Arthur Buies a rencontré le curé Labelle en 1879, ils sont devenus amis et collaborateurs. C’est une rencontre surprenante car Buies était bien connu pour ses écrits anticléricaux. Dans la série télévisée Les Belles Histoires des Pays d’en Haut il est le secrétaire du curé. L’auteur Claude-Henri Grignon le détestait, il voulait détruire définitivement sa réputation en le décrivant comme un scribouillard alcoolique. Arthur Buies était presque oublié, la réalité télévisée l’a ressuscité.
Arthur Buies journaliste anti-zouave (1840-1901)
Arthur Buies a publié de nombreux écrits dans les journaux qu’il a fondés et qu’il a été obligé de fermer. Il y dénonçait la mainmise de l’Église sur la société québécoise qui empêchait le développement de l’éducation et du progrès. Trop avant-gardiste il a quand même pu faire une carrière de journaliste en rédigeant des chroniques dans les journaux de son époque. C’était un excellent écrivain et ses chroniques sont peu à peu republiées pour leur intérêt historique et littéraire. Il était plus anti-zouave qu’anticlérical, contre l’obscurantisme.
Le nom de cet anticlérical avait été presque effacé de l’Histoire quand Claude-Henri Grignon l’a ressuscité sans le vouloir. Arthur Buies est un personnage attachant de la dernière télésérie des Pays-d’en-Haut: un vieux garçon désabusé toujours prêt à servir la cause. Instruit il met ses connaissances au service des démunis. Il est un peu alcoolique mais il se soigne, c’est le plus fidèle admirateur de la mouman du curé Labelle.
Ce n’est pas exactement ce qu’avait prévu C.-H. Grignon: cet écrivain de gauche là me désespère et me dégoûte; j’ai bien fait de m’attaquer à Buies, anticlérical.
En fait Arthur Buies est un personnage très original dans l’histoire québécoise, le précurseur de nombreux journalistes indépendants d’esprit et de parti ayant contribué à l’évolution de la société québécoise. Pour une fois la téléréalité historique l’a emporté sur le feuilleton télévisé mythologique.
La jeunesse romantique d’Arthur Buies
Son père, William Buïe, né en 1805 dans l’île de Wiay, au nord-ouest de l’Ecosse, a émigré au Canada à l’âge de vingt ans. Ambitieux et doué d’un certain talent, il se lance en affaires où son entregent fait bientôt de lui un intime de Louis-Hippolyte La Fontaine et de Francis Hincks. Directeur d’une banque à Montréal, il s’éprend d’une jeune Canadienne-française, Léocadie d’Estimauville, née en 1811.
Chroniques 1 (BANQ)
La mère de Buies, Marie-Antoinette-Léocadie d’Estimauville était la sœur de Joséphine-Éléonore d’Estimauville. Le 16 juillet 1834, cette dernière épousa à Québec Louis-Paschal-Achille Taché, propriétaire d’une partie de la seigneurie de Kamouraska. Celui-ci devait être assassiné par l’amant d’Éléonore d’Estimauville, le docteur George Holmes, le 31 janvier 1839. Cette histoire a inspiré Anne Hébert pour son roman Kamouraska.
Wikipedia
Arthur est né le 24 janvier 1840 à la Côte-des-Neiges. En 1841 son père William Buïe a été nommé à la Guyane et a laissé ses 2 enfants à Québec dans la famille de sa femme. Mais Léocadie est morte de fièvre en 1842 en Guyane et William y est demeuré. Arthur a donc été élevé à Québec par ses tantes seigneuresses de Rimouski et de l’île d’Orléans sans connaître son père ni sa mère.
Arthur Buies a toujours été un rebelle. Comme il se faisait renvoyer de tous les collèges ses tantes l’ont expédié à son père en Guyane pour s’en débarrasser en 1856. Quelques mois plus tard, ceui-ci l’envoie poursuivre ses études à Dublin au Trinity College. Il est probable que le jeune homme trouve Dublin aussi «provincial» que Québec. Il passe outre aux ordres de son père et aux objurgations de ses tantes, et s’embarque pour Paris. Il n’avait que seize ans.
Il était rebelle mais il ne devait pas être un cancre puisqu’il a été admis dans le lycée scientifique le plus prestigieux de Paris, le lycée St-Louis situé en face de la Sorbonne.
Il décide, en juin 1860, de rejoindre l’armée de Garibaldi en Sicile, folle équipée s’il faut en croire le récit d’un témoin oculaire. L’anti-zouave se fait rapatrier sur Marseille dès septembre aux frais du gouvernement français.
En janvier 1862 il est revenu à la maison au Québec. Il avait vu le monde.
La Lanterne contre l’obscurantisme
Il s’est vite fait remarquer en 1864 quand il a publié un pamphlet intitulé Lettres sur le Canada, étude sociale sur le modèle des Lettres persanes de Montesquieu. C’est l’histoire d’un (maudit) français qui visite le Canada et qui se désole des conditions de vie de ce pauvre peuple arriéré asservi par ses curés ignorants. Bien sûr il ne s’est pas fait beaucoup d’amis même si tout le monde savait que c’était un peu vrai.
Dans le premier numéro du journal La Lanterne qu’il a fondé en 1868 il écrit qu’il est temps de dire JE au lieu de NOUS. Dire ce que JE pense au lieu de s’en remettre à ce qu’on NOUS dit de dire. Il a transformé son nom écossais Buïe en Buiès, un rejet de ses origines qui fait penser à celui de Nelligan. Comme personne ne voulait distribuer son journal anticlérical il a dû le fermer rapidement.
Après la répression de la révolte de 1837-38 il n’y avait plus d’avenir politique pour le Canada français. Le repli sur l’Église était alors devenu la seule solution; comme d’autres peuples aujourd’hui les québécois se sont réfugiés dans leur religion, nous contre eux. Il n’y avait pas assez de prêtres avant 1837, il y en a eu trop après et ils ont bientôt tout contrôlé.
Arthur Buies n’a jamais renié ses convictions et jusqu’à la fin de sa vie il a dénoncé l’obscurantisme du clergé québécois. Il a quand même pu travailler en rédigeant des chroniques pour les journaux car il était talentueux, mais il n’a pas eu la vie facile. Encore en 1963 son nom était honni des conservateurs catholiques comme Claude-Henri Grignon.
Arthur Buies et le curé Labelle
Parce que c’était lui, parce que c’était moi comme disait Montaigne de son ami La Boétie. L’amitié sincère liant A. Buies et le curé Labelle n’avait rien d’évident.
À compter de 1879 A. Buies devient par ses articles, ses brochures et ses livres, le propagandiste attitré de Labelle et de ses projets de colonisation, son bras droit, son premier collaborateur… Dès juin 1879 il lui obtient donc un emploi au ministère des Terres de la Couronne et le 23 avril 1881 il le fera nommer agent général de la colonisation avec un salaire de $1.000 par année, expressément pour écrire des monographies distinctes des différentes parties de la province.
Gabriel Dussault – Le Curé Labelle
Cette photographie représente un voyage d’exploration du curé Labelle à Chute-aux-Iroquois (aujourd’hui Labelle). De gauche à droite on aperçoit A.B. Filion, agent des Terres et des Bois de la Couronne – agence Petite-Nation Est, le curé Samuel Ouimet de Saint-Jovite, l’honorable Georges Duhamel, commissaire des Terres de la Couronne, le curé Labelle, le fidèle Isidore Martin, Arthur Buies prenant des notes, ainsi que d’autres personnes non identifiées.
Société d’histoire de la Rivière-du-Nord
Arthur Buies n’a jamais habité à Ste-Adèle avec la moman du Curé Labelle, il n’a pas affronté Séraphin, c’est de la fiction. Mais il a étroitement collaboré au projet de colonisation du curé Labelle. Il savait apprécier les qualités de ce chrétien sincère qui se dévouait corps et âme à sa mission sans en retirer aucun profit personnel.
Il a su comprendre la vision moderne du Curé Labelle, la colonisation oui mais avec le chemin de fer et l’industrialisation. Et en prenant les moyens de ses rêves, en devenant sous-ministre, en utilisant la propagande. Leur but était le même, la conquête du territoire pour la survie du français en Amérique, pas le repli craintif sur le passé. Et le curé Labelle n’avait pas peur des gens instruits, au contraire. Il connaissait les talents d’écrivain d’A. Buies et il a su les utiliser.
Claude-Henri Grignon était plutôt un conservateur replié sur les valeurs du passé, c’est ce qu’il voulait glorifier dans son feuilleton Séraphin. C’est donc ironique qu’il ait indirectement réussi à faire redécouvrir le Curé Labelle et Arthur Buies qui étaient nettement en opposition avec les catholiques ultramontains de leur époque.
Les chroniques d’Arthur Buies
Arthur Buies a publié de nombreuses chroniques au cours de sa longue carrière de journaliste. L’intérêt de ces chroniques vient de la description fidèle du Québec d’autrefois qu’on y trouve et de la qualité de la langue écrite. On peut en lire quelques unes en ligne sur le site de la BANQ dans l’édition critique réalisée par François Parmentier. Ces chroniques sont dispersées dans de nombreux journaux et leur édition critique est complexe.
La dernière télésérie des Belles Histoires des Pays d’en Haut a montré une part de la personnalité d’Arthur Buies un peu limitée mais au moins elle l’a rendu sympathique contrairement aux anciennes réalisations. Une télésérie historique ce n’est plus comme un feuilleton d’autrefois, on ne peut pas transformer les personnages historiques selon ses convictions politiques.
En tout cas pas sur les ondes de Radio-Canada dans une série sur l’histoire du Canada(?)