En 1885 une grave épidémie de variole a fait plus de 3.000 morts à Montréal, presque tous de jeunes enfants des milieux pauvres. Les anglophones se sont fait rapidement vacciner et ils ont accusé les francophones catholiques, sales, ignorants et superstitieux, de propager l’épidémie en refusant de se faire vacciner.
Le vaccin faisait peur à beaucoup de gens mal informés, c’était encore une nouveauté de la science médicale. Il y a eu des émeutes, la plus violente a eu lieu le 28 septembre.
Michael Bliss a publié Montréal au temps du grand fléau qui raconte cette histoire; l’article de Wikipedia Épidémie de variole de Montréal en 1885 donne beaucoup d’informations lui aussi.
L’épidémie de variole
Au début du mois de mars un premier cas de variole a été diagnostiqué mais il a été mal traité à l’Hôtel Dieu qui a été contaminé. L’épidémie a couvé puis elle a explosé avec un pic de 303 morts dans la semaine du 17 octobre.
Quand la nouvelle s’est répandue la ville de Montréal a été mise en quarantaine, le courrier en partance était fumigé pour tuer les bactéries. Rien de bon pour l’économie et les anglophones étaient furieux contre les ignorants qui ne voulaient pas se faire vacciner. Une lettre publiée dans le journal Herald du 2 septembre était particulièrement insultante:
C’est l’élément francophone de la collectivité qui est responsable de la situation actuelle. N’ayons pas peur des mots et rejetons la faute où il le faut. Partout on crie: vos ouvriers francophones sont sales, ils ne se font pas vacciner, et cette maladie pestilentielle restera dans vos murs tant que votre conseil municipal et votre population anglophone agiront comme ils le font.
Il existe une méthode de prévention extrêmement sévère qui n’a pas encore été appliquée. Qu’on l’applique et la situation changera d’une façon spectaculaire: que tous les capitalistes anglophones, manufacturiers et autres employeurs se débarrassent de leurs employés francophones et ne gardent que les anglophones qui sont vaccinés et qui n’ont pas peur de l’eau et du savon. Voilà qui fera agir.
Pro Bono Publico
Pour enrayer l’épidémie un Comité d’hygiène avait été organisé par la ville (la province n’a rien fait) pour isoler les malades à l’hôpital et désinfecter les maisons contaminées. Mais les familles pauvres refusaient de laisser emmener leurs enfants et arrachaient les affiches signalant les maisons contaminées. Des parents affolés accueillaient les services d’hygiène avec des revolvers en leur tirant dessus. Le 28 septembre une émeute éclata dans l’est de la ville, les pharmacies des vaccinateurs furent démolies et la foule se rassembla devant l’hôtel de ville avant de se disperser.
Les meneurs anti-vaccins
La vaccination était encore controversée. La variole était une terrible maladie qui revenait périodiquement. Edward Jenner avait montré que la vaccine prélevée sur le pis de vaches malades était moins dangereuse pour l’humain que la simple inoculation toujours risquée. La vaccination avait prouvé son efficacité et les anglophones de Montréal n’ont pas hésité à se faire vacciner en masse.
Mais il y avait aussi des médecins anti-vaccins. Le plus connu à Montréal était le docteur Joseph Émery dit Coderre. En décembre à la fin de l’épidémie il publiera L’Antivaccinateur canadien français.
Il était très connu puisqu’il annonçait dans tous les journaux son sirop miracle depuis des années. Un site internet présente des images de ses publicités: Anciennes bouteilles de médicament du Québec.

Il y avait aussi un médecin anglophone anti-vaccinateur, le Dr. A.M.Ross. Quant à l’église catholique elle pensait que l’épidémie de variole était infligée par Dieu à cause du nouveau carnaval d’hiver de Montréal entièrement païen.
L’hôpital pour les varioleux
L’Hôtel-Dieu situé près du Mont-Royal avait été le foyer de l’épidémie. L’ancien hôpital pour les varioleux situé à côté fut promptement réaménagé et agrandi mais il se révéla insuffisant.
Les bâtiments de l’exposition provinciale situés plus haut dans le parc Jeanne-Mance actuel furent eux aussi aménagés pour recevoir des malades.

Le bilan de l’épidémie (d’après M. Bliss)
Le bilan de l’épidémie est éloquent. 95 protestants et 178 catholiques anglophones sont morts pour 2.884 canadiens français. Parmi ceux-ci 2.659 avaient moins de 15 ans. La population de Montréal était de 167.501 habitants dont 93.641 canadiens français en 1885.
Le quartier le plus touché fut le quartier Sainte-Marie où 4,5% des citoyens succombèrent, presque tous des enfants. C’est donc bien une épidémie ethnique qui a touché une population pauvre que ses élites catholiques ultramontaines n’ont pas aidée en préconisant la prière et les processions plutôt que la vaccination.
Cette épidémie de variole fut une des dernières en occident et elle fut ensuite documentée dans la littérature médicale comme l’exemple à ne pas suivre.
La pendaison de Louis Riel
En mars 1885 la seconde révolte des métis dans l’ouest canadien éclatait. Pendant toute la durée de l’épidémie cette révolte s’est déroulée en parallèle. Louis Riel a été jugé en juillet et pendu le 16 novembre.
Les tensions entre les communautés francophones et anglophones du Canada étaient alors à leur comble et l’épidémie de variole de Montréal les a fait éclater au grand jour.
Ouf! Les Canadiens Français, des malpropres et des ignorants qui font dire aux anglophones des les foutres à la porte de leurs emplois! L’église qui opte pour la prière plutôt que la science et sans oublier le bon docteur Coderre, cet ancêtre du complotisme peut-être! Bref, plus ça change et plus c’est pareille, à tout point de vue.
Il y a une petite coquille dans le texte. En effet, il faut dire Joseph Emery/Coderre. Ses patronymes faisant partie de la vieille coutume québécoise des noms dits. A la fin du XIXe siècle, la plupart des Québécois ont pris soit l’un ou l’autre des deux patronymes.
Ma mère est descendante des deux mariages du premier Emery dit Coderre, Antoine de son prénom.
Merci pour la précision, j’ai fait la correction.
Il convient de signaler le fait que le maire de Montréal, M. Honoré Beaugrand s’est alors prononcé avec force en faveur de la vaccination obligatoire. Tel qu’écrit dans le livre de M. Bliss.
Les grands rassemblements ont aussi joué un rôle, particulièrement à l’occasion du décès de Mgr Bourget, lequel était plus catholique que le pape (même Rome en aurait pris ombrage, selon M. Yves Lemonde) et résolument contre toute nouvelle idée, à l’image du clergé de l’époque. L’ignoble affaire Riel et les inévitables rassemblements qu’elle a amenés n’a pas aidé non plus.
Le réalisateur Francis Leclerc était intéressé à cette histoire (2008), mais cet homme talentueux est demandé par tant de projets.