Les chutes Dorwin sont un des principaux attraits touristiques de Rawdon, elles sont très spectaculaires. J’ai été voir sur le site de la Commission de Toponymie du Québec pour savoir d’où vient leur nom. Voici ce qui est écrit: L’origine de ce nom et, le cas échéant, sa signification n’ont pu être déterminées jusqu’à maintenant. La Commission de toponymie invite toute personne détenant une information sur l’un ou l’autre de ces aspects à lui en faire part.
J’ai donc fait la recherche « Dorwin » et j’ai facilement trouvé une longue notice biographique sur la vie de Jedediah Hubbell Dorwin dans le dictionnaire biographique du Canada. C’est un personnage très intéressant qui a eu une vie longue et mouvementée, il a quitté la ferme paternelle dans le Vermont à 18 ans pour se lancer dans le commerce.
Montreal en 1816
C’était aussi un archiviste qui a documenté la vie de son époque; en 1881 un peu avant de mourir il a publié des souvenirs dans le Montreal Daily Star. Dans sa biographie on lit:
[Il a alors publié] un article intitulé «Montreal in 1816», puisé dans ses souvenirs et son «célèbre journal», auquel on attribua le mérite de faire augmenter le tirage du Montreal Daily Star à son plus haut point à ce jour, nécessitant même une deuxième édition à tirage limité.
L’article a eu tellement de succès que La Gazette de Joliette a publié en 1883 une adaptation en français de ce texte du 26 janvier au 30 mars sur 18 parutions. Voici le commencement du premier chapitre:
La qualité de la numérisation est très mauvaise même si j’ai essayé de l’améliorer. C’est le début de la première parution. Il décrit la ville de Montréal quand il s’y est installé en 1816: la ville, les gens, les rues et les maisons. Le récit est intéressant car Dorwin était aussi un archiviste qui a conservé de nombreux documents tout au long de sa vie. Ses documents ont été conservés ce qui a permis de faire une histoire assez détaillée de sa vie; le dictionnaire biographique du Canada en donne un long résumé qui montre ses multiples talents.
Il est donc arrivé à Montréal le 15 juin 1815, venant des États-Unis. Plus loin il dit qu’il s’est établi à Montréal en février 1816. C’était un américain protestant et la guerre de 1812 venait de se terminer, les affaires reprenaient. Il est venu tenter sa chance dans le commerce.
Dans ces Réminiscences Dorwin rapporte beaucoup de détails sur Montréal autrefois. On lit dans cet extrait que la maison de Simon McTavish construite sur le flanc du Mont-Royal et jamais terminée était hantée, les loups-garous y tenaient leurs sabbats. Il savait accrocher son lecteur!
Un petit entrepreneur entreprenant
Le dictionnaire biographique consacre un petit paragraphe aux activités de J. H. Dorwin à Rawdon. Au cours des deux décennies suivantes, Dorwin joua un rôle de première importance dans le développement du commerce du bois à Rawdon…il n’eut pas les moyens financiers de reprendre les affaires après qu’un violent incendie eut détruit ses scieries à Rawdon en 1859.
J’ai essayé de trouver quelques autres documents pour compléter ces informations.
Dans l’annuaire de Montréal de 1819 J. H. Dorwin était inscrit comme épicier au 102 rue Ste-Marie:
Il va ensuite faire toutes sortes de négoces tout en conservant des archives qui seront utiles pour documenter l’histoire. Le dictionnaire biographique raconte ses activités de commerçant voici quelques unes de ses autres activités.
Dans la Revue d’histoire de l’Amérique française j’ai trouvé cette information sur le travail de J. H. Dorwin à la Citadelle de Québec en 1819:
Franc-maçon
Provincial Grand Lodge of Ancient, Free and Accepted Masons of England, in, and for the district of Montreal and William-Henry, in the province of Lower-Canada.
En 1826 Dorwin était un des 4 dirigeants de la loge maçonnique de Montréal et William-Henry (Sorel) avec John Molson, le Rév. John Bethune et William Badgley. Parmi les membres de la loge on retrouve le nom de nombreux marchands écossais et américains de Montréal dont Peter McGill et Henry McKenzie qui ont eu des moulins à Rawdon et St-Liguori.
Dorwin a su se faire rapidement des relations d’affaires parmi les plus riches marchands de Montréal. Il a été membre de la loge toute sa vie et après sa mort celle-ci le remerciera pour un legs, peut-être ses archives.
Archiviste
Son travail d’archiviste est important. Ses Réminiscences de Montréal en 1816 seront abondamment commentées par les historiens, il a aussi tenu des chroniques utiles aux scientifiques:
Le 30 avril1835 le mobilier de J. H. Dorwin a été vendu à l’encan, je ne sais pour quelle raison; le document d’archive comporte 2 autres pages énumérant ses biens.
Marchand de bois
D’après les informations que j’ai trouvées J.-H. Dorwin était venu à Rawdon pour y construire des moulins et exploiter le bois, sans doute avant 1840. Canfield Dorwin, son cousin plutôt que son frère, était aussi un marchand important de Montréal. Il a fait de la politique municipale et il a été le premier consul des États-Unis au Canada en 1854. On retrouve leurs noms associés dans plusieurs documents. En 1837 ils avaient acquis des terres dans le canton de Caxton sur la rivière Yamachiche; c’était sans doute pour exploiter le bois déjà.
En documentant l’histoire des moulins de la rivière Ouareau j’ai trouvé une carte qui montre qu’il avait déjà construit un chemin de chantier pour exploiter le bois de la forêt Ouareau actuelle avant 1843. Le chemin portait son nom, il était donc actif depuis quelques années.
Henry McKenzie, frère du seigneur de Terrebonne Roderick McKenzie, des anciens marchands de la Compagnie du Nord-Ouest, avait acheté un moulin à St-Liguori avec des associés en 1812. Dorwin le connaissait et a pu racheter ses installations vers 1840. Peter McGill autre frère franc-maçon s’est associé à Dorwin, ils ont acquis les principaux moulins à scie avec leurs privilèges et tous les droits de coupe sur la rivière Ouareau en amont de St-Liguori.
En 1841 Dorwin a conclu un marché avec Charles Lamarche pour la coupe de 2.000 billots de pin de 22 pouces de diamètre et 12 pieds et 4 pouces de longueur ainsi qu’une quantité indéterminée de plançons de 18 pouces de diamètre et 12 pieds 4 pouces de longueur à couper au lac Brûlé (Chertsey) et à livrer en aval de la 4ème chute (Chute Manchester) de la rivière Lacouaro, c’est-à-dire au moulin de Manchester.
McGill et Dorwin ont ensuite organisé le commerce du bois produit. J.-H. Dorwin et d’autres commerçants de Rawdon ont fait construire un train de Joliette au village Montcalm pour transporter leur bois jusqu’au fleuve plus facilement.
Pourtant en 1844 Jedediah H. Dorwin a fait banqueroute. Ce n’est pas documenté dans sa biographie mais il ne semble pas que ça ait arrêté son commerce à Rawdon.
Dans un article de 1844 le journaliste a décrit les moulins de la rivière Ouareau en amont de St-Liguori. Il y avait les beaux moulins à scie de M. Dorwan ou McGille situés vers Rawdon et celui de Manchester, actuellement la propriété de M. Dorwan situé plus bas vers St-Liguori.
Dans le recensement de Rawdon de 1851 J.-H. Dorwin et George Dorwin sont inscrits comme propriétaires de moulins à farine et à scie à l’emplacement des chutes Dorwin de Rawdon. Je crois que George pourrait être son fils; il a travaillé pour la municipalité de Rawdon.
Ils avaient alors une superbe maison en charpente et un magasin général.
Voici l’écriture et la signature de J.H. dorwin dans une lettre adressée à William Berczy le 19 novembre 1852 pour l’inviter à l’inauguration du train entre Industry Village et Rawdon.
Le 22 décembre 1852 J.-H. Dorwin s’est associé avec Edward Scallon marchand de bois du village d’Industrie (Joliette). Le greffe du notaire Denis-Émery Papineau n’a pas été numérisé, seulement l’index:
Le 26 décembre 1853 il a déposé un protêt pour dissoudre la société Edward Scallon & Company puisque E. Scallon ne s’était pas bien occupé de la gestion de son moulin:
Le dictionnaire biographique dit que les installations de Rawdon ont brûlé en 1859. En 1864 les Dorwin ont finalement mis en vente leurs installations de Rawdon.
The Rawdon Mill Property comprenait des moulins à scie et leurs dépendances situées sur la rivière Lacouareau dans la paroisse de St-Liguori. La propriété était auparavant dirigée par Peter McGill & Co. et les sous-signés. Aussi une ferme de 100 acres située dans le Township de Rawdon avec une chute de 100 pieds (chutes Dorwin) et un plaisant cottage et autres bâtiments: idéal pour la chasse et la pêche. Il n’y avait plus de moulins aux chutes Dorwin, ils ont sans doute brûlé en 1859.
Les Dorwin et Peter McGill ont été les principaux commerçants de bois à exploiter les forêts en amont de Rawdon de façon intensive. C’est curieux que leurs activités ne soient pas mieux documentées par les historiens de Rawdon et St-Liguori.
Une fin de vie plus tranquille
Après la vente de son commerce à Rawdon J.-H. Dorwin est retourné à Montréal sans doute un peu moins riche. Il a été agent d’assurances puis s’est spécialisé dans la fabrication des baromètres, un de ses hobbies. En 1864 il s’annonçait dans l’annuaire Lovell comme: Agent for the Royal Navy, Military and East-India life assurance company of London et Patentee and proprietor of Dorwin’s Mercurial Portable Barometer. En 1862 il avait déposé un brevet à Londres pour son amélioration du baromètre portable
Les annuaires Lovell édités à partir de 1842 permettent de connaître son adresse. Il a toujours eu son adresse principale à Montréal de 1842 à 1881. Il n’habitait pas à Rawdon mais y avait une résidence, son cottage. Il a longtemps habité rue Bleury mais il déménageait très souvent. À partir de 1872 il est inscrit dans l’annuaire avec sa femme Mrs. Dorwin et sa fille Miss E. M. Dorwin puis en 1876 juste Miss Dorwin. Il est mort en 1883.
Le 17 novembre 1863 Isabella Williamson épouse de Jedediah Hubbell Dorwin a renoncé à son douaire en faveur de son fils George; Isabella et Jedediah étaient domiciliés à Montréal, ils s’étaient mariés en 1817 et George leur fils demeurait à Rawdon. Ils cèdent à George des terrains situés à Griffintown sur la rue William dans la cité de Montréal.
Le dictionnaire biographique dit qu’il avait un garçon et une fille. Ces 2 publications donnent les dates du mariage et de la mort de George son fils.
Les chutes Dorwin en 1870
En 1870 Dorwin avait publié cette lettre. Les chutes s’appelaient déjà Dorwin à cette date. Il y raconte 2 anecdotes très intéressantes:
Sir William Johnson aurait concédé les terres de la rivière Lac Ouareau sur 20 miles depuis le confluent de la rivière L’Assomption à un chef indien en 1762 à Johnstown.
Il raconte aussi les travaux d’étude qui avaient été faits par la ville de Montréal de 1852 à 1910 pour alimenter son aqueduc avec l’eau de la rivière Ouareau. En 1912 l’eau était déjà polluée ce qui a réglé le problème.
On pourrait sûrement trouver plus de détails sur la vie de la famille Dorwin à Rawdon en allant voir toute la documentation que Jedediah Hubbell a laissée aux archives; elles ne sont pas encore numérisées.
À Chertsey il y a déjà eu un lac Dorwin; son nom s’est transformé en lac Drouin ou lac Grenier.
Pour être honnête je dois ajouter que quand on fait la recherche Parc des Chutes Dorwin sur le site de la Commission de Toponymie du Québec on ne trouve aucune information. Mais si on cherche Chutes Dorwin voici ce qu’on lit:
Dans le détour de la rivière Ouareau, juste au sud de Rawdon, les chutes Dorwin, hautes de 23 m, correspondent aux derniers soubresauts de cette rivière avant qu’elle n’atteigne la plaine, en contrebas. Le toponyme Dorwin honore la mémoire de Jedediah Hubbell Dorwin (1792-1883), propriétaire, au cours des années 1850, des terres environnant les chutes ainsi que d’une scierie. Cédé à la municipalité en 1944 par l’épouse de James Ross, le terrain passa en 1967 au ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche qui aménagea les lieux. Il forme maintenant le parc des Chutes-Dorwin fort achalandé pour ses belvédères d’observation et ses sentiers écologiques. Le parc est redevenu la propriété de la municipalité en 1992. Parfois désignée comme la chute de Rawdon ou, erronément, comme la chute Darwin, il arrive aussi qu’on l’identifie comme Les Chutes ou encore comme Hiawitha, d’après une belle et légendaire Algonquine. En effet, la légende raconte que le méchant, rusé et tout-puissant sorcier Nipissing fut changé en pierre par le grand manitou lorsque, par vengeance, il poussa au creux de l’abîme la jeune fille qui refusait de l’épouser. Au moment où le corps d’Hiawitha toucha ce creux, un coup de tonnerre se fit entendre et une chute jaillit du sommet, multipliant à l’infini le lin blanc de sa robe. Aujourd’hui, des milliers de touristes découvrent, au milieu de cette chute, la silhouette sculptée du vieux sorcier et, plus bas, la brillance de la robe fine d’Hiawitha.
On n’y apprend pas grand chose sur Dorwin: le toponyme Dorwin honore la mémoire de Jedediah Hubbell Dorwin (1792-1883), propriétaire, au cours des années 1850, des terres environnant les chutes ainsi que d’une scierie. Il avait une scierie et un moulin à farine. Il a fait le commerce du bois de 1840 jusqu’à 1864 quand il a vendu ses installations.
Lire: L’exploitation industrielle du bois sur la rivière Ouareau