Belzébuth est le Seigneur de tout ce qui vole, comme la rumeur. William Golding s’est inspiré de lui pour écrire le roman Sa Majesté des Mouches en 1954. Des enfants font naufrage sur une île déserte et doivent survivre: au contraire de l’utopie civilisatrice de Robinson Crusoe ces enfants bien éduqués retournent rapidement à la barbarie.
Quand le monde a découvert les horreurs du régime nazi après la guerre, beaucoup se sont demandé comment les allemands avaient pu en arriver là. Il y avait déjà eu des horreurs comme le régime communiste de Staline mais ça se passait chez les sauvages, en Russie ou ailleurs. Le peuple allemand c’était un peuple d’intellectuels, de gens très cultivés amateurs d’art et de musique.
La frontière est mince entre la civilisation et la barbarie.
Sa majesté des mouches
Hannah Arendt a décrit la banalité du mal: les nazis étaient pour la plupart des fonctionnaires obéissant aux ordres de leurs supérieurs en évitant de se poser trop de question. Le roman de William Golding veut montrer que personne n’est à l’abri. Il raconte l’histoire d’un groupe d’enfants normaux et éduqués qui se retrouvent isolés sur une île déserte; la loi du monde normal des adultes est soudain abolie.
Quand les lois sont abolies c’est d’abord formidable, on peut faire ce qu’on veut et c’est la fête. Mais quand tout le monde veut faire ce qu’il veut on retourne vite à la loi du plus fort. En cas de survie ça peut être violent. Dans le roman la situation se gâte rapidement, les tâches essentielles à la survie du groupe sont vite perçues comme des corvées. Le groupe se divise autour de 2 chefs; dans chaque bande les grands dominent les petits et c’est le retour progressif à la sauvagerie. L’utopie de l’île déserte devient un cauchemar.
Une sombre anti-utopie aux fausses allures de robinsonnade et de roman jeunesse
Ce que nous appelons civilisation n’est qu’un vernis qui ne tient pas à grand-chose. Sans lois ni contraintes, sans forces de police ou armée, au contact de la nature, nos instincts primitifs reprennent le dessus pour se manifester avec brutalité. La raison n’a que peu de chances devant la superstition, la violence aveugle, la peur et toutes les forces de l’ombre libérées une fois que les barrières morales et éthiques sont tombées. Quoique bien éduqués, issus de familles aisées, ces enfants ont vite pris goût à la chasse, aux sacrifices humains et au meurtre, une thématique du mal que l’on retrouve aussi dans Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad et Malevil de Robert Merle, qui véhiculent le même message: le monde est porteur d’une cruauté sans failles qui ne demande qu’un prétexte pour se manifester avec force. À voir l’état du monde actuel, qui pourrait les contredire?
Norbert Spehner
C’est curieux, on dirait une description de la vie en ligne sur les réseaux sociaux actuellement.
La toile: le retour à la vie sauvage
Plusieurs politiciens ont déjà démissionné face à la rumeur, Belzébuth le Seigneur de tout ce qui vole. Dans la vie sauvage il n’y a que des prédateurs et des proies; on ne peut pas être au-dessus de la mêlée (avoir des propos nuancés et construits) et penser échapper à la traque généralisée.

Nos instincts primitifs nous habiteront toujours. La vie en société parvient à les contrôler à peu près et le contact avec la nature de retrouver leur aspect bénéfique. Mais dans le monde virtuel de la toile les lois naturelles sont abolies.
Vivre en ville en socialisant virtuellement, loin de tout contact avec la nature, c’est déjà une abolition des lois naturelles nécessaires à une vie saine et équilibrée. La création d’un espace social virtuel sans lois ne peut que dégénérer vers la barbarie. Si les instincts primaires naturels ne peuvent pas se développer sainement ils se manifestent autrement.
Les allemands étaient un peuple tellement éduqué et policé que leur sauvagerie est brutalement ressortie dès que l’occasion s’est présentée.

Contrer le coup d’état numérique
Le lendemain de la publication de cet article je trouve ce dossier éditorial du Courrier International:
Internet menace-t-il la démocratie ? Le lieu d’échanges, de débats, de partage des connaissances ouvert à tous a vécu. Le Net est désormais un espace régi par la loi du plus fort, celle des géants de la tech – Google, Amazon, Facebook et Apple. Hégémoniques, surpuissants, ils aspirent les données personnelles, contrôlent les contenus et leur diffusion via les algorithmes qu’ils développent. Il s’agit désormais de contrer ce coup d’État numérique.
Courrier International