 75 ans a toute l’autorité et la force d’un homme de 50. Il est encore un des meilleurs chasseurs de St-Louis… Il parle fort bien l’anglais, d’ailleurs il est tout à fait français ou plutôt canadien dans ses idées et voit avec bien du regret la population créole et surtout sa famille s’américaniser grand train.
Kaskaskia et le pays des Illinois
Beaucoup de sites internet américains racontent le passé français de la vallée du Mississipi. Le fleuve a été découvert par Jolliet et Marquette en 1673. Des coureurs des bois et traiteurs de fourrures venant du Canada ont ensuite commencé à s’y installer. Des français se sont aussi installés à la Nouvelle-Orléans pour y fonder une colonie. Le territoire a commencé à s’organiser, des villages et des forts ont été fondés. Le pays des Illinois se trouvait entre le Canada et la Louisiane et il d’abord été une sorte de no man’s land. À son apogée la ville de Kaskaskia était prospère, avec plusieurs rues, des maisons et une église. Mais sa situation au bord du capricieux fleuve Mississipi l’exposait à des inondations fréquentes.
Voici quelques informations trouvées sur le site Mythic Mississipi Project: Kaskaskia
En 1703 un millier de membres de la nation des Kaskaskia sont arrivés sur la péninsule entre le Mississipi et la rivière des Illinois, accompagnés de pères jésuites qui les avaient convertis et par des taiteurs de fourrures canadiens français qui avaient épousé des femmes kaskaskias.
En 1717 la France a annexé le pays des Illinois à la Louisiane. En 1719 le commandant Boisbriant a séparé les français et les indiens en 2 villages, chacun avec son église. Le village indien était situé à 3 miles au nord pour protéger les femmes indiennes de la débauche d’une ville où se retrouvaient des bateliers, des commerçants et des trappeurs; et pour empêcher les indiens de boire trop d’alcool. Le mélange racial entre les français et les indiennes était réprouvé.
En 1722 la ville de Kaskaskia avait presque autant d’habitants que la Nouvelle Orléans, c’était un établissement cosmopolite comprenant des français de France et du Canada, des français créoles, des indiens, des métis, des esclaves africains noirs et mulâtres. Un recensement de 1732 comptait 352 habitants, moitié de français avec leurs femmes indiennes et l’autre moitié d’esclaves noirs et indiens.

La carte suivante montre les villages de Cahokia au nord, St-Philippe à mi-chemin, Ste-Geneviève et Kaskaskia au sud. Le fort de Chartres abritait la garnison française protégeant le territoire. On remarque un moulin à vent et un moulin à farine sur la rivière Kaskaskia. De l’autre côté du Mississipi il y avait des salines sur la rivière de la Saline qui produisaient du sel pour les industries. Les fermiers expédiaient des tonnes de blé par le fleuve pour nourrir le sud de la Louisiane et la Nouvelle-Orléans ainsi que des légumes et du porc. Il y avait un village indien au nord de Kaskaskia et un autre près du fort de Chartres.
En 1778 pendant la guerre d’indépendance les américains occupèrent Kaskaskia et Cahokia puis abandonnèrent la ville en 1780 laissant le territoire dans le cahos. Des gangs de marchands et de spéculateurs terrorisèrent les habitants français qui pour la plupart quittèrent la région pour se réfugier de l’autre côté du fleuve en territoire espagnol.
En 1785 le fleuve Mississipi déborda et endommagea tous les bâtiments de Kaskaskia. En 1844 une nouvelle inondation détruisit de nombreuses maisons puis en 1881 le Mississipi changea de parcours en empruntant la rivière Kaskaskia et transforma Kaskaskia en une île. L’ancien village de Kaskaskia a disparu, englouti par le fleuve.
Saint-Louis du Missouri et les villages français
Au cours du XVIIIème siècle la région s’est développée et d’autres villages ont été fondés dans le haut du bassin du Mississipi et en remontant ses affluents comme la rivière Missouri.
Avant que les Français ne fondent la Nouvelle-Orléans à l’embouchure du Mississippi en 1718, plusieurs forts français et villages amérindiens furent établis juste de l’autre côté du Mississippi, en face de l’actuel Missouri. À mesure que la situation politique et économique changeait au début du XVIIIe siècle, les colons francophones de ces villes de ce qui est aujourd’hui l’Illinois ont choisi de cultiver des terres et d’établir par la suite des villages sur la rive ouest du fleuve: ces communautés, dont Ste. Geneviève et Saint-Louis, deviendraient des centres cruciaux de la haute vallée francophone du Mississippi…
Plus près du fleuve Mississippi, les petites colonies mixtes franco-autochtones de Cahokia, Kaskaskia et Fort de Chartres/Prairie du Rocher se développaient. De nombreux registres coloniaux, dont ceux tenus par le notaire à Kaskaskia, documentent la vie du village et de ses environs, notamment le fort de Chartres et Cahokia. Vers le milieu du 18e siècle, on y voit des registres de concessions de terres sur la rive ouest du fleuve Mississippi, sur le site de ce qui allait devenir le village de Ste. Geneviève…
Peu après les débuts du village de Ste. Geneviève, une autre colonie française a été implantée à environ 50 miles en amont du fleuve Mississippi. Toute la Louisiane était récemment devenue territoire espagnol lorsque des privilèges commerciaux pour le Pays des Illinois furent accordés à Gilbert Antoine Maxent par le gouverneur de la Nouvelle-Orléans. Pierre Laclède, associé junior de Maxent, fut chargé de fonder un nouveau poste de traite sur la rive ouest du Mississippi. Laclède remonta le fleuve Mississippi en un voyage d’environ trois mois en août 1763, accompagné de son beau-fils de 13 ans Auguste Chouteau… Un récit des débuts de Saint-Louis a été rédigé par Chouteau près de 50 ans plus tard.
Le long du Mississippi
Il y avait 9 familles à Ste-Geneviève en 1752 et 691 habitants en 1772. Un recensement de St-Louis en 1776 dénombrait 56 ménages, dont 257 civils, dont une majorité d’hommes, ainsi que 75 esclaves. En 1779, il y avait environ 700 habitants, et plus de 1.400 en 1787.
Un article de La Presse documente les villages de Cahokia et Florissant situés plus au nord près de St-Louis et celui de Ste-Geneviève près de Kaskaskia aujourd’hui.

Une pierre à l’arrière (de l’église de Cahokia) énumère les villageois qui se sont battus avec les Américains contre les Britanniques dans le cadre de la guerre de l’Indépendance, entre 1775 et 1783. Les noms sont pratiquement tous d’origine canadienne-française : Alarie, Baron, Beaulieu, Bissonet, Boyer, Brisson, Chenier, Chevalier, Dubuque, Ducharme, Gagnier, Germain, Girardin, Lacroix, Lambert, Langlois, Lefevre, Lepage, Pelletier, Roy, Saucier, Trottier…

Par contre, pas question de manquer Ste. Genevieve, un pittoresque village qui remonte aux années 1720 et qui compte de nombreuses maisons d’origine française. Comme la très belle demeure de Louis Bolduc, qu’on a aménagée amoureusement avec des meubles d’époque.
La découverte du continent par le Missouri
Bien que les Français ne se soient pas encore aventurés loin dans le Missouri, un ancien soldat français nommé Etienne Veniard, sieur de Bourgmont, a remonté la rivière, vivant parmi les Osage, commerçant avec ces dernier, et épousant une femme de la tribu Missouria… Bourgmont et ses hommes construisirent Fort Orléans près de la rivière Grand, juste au nord de la rivière Missouri, dans l’actuel comté de Chariton. Le fort comptait initialement une garnison d’une quarantaine d’hommes, mais il ne fut occupé que quelques années (1723-1736)… Lorsque la situation financière de la Compagnie des Indes se détériora et que la Compagnie se retira de ses opérations dans la région de la rivière Missouri, davantage de commerçants de fourrures sans permis, connus sous le nom de «coureurs de bois», s’y aventurèrent.
Le long du Mississippi
Les habitants du pays des Illinois savaient que la rivière Missouri était le plus gros affluent du Mississipi et qu’elle remontait loin vers l’ouest, prenant sa source dans les Montagnes Rocheuses. Le journal de Jean-Baptiste Trudeau raconte les premiers efforts commerciaux pour explorer et exploiter ces territoires de traite des fourrures.
Le 12 mai 1794, la constitution de la Compagnie commerciale pour la découverte des Nations du Haut-Missouri fut adoptée par un groupe de neuf marchands seulement qui signèrent le document: Laurent Durocher, Antoine Reihle, Joseph Robidou, Hyacinthe St-Cyr, Charles Sanguinet, Louis. C. Dubreuil, Joseph Motard, Benito Vasquez et Jacques Clamorgan. Détentrice du privilège exclusif de traite avec les nations situées en amont des Poncas pour une période de dix ans, la nouvelle Compagnie commerciale s’engageait à organiser trois expéditions annuelles consécutives. Ses directeurs élus, Clamorgan et Reihle, firent appel sans retard à Jean-Baptiste Trudeau et le nommèrent «agent de la compagnie» pour une durée de trois ans.
Jean-Baptiste Trudeau sur le haut Missouri (1794-1796)
Après la vente des territoires à l’ouest du Mississipi par la France en 1803 les États-Unis ont aussitôt repris cette idée et envoyé une expédition pour découvrir le Haut-Missouri et trouver un passage jusqu’à l’océan Pacifique. Ce fut l’expédition de Clark et Lewis de 1804 à 1806. De nombreux francophones de St-Louis et sa région ont participé à cette expédition.
À La Charrette, dernier poste blanc, les Américains rencontrent Régis Loisel, un important traiteur qui leur fournit de précieuses informations. Lewis note que M. Louisell l’a informé de l’absence d’Indiens jusqu’à la rivière Ponca, pays des Sioux. Voilà une autre grande surprise que réserve la lecture des journaux des Américains : pendant les deux premiers mois, le corps expéditionnaire ne rencontre aucun indien. La variole apportée par les Européens a dévasté la région. Au début d’août, Lewis se recueille sur les lieux de sépulture d’un chef omaha, l’Oiseau noir, emporté par la maladie en même temps que 400 des siens. Un Français, dénommé Fairfong installé avec sa famille parmi les Indiens organise une rencontre avec des Ottos et des Missouris. Décimés, ces derniers se sont réfugiés chez les Ottos. Les Américains constateront les ravages de la variole jusque chez les Mandans et les Arikaras dont ils soulignent la disparition de la majorité des villages.
Tout au long de sa remontée du Missouri, le corps expéditionnaire croise ainsi des Canadiens qu’on désigne invariablement comme des «Frenchmen». Les principaux, Pierre Dorion, Joseph Gravelines et Jean Vallée, apportent un précieux concours. Lewis et Clark en tirent d’ailleurs une leçon. Ils ont besoin d’interprète et c’est ce qui les amènera à recruter, au fort mandan, Toussaint Charbonneau et sa femme shoshone, Sacagawea.
Les noirs et le commerce des fourrures
Le métissage entre blancs, indiens et noirs a été fréquent dans ces territoires éloignés de toute autorité moralisatrice. Jim Hanson dans Des aventuriers noirs au pays de la fourrure a relevé l’histoire de quelques esclaves noirs engagés dans la traite des fourrures. Le riche commerçant de fourrures Gabriel Cerré possédait 43 esclaves en 1791 selon sa biographie et il en employait plusieurs à la traite des fourrures. J’ai trouvé cette citation étonnante d’un ethnologue:
Les négociants en fourrures souhaitaient autant que possible être accompagné d’un nègre pour négocier avec les Indiens car les Noirs ont plus de respect pour les Peaux-Rouges que n’en ont les Blancs et ils les traitent avec plus de douceur.
Ce groupe d’Amérindiens représentant des «sauvages de plusieurs nations» a été peint en Louisiane, en 1735, par l’architecte Alexandre de Batz. Au premier plan, on note des peaux de chevreuil et de la graisse d’ours que ces derniers comptent échanger contre des marchandises de troc. Parmi ce groupe, on relève la présence d’un jeune esclave noir qui, selon la légende de ce dessin, appartient au guerrier Atakapas, situé à droite de cette œuvre.
D’autres Noirs sont actifs dans la traite des fourrures à titre de «voyageurs», parfois contre leur gré, car ce sont des esclaves. Ainsi, à Montréal, en 1747, Renaud, l’esclave d’Etienne Petit, dit Boismorel, est «loué» à Jean-Baptiste Godefroy à titre de canoteur pour faire le voyage jusqu’au poste des Miamis.
Ceci dit, certains «noirs libres» choisissent volontairement le métier de voyageur. Ainsi, Valentin, un affranchi ayant appartenu à la veuve Lestage, s’engage, en 1754, comme voyageur auprès du marchand montréalais Alexis Lemoine, dit Monière, pour se rendre au «Pays des Illinois». Ajoutons que ce même Valentin, en 1745, avait terminé avec succès un apprentissage comme armurier, un métier très convoité dans les postes de l’Ouest.
John Darlington, un autre «nègre libre», est qualifié de «voyageur de la Ville de Montréal» lorsqu’il signe, en 1777, un nouvel engagement pour se rendre dans les Pays-d’en-Haut. En 1807, nous retraçons également un affranchi au nom imagé de Joseph Lafricain, qui s’engage comme «milieu de canot» pour faire le voyage de Montréal jusqu’à Michillimakinac.
Parmi les membres de la communauté noire qui se sont illustrés dans l’histoire de l’Ouest américain, signalons Jean-Baptiste Point-du-Sable. Le poste de traite qu’il fonde, aux environs de 1779, dans l’État de l’Illinois, deviendra plus tard l’actuelle ville de Chicago. Encore de nos jours, Point-du-Sable est considéré comme le «père de Chicago». Pendant la Révolution américaine (1775-1784), un rapport britannique décrit ce Point-du-Sable comme un «nègre bien bâti, bien éduqué, mais trop proche des intérêts français». Cette sympathie pour la France vaudra à Point-du-Sable d’être arrêté par les forces anglaises, mais devant le tollé que provoque cette incarcération, il sera relâché. En 1800, Point-du-Sable vend le poste de traite qu’il a contribué à faire prospérer. On le décrit alors comme un «riche négociant qui aime souvent prendre un bon coup». Point-du-Sable décédera dans la ville de Saint-Charles, au Missouri, en 1815.
En étudiant l’histoire de la traite des fourrures, nous retraçons ainsi la présence de Noirs à tous les échelons de ce vaste négoce. Certains sont d’humbles voyageurs, trappeurs ou interprètes alors que d’autres prennent la tête de postes de traite ou de vastes territoires. Au XIXème siècle, James Stevenson, anthropologue de la Smithsonian Institution, notait que les négociants en fourrures souhaitaient autant que possible être accompagné d’un nègre pour négocier avec les Indiens […] car les Noirs ont plus de respect pour les Peaux-Rouges que n’en ont les Blancs et ils les traitent avec plus de douceur. Sans pouvoir vérifier le poids de cette affirmation, elle explique certainement pourquoi de nombreux Noirs se sont retrouvés au cœur de cette vaste épopée nord-américaine que fut la traite des fourrures.
























































